La réaction occidentale, elle, est d'un cynisme absolu. En voyage officiel en Turquie (quelle coïncidence), le vice Biden a osé : «Nous avons dit très clairement que ces forces doivent retraverser le fleuve et n'auront, en aucune circonstance, le soutien des Etats-Unis si elles ne respectent pas leurs engagements.» En novlangue : Washington a utilisé les YPG comme chair à canon pour libérer Manbij et, des centaines de morts plus tard, veut maintenant les renvoyer. Berlin ne fait rien pour rehausser le niveau éthique : «La Turquie, à tort ou a raison, considère qu'il y a des liens entre, du côté turc, le PKK, que nous considérons aussi comme une organisation terroriste, et au moins une partie des Kurdes du côté syrien. Nous respectons cela, et nous considérons que c'est le droit légitime de la Turquie d'agir contre ces activités terroristes. Nous soutenons la Turquie sur ce point.» Ainsi, les jours prochains nous diront laquelle des deux hypothèses est la bonne. Toujours est-il que les grands perdants semblent être les Kurdes syriens. Le lâchage en rase campagne par les Occidentaux, qu'il soit verbal ou réel, laissera des traces. D'ors et déjà, le leader du PYD a qualifié l'intervention turque «d'agression dans les affaires intérieures» syriennes et a prévenu du bourbier qui attend l'armée ottomane si elle va plus avant. Sans surprise, les YPG refusent absolument de quitter les territoires à l'ouest de l'Euphrate et prétendent au contraire se diriger vers Al Bab, même si les derniers événements les ont peut-être quelque peu refroidis. Alors qu'ils croyaient tenir leur rêve d'établir leur Rojava (Kurdistan syrien d'un seul tenant sur le nord de la Syrie), ils se voient lâchés par tous. Les Américains et leurs toutous européens les cocufient tandis que Barzani, l'habituel traître à la cause kurde (pas étonnant que BHL ait fait un film sur lui), est à Ankara pour frayer avec le sultan. On sait qu'entre le président de la Région autonome du Kurdistan irakien et le duo PKK-PYD, ça n'a jamais été le grand amour... Quant aux Syro-Russes, ils ont été douchés par le récent coup de folie kurde à Hassaké. Quelle mouche a donc piqué les YPG d'attaquer l'armée syrienne ? Se sont-ils fait berner par les «conseillers» américains ? Moscou et même Damas étaient les meilleurs alliés de la cause kurde. Si Assad refuse jusque-là d'entendre parler d'un Rojava autonome, nul doute que le Kremlin l'aurait «travaillé» sur la question. Au lieu de cela, peut-être trop confiants en leur bonne étoile, surestimant leurs atouts, les Kurdes syriens ont fait tapis en déclenchant les hostilités et en refusant avec entêtement tout compromis pendant plusieurs jours. Cela étant, ils ont provoqué des vagues d'inquiétude à Damas mais aussi à Baghdad, Téhéran et Ankara (ce n'est sans doute pas un hasard si le sultan a presque immédiatement déclenché son opération Jarablous). Le toujours excellent Moon of Alabama ne s'y est pas trompé, prédisant que la bataille d'Hassaké serait le tombeau des rêves d'autonomie/indépendance kurde. En l'espace d'une semaine, ils semblent avoir tout perdu... (Suite et fin)