La 37e édition de l'Eden Mills Writers' Festival, prévu le 5 septembre, devait accueillir Aiden Cinnamon Tea, un modèle génératif conçu comme partenaire créatif. Face aux critiques, les organisateurs reconnaissent une communication ratée et un malaise profond dans le milieu littéraire. Aiden a été déprogrammé… Ce rendez-vous littéraire du sud de l'Ontario se tient chaque année dans le village d'Eden Mills, situé à une vingtaine de kilomètres de Guelph. Depuis sa création en 1989, il est devenu l'un des festivals littéraires les plus réputés au Canada anglophone, réunissant chaque automne des dizaines d'auteurs, de poètes et d'essayistes, ainsi que plusieurs milliers de visiteurs. Installé dans un cadre verdoyant le long de la rivière Eramosa, le festival se veut un lieu d'échanges entre écrivains et public, mêlant lectures, tables rondes, ateliers et activités familiales. C'est dans ce contexte qu'était prévu un atelier en ligne intitulé Dear AI, Am I Talking to Myself?, destiné à explorer l'usage de l'intelligence artificielle dans l'écriture. L'événement devait mettre en avant un « auteur » généré par IA, baptisé Aiden Cinnamon Tea. Devant une vague de réactions négatives, les organisateurs ont préféré retirer l'événement, tout en affirmant vouloir maintenir le débat autour de l'IA et de la création littéraire. Dans un communiqué publié dimanche, repris par CBC News, le festival précise que l'objectif initial était « d'inviter à un dialogue réfléchi sur l'impact de l'IA dans l'écriture, y compris ses aspects problématiques et les tensions éthiques et sociales qu'elle engendre ». Mais la manière dont l'événement a été présenté « a manqué sa cible », reconnaissent les responsables. Un « partenariat créatif » Aiden Cinnamon Tea, un modèle génératif utilisé via ChatGPT, a été conçu par Vanessa Machado de Oliveira, ancienne doyenne de la faculté d'éducation de l'Université de Victoria. Avec son aide, elle a rédigé trois ouvrages, dont Burnout From Humans, dans lesquels l'IA est créditée comme co-auteur. Aiden Cinnamon Tea a été présenté comme un dispositif incitant l'utilisateur à réfléchir de manière critique. La démonstration devait être assurée par Shawn Van Sluys, directeur de la Musagetes Foundation, organisme culturel basé à Guelph qui promeut l'art comme outil de transformation sociale et de dialogue communautaire. Une levée de boucliers dans le milieu littéraire La promotion de l'atelier a suscité une vive polémique. Plusieurs auteurs et lecteurs ont dénoncé la place donnée à une IA dans un festival littéraire. « La culture littéraire devrait résister à l'adoption irréfléchie et imprudente de l'IA. C'est une gifle pour tous les auteurs invités », a par exemple déclaré l'écrivain Ian LeTourneau. « Je n'y participerai pas, sachant que les concepteurs d'IA volent le travail des artistes pour entraîner leurs logiciels. Quelle triste trajectoire pour le Eden Mills Writers' Festival », renchérit l'autrice Pamela Dillon. Le directeur du festival, Jasper Smith, a tenu à préciser que l'atelier n'avait pas pour but de « célébrer l'IA comme substitut à l'écriture humaine », mais d'offrir un espace de réflexion, au niveau culturel, éthique et écologique. S'il admet une maladresse dans la promotion de l'événement, il estime que la réaction du public a ignoré ce cadre. « La réponse montre combien il y a de douleur et de colère dans le milieu en ce moment, et nous prenons cela au sérieux », ajoute ce dernier. Shawn Van Sluys, qui devait animer l'atelier, insiste de son côté : « Ce n'était pas une validation de l'IA. C'était une exploration de ce qu'elle est et de ce qu'elle peut être dans un monde où elle est devenue inévitable. » Il devait initialement dialoguer en public avec son co-auteur Aiden Cinnamon Tea, mais interviendra désormais seul…