Le passage au professionnalisme est un virage majeur pour le football algérien. A condition de ne pas le rater. Si Tahar Cherif El-Ouazzani n'a pas les diplômes requis pour entraîner une équipe de première division, selon la réglementation édictée par la Fédération Algérienne de Football. Par contre, l'entraîneur du Mouloudia d'Oran semble avoir les qualifications nécessaires pour faire imam. Selon un quotidien algérien, dont un envoyé spécial a suivi le stage effectué au Maroc par le Mouloudia d'Oran, Cherif El-Ouezzani a en effet exigé de ses joueurs qu'ils effectuent la prière ensemble. Il faisait même la tournée des chambres pour les rassembler à cet effet, précise le journal. L'équipe actuellement la mieux structurée de l'Ouest du pays, le WA Tlemcen, risque elle aussi d'entamer la saison sans entraîneur. Fouad Bouali, qui a réussi à y réintroduire une certaine discipline et à lancer plusieurs joueurs de bon niveau, ne possède pas non plus les diplômes requis. Tout comme Cherif El-Ouazzani, il continue d'assurer l'entraînement, mais il ne sait pas s'il sera sur le banc ce week-end, lors de la première journée de championnat. Au Mouloudia d'Alger, champion d'Algérie en titre, l'entraîneur Alain Michel fait face à une autre difficulté. Il n'a pas été payé. Il réclame 85.000 euros. Et il y va franchement dans ses déclarations publiques. Il n'est pas interdit de réclamer ses droits, rappelle-t-il, tout en soulignant que les joueurs ne doivent pas être pris en otage. L'entraîneur du Mouloudia d'Alger fait allusion aux présidents de clubs qui embauchent à tour de bras, distribuant les milliards comme on distribue la petite monnaie le jour de l'Aïd, avant de se retrouver face à une masse salariale qu'on est incapable d'honorer. Malgré un budget pharaonique, qui frôle les cinquante milliards, l'ES Sétif est, par exemple, incapable de payer les arriérés de ses joueurs et entraîneurs. C'est que le président de Sétif, Abdelhakim Serrar, ne lésine pas sur les moyens. Il s'est payé trois joueurs pour sept milliards. Sans compter les stars qui sont déjà à Sétif, comme Hadj Aïssa, Chaouchi et Lemouchia, et qui valent autour de deux milliards chacun. Pour obtenir la signature de six joueurs, Sétif dépense donc des sommes supérieures au budget de nombreuses équipes. Aucune équipe n'a réussi, jusque-là, à tenir de rythme de cette fuite en avant imposée par le président de l'Entente de Sétif. Soutenu par l'administration, il a endetté le club à un niveau record, en attendant le fameux crédit de dix milliards qui doit être accordé à chaque équipe lors du passage au professionnalisme. Mais en attendant cette transition majeure dans le football algérien, il faut bien reconnaître que les choses ont peu évolué. Après avoir créé des SARL ou des SPA, les présidents de clubs continuent de gérer de la même manière. Serrar n'a toujours pas payé ses joueurs et entraîneurs, recrutés au prix fort. Mahfoudh Kerbadj, président du Chabab de Belouizdad, ne sait toujours pas comment boucler la fin du mois ; et les autres présidents attendent de l'argent sous forme de sponsoring, mécénat, subvention ou crédit, peu importe, pourvu qu'ils puissent en disposer ; un argent qui sera ensuite remis au noir à des joueurs qui ne paient pas d'impôts. Quant à Hannachi, président de la JSK, il revendique haut et fort le professionnalisme mais jure qu'il ne paiera pas la facture de onze millions de dinars que représente la location d'un avion spécial affrété lors du déplacement au Nigeria. Et il n'hésite pas à accuser la FAF, qui lui a envoyé la facture, de vouloir tout simplement casser la JSK ! Faut-il conclure, à travers ces comportements, que le football algérien est condamné au bricolage, malgré le passage à un professionnalisme de façade? Pas forcément, car le professionnalisme peut devenir une véritable aubaine pour instaurer de nouvelles règles dans le monde du football. A condition que la FAF et le ministère des Sports jouent pleinement le jeu. Il faudrait que la FAF et le ministère des Sports rappellent aux présidents de clubs et aux joueurs qu'une SPA, propriété privée, ne peut être renflouée par l'Etat ; qu'un avion spécial transportant les joueurs d'une équipe de football, c'est-à-dire une entreprise privée, ne peut être payé par l'argent du contribuable, même si la décision de payer les déplacements des clubs en Afrique paraît raisonnable ; qu'un footballeur est un travailleur ayant certaines obligations, comme celle de payer ses impôts ; qu'un président de club, aussi riche et puissant soit-il, ne peut déclarer qu'il est le patron et qu'il peut virer qui il veut. Mais il est fort probable que ni la FAF ni le ministère des Sports ne sont prêts à tenir un tel discours. Les autorités préfèrent en effet préserver la paix des stades, y compris en distribuant l'argent à tort et à travers. Les présidents de clubs, dont certains sont devenus de véritables potentats locaux, ont raison de tirer profit de l'aubaine. Pour devenir des prédateurs professionnels.