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La robe rouge et le foulard noir
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 06 - 04 - 2010

J'avais fini de frotter la vaisselle grasse qui s'était empilée sur l'évier après le déjeuner. Un tas d'ustensiles huileux et gluants et puants qui m'avaient esquinté les bras et les nerfs, qui m'avaient fait cracher toutes les grossièretés qui logeaient et logent encore dans les coins sombres et secrets de ma mémoire.
Mais je ne les reproduirais pas devant toi, mon frère. Je n'ai pas envie de courir le risque de t'effaroucher et de bousiller ton magnétophone. Ce ne serait pas une bonne chose puisque tu sembles tenir à conserver mon histoire dans cette machine. Bien que ton corps foisonne de signes qui montrent que tu n'es pas du tout une petite âme innocente, parfumée et délicate comme les pétales d'une rose. Laisse-moi te le dire : la chair de ton visage reflète plûtot des profondeurs marquées de bouffissures remplies de secrets capables de faire exploser le cœur de ta maman chérie. Ta figure de bouffeur de bouquins ne peut pas me tromper. La merde abondante dans laquelle j'ai pataugé au cours de ma vie a aiguisé mon regard. Maintenant je peux percer la carapace la plus dure qui soit. Mais revenons à mon histoire, mon frère.
J'avais fini donc de nettoyer et de ranger la cuisine, la montre accrochée au mur indiquait environ quatorze heures, et je m'apprêtais à aller m'enfermer dans le salon et de danser tout mon soûl, comme j'avais pris l'habitude de le faire chaque fois que mon père et mes frères étaient absents de la maison. C'était des moments délicieux que je m'offrais ainsi ; la musique me permettait d'oublier les murs qui m'encerclaient à longueur de journée, qui me bouchaient la vue, et de calmer ces bouches affamées qui hurlaient dans ma chair depuis des années. Brûlante de fièvre, habillée d'une robe rouge soyeuse qui moulait merveilleusement mon corps, je me trémoussais comme une possédée, les hanches enserrées dans un foulard noir, les cheveux défaits. J'aimais la vie, mon frère, j'aimais mon corps ; j'étais un fruit mûr et appétissant et je craignais de pourrir ; alors je dansais comme une folle, imaginant un mâle me dévorant des yeux, embrasé ; je me tortillais sous les coups de fouet violents et délicieux de la musique ; et de mes blessures coulait en abondance une sève parfumée qui m'étourdissait et ensommeillait pour un moment les souris obstinées qui grignotaient mes nerfs. Mais il était écrit que ce jour-là mon unique plaisir serait violemment saccagé et piétiné par une personne qui allait bouleverser ma vie dans les heures qui suivaient.
En effet, quelqu'un s'est mis à frapper à la porte d'entrée. Les coups n'étaient pas familiers et m'avaient inquiétée et irritée. Ma mère est sortie de sa chambre où elle attendait les péripéties de son feuilleton préféré. Visiblement exaspérée, me jetant des regards affolés, ma mère a chuchoté : «Qui est celui qui vient nous emmerder à cette heure ? Pourquoi ne restent-ils pas chez eux comme moi je le fais ? Pourquoi éprouvent-ils le besoin de déménager tout le temps leur carcasse de viande pourrie dans les maisons des autres ? ... Va voir ma fille qui est la créature qui a décidé aujourd'hui de me tirebouchonner les nerfs, que Dieu nous présèrve ! .
Comme d'habitude, comme l'exigeait sévèrement maman, avant d'ouvrir, j'ai d'abord changé de robe et me suis brossé soigneusement les cheveux. C'était une petite femme enveloppée dans un voile blanc qui avait frappé à notre porte. Je me souviendrai jusqu'à la tombe de l'odeur pesante et désagréable qui s'est engouffrée dans le couloir lorsque j'ai ouvert. Une nausée a empoigné mon estomac et s'est mise à le contracter, provoquant en moi une envie de vomir. Pourtant, la lumière crue qui coulait du ciel divulgait un voile d'une blancheur éclatante. Cependant, plus tard, je découvrirai que cette odeur ne venait pas d'effets vestimentaires malpropres, ni d'un corps crasseux, mais appartenait à cette femme comme lui appartenait la couleur de ses yeux ou le timbre de sa voix.
Cette créature était venue demander ma main à son fils aîné. Nous ne connaissions pas cette femme. Nous ne l'avions jamais vue auparavant. Selon elle, c'était une de nos voisines nommée Rachida qui lui avait indiqué notre adresse. Maman lui avait promis de lui donner une réponse dans les jours qui venaient, et le soir même, sitôt mon père rentré à la maison, elle l'avait consulté sur le sujet.
J'avais vingt-deux ans. Pour beaucoup de mauvaises langues, sûrement que j'étais déjà une vieille fille. En plus, je m'étais aperçue que je commençais à donner des inquiétudes à mes parents. Maman surtout n'arrêtait pas de pousser des soupirs et des allusions qui m'atteignaient comme des crachats. Et à intervalles réguliers, elle brûlait de l'encens et enfumait tous les recoins de la maison, murmurant des incantations, pour conjurer le mauvais sort et éloigner le mauvais œil.
C'est pourquoi, je n'ai pas hésité une seconde lorsqu'on m'a demandé mon avis, me contentant de la photographie de mon prétendant et des paroles louangeuses de notre voisine Rachida qui semblait bien connaître la famille de celui-ci. Et c'est ainsi qu'un jour, mon frère, je suis devenue l'épouse du fils aîné de cette femme qui m'avait gâché ma danse six mois plus tôt.
La nuit de notre mariage, en entrant dans la chambre où il était écrit qu'il allait faire couler quelques gouttes de mon sang, comme moi qui l'attendais comme une pastèque mûre, comme toutes les femelles surexitées et fiévreuses qui jetaient des youyous stridents derrière la porte, comme tous les hommes que j'entendais chanter et applaudir dans la rue, il ignorait bien sûr que dix ans plus tard, je lui trancherais le cou avec un couteau de boucher. La vie, mon frère, est une immense plaisanterie ! Cette nuit-là, comment aurait-il pu savoir qu'il étreignait et caressait sa propre mort ? Mais il n'est pas exclu qu'il ait pressenti la chose. Qu'en savons-nous, mon frère ?
Une fois éteinte l'effervescence provoquée par notre mariage, le vacarme avait cessé, le silence était revenu, et à ma grande déception, nous avons vite rejoint, moi et mon époux, l'immense troupeau incolore des gens mariés. En vérité, mon frère, ma chair brulait du désir de mener une vie ardente, de redanser pour mon époux toutes mes danses solitaires. J'avais emporté dans mes valises ma robe rouge, mon foulard noir, mes cassettes de musique et des parfums enivrants. Je m'étais juré de le rendre heureux, de le combler, de débarrasser son corps des épines vénéneuses qui empêchent chez nous les hommes de mûrir.
Certes, étant jeune fille, je n'avais jamais rencontré sur mon chemin un seul couple heureux. C'était toujours une vie étouffante et mesquine, entrecoupée de mensonges, de larmes et de hurlements. Les maisons où régnait le silence étaient souvent des maisons où la femme était écrasée et fermait sa gueule. Cela me choquait. Je me torturais la cervelle à essayer de comprendre cette absence de joie de vivre et d'amour ; ce tintamarre qui remplissait à longueur d'année presque tous les foyers ; cette lourde tristesse qui accablait les gens autour de moi ; ces nerfs tendus à craquer ; ces insultes que faisaient jaillir des bouches des mots ou des gestes ridicules. J'avais le sentiment épouvantablement angoissant d'être entourée de gamins dérangés. Mais cela ne m'avait jamais empêchée de rêver à un petit bonheur. Car mes rêveries n'étaient pas exagérées et exigeantes. J'ai su tracer des limites raisonnables autour de ce que j'attendais de ma vie d'épouse.
Ainsi donc, quelques jours à peine après la nuit de noces, j'ai compris que je ne devais rien attendre de mon époux. Nous étions dans notre chambre, il faisait nuit. J'ai mis ma robe rouge, j'ai défait mes cheveux, j'ai enserré mes hanches dans le foulard noir, j'ai mis de la musique, et je me suis mise à danser, langoureusement. De temps à autre, je jetais un coup d'œil sur son visage. Il était allongé sur le lit, face à l'écran de télévision, et semblait ne pas me voir du tout. J'ai continué à onduler ma chair. Mais il était de marbre. Encore pire, il montrait des signes d'impatience, de désapprobation. Quelques minutes plus tard, on a entendu frapper à notre porte. C'était sa mère. Elle a dit : « Viens me tenir compagnie au lieu d'écouter cette musique du Diable ! ça fait plus d'une heure que je suis assise seule comme une folle ! Et n'oublie pas que nous avons des voisins ! Que vont-ils dire de moi et de toi maintenant qu'ils ont entendu ce tapage impie ! Lève-toi, c'est l'heure de la prière ! » Il s'est levé aussitôt et a quitté la chambre pour aller la rejoindre. C'est à ce moment précis que je me suis aperçu brusquement, que mon mari dégageait la même odeur fade que celle que j'avais sentie sur sa mère, le jour où elle était venue demander ma main pour son fils. Et la même envie de vomir qu'alors s'est emparée de mes entrailles, et j'ai dégueulé en pleurant de douleur et de rage.
Deux mois plus tard, j'ai découvert qu'il lui arrivait souvent de se réveiller la nuit et de quitter notre chambre, pour aller achever son sommeil dans la pièce où dormait ma belle-mère. Ils étaient presque tout le temps ensemble. Dès qu'il rentrait, elle l'appelait d'une voix exigeante, autoritaire, et il se pressait pour aller s'asseoir auprès d'elle. Ils parlaient pendant des heures de choses et d'autres, et montraient une grande irritation quand quelqu'un s'approchait d'eux.
Ce qui me blessait, mon frère, c'était surtout sa langue. Il ne se contentait pas de m'abandonner, de me laisser moisir dans la solitude, mais il m'insultait aussi, sans raison, pour des futilités. Il avait une gueule qui lançait des paroles plus venimeuses que le poison d'une vipère ! Comme celle de sa mère. Deux cordes solides et résistantes les liaient l'un à l'autre : une odeur lourde et nauséeuse qui imprégnait toute la maison, et une langue pointue et fielleuse !
Les jours s'écoulaient, mon corps dépérissait à vue d'œil, et la haine s'est mise à se creuser une tanière au fond de moi, doucement, constamment, obstinément. J'enrageais de pourrir dans cette maison de fous, de vivre les mains toujours plongées dans une vaisselle dégoûtante ou un linge puant leur crasse et leur odeur, de voir ces deux créatures flasques et sournoises chuchoter sans répit ! Les voix affamées qui déchiraient ma chair pendant ma virginité, aboyaient maintenant avec plus de force et de violence. Je me réveillais la nuit, haletante, tendant follement les mains vers les fantasmes qui quittaient mon imagination et se glissaient dans mon lit, brûlante, sauvage, débridée.
C'est pendant une de ces nuits que j'ai décidé de le tuer, mon frère. Une semaine plus tard, je lui ai administré un verre de lait contenant des somnifères pilés. Nous étions dans notre chambre. Quelques minutes plus tard, il a manifesté des signes de fatigue. Visiblement, il se remuait lourdement. Alors, j'ai fermé la chambre à double tour, ensuite j'ai tiré un couteau de boucher que j'avais caché dans un des tiroirs de la coiffeuse. Je l'ai d'abord débarrassé de ses vêtements. Lentement. Il me regardait avec des yeux hagards et essayait de parler et de bouger. Vainement. Quand il a vu ma main armée du couteau s'approcher de sa gorge, des larmes ont jailli de ses yeux.
Le juge, un bouffeur de bouquins comme toi, le visage las et la voix éraillée, m'a demandé si je voyais l'atrocité de mon crime et si je regrettais le meurtre horrible de mon mari. Je lui ai dit : «Jugez-moi comme on vous a appris à le faire dans les livres et ne me posez pas ces questions qui n'ont pour moi aucun sens, monsieur ! Vous ne pouvez pas me comprendre ! Je n'ai pas tué mon mari, je l'ai purifié !» Alors, ils m'ont condamnée à mourir.
Tu peux éteindre maintenant ta machine, je n'ai plus rien à te dire, mon frère. Mais je voudrais te demander quelque chose avant que tu partes. Va voir ma mère, je lui ai demandé de te remettre un paquet contenant ma robe rouge, mon foulard noir et mes cassettes de musique. Promets-moi d'en prendre soin. Après qu'ils me tueront, mon fantôme viendra voir si tu tiens tes promesses, bouffeur de bouquins !


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