Place forte de la révolution de 2011, la cité portuaire de l'Ouest libyen nourrit des sentiments contrastés à la perspective d'un dialogue avec le maréchal Haftar. Misrata fait penser à un colosse meurtri. Le long des avenues, il y a ces prétentieux magasins de vêtements où s'exhibe la dernière mode italienne et, aux ronds-points, de tapageurs panneaux publicitaires. Mais les rues adjacentes portent toujours les stigmates ineffaçables de la révolution de 2011. La grande cité portuaire de l'Ouest libyen, mégapole étalant ses infrastructures industrielles à 200 kilomètres à l'est de Tripoli, est une puissance blessée. Et celui qui tente de décoder ses humeurs après la rencontre du 25 juillet à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), où la quête d'une solution à la crise libyenne a été relancée, ne peut que buter sur cet esprit du lieu: l'ambition endolorie. Fathi Bachagha est un sexagénaire aux cheveux blancs, qui s'installe derrière son bureau de patron d'entreprise. Il est le représentant local de marques de pneus. « Les paroles de paix valent toujours mieux que les paroles de guerre », dit-il. Figure modérée, M. Bachagha incarne la Misrata fatiguée de tous les tourments postrévolutionnaires. Après avoir vécu le martyre de la répression de Mouammar Kadhafi en 2011, la cité avait pris sa revanche au lendemain de la chute du tyran, châtiant sans pitié ses anciens persécuteurs. Elle s'était ensuite rêvée en gardienne des idéaux de la révolution, dominant le pouvoir à Tripoli, puis combattant les villes rivales – telle Zinten –, lors de la guerre civile de 2014, avant de se saigner une nouvelle fois dans la bataille contre l'organisation Etat islamique (EI), en 2016, à Syrte, où elle perdit six cents de ses fils. Après tant de sacrifices, l'heure est venue, implore M. Bachagha, de « construire un vrai Etat ». Alors, il applaudit à cette rencontre de La Celle-Saint-Cloud entre Faïez Sarraj, le chef du gouvernement d'« accord national », et son rival, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l'armée libyenne et homme fort de la Cyrénaïque (Est). En Libye, Paris ignore l'Europe L'accord obtenu par la France entre les deux principaux dirigeants libyens est un joli « coup » politique. Mais Paris aurait dû y associer l'Union européenne, et notamment l'Italie et le Royaume-Uni. Il faut souhaiter plein succès à l'initiative française sur la Libye. L'accord obtenu entre les deux principaux protagonistes de la scène politique libyenne, mardi 25 juillet près de Paris, n'est encore qu'une promesse, un engagement à concrétiser sur le terrain. Mais il fallait un premier pas et Emmanuel Macron ne manquait pas de bonnes raisons pour s'y risquer. Il a bien fait. C'est dans la forme que l'affaire est plus critiquable – et, en diplomatie, la forme, ça compte. Le chaos libyen déstabilise l'Afrique sahélienne et favorise l'implantation de Daech ou d'Al-Qaida La Libye est une priorité pour l'Europe, a fait valoir le président français. Le chaos sanglant qui règne dans cet immense pays – entre Sahel, Egypte et Tunisie – depuis la révolution anti-Kadhafi, il y a six ans, est une menace à facettes multiples. Il pèse sur la stabilité de l'Afrique sahélienne, terre de tous les trafics, où djihadisme et gangstérisme vont souvent de pair. Il est au cœur d'une immigration incontrôlée, source d'infinis malheurs : le traitement des Africains candidats à l'entrée en Europe, livrés à des réseaux de passeurs de type esclavagiste, est inhumain ; l'aventure en mer que leur vendent, cher, ces mêmes réseaux, se termine souvent dans le drame. Enfin, le chaos libyen est propice à l'implantation des djihadistes de l'Etat islamique ou d'Al-Qaida à quelques encablures de l'Europe.