« Il nous fallait absolument une opération commando de ce genre, que nous voulions surtout spectaculaire et psychologique, pour démontrer à la population médéenne autant qu'aux forces coloniales que l'Armée de libération nationale (A.L.N) était toujours présente sur le terrain. Contrairement à ce que faisait croire l'ennemi en utilisant la propagande basée sur le mensonge ». C'est ainsi que commence le récit, très détaillé et empreint d'une grande émotion, de l'attaque surprise, très spectaculaire, dont fut l'objet le 14 août 1961 aux environs de 20h15, juste après la prière du Maghreb, le bar-restaurant « la Crémaillère» situé dans une rue (l'ex-rue Jean Richepin) du centre-ville de Médéa. Un bar restaurant devenu aujourd'hui un local commercial pour vaisselle après être resté jusqu'à l'année dernière (2010) tel qu'il a toujours été avec la restauration en moins. Un café dont le comptoir portait toujours les traces des balles tirées cette nuit-là du 14 août 1961 par les six membres de ce commando de choc. Cette ex-rue Jean Richepin qui porte aujourd'hui justement le nom d'un de ces six commandos : Ahmed Ferrah dit «Ahmed Ellouhi». Et celui qui nous parle ainsi n'est autre que M.Mahmoud Toubal-Seghir dit «Tcheknoun», le responsable politico-militaire de l'époque, chargé de la région locale (zone 2) englobant Drâa Smar (ex-Lodi), Ramezguida (ex-Mouzaïa les Mines), Aïn D'heb (ex-Damiette), Ghezazguida et Oued Lahrèche. Cette zone 2, celle de la ville de Médéa et de tous ses environs de la wilaya IV historique. En effet, avec ses 70 grandes batailles, 272 accrochages, 205 embuscades, 223 opérations de sabotage, 65 attaques contre des postes ou casernes et 173 opérations de fidayîn et autres commandos de choc, cette zone 2 de la wilaya IV historique aura écrit en lettres d'or sa participation à la guerre de libération nationale. Pour en revenir à cette attaque du bar-restaurant « la Crémaillère », M.Mahmoud Toubal-Seghir dit « Tcheknoun » nous dira : « De grosses difficultés commençaient à se faire sentir dans les maquis avec, entre autres, le nombre toujours en diminution des djounoud, le manque ou l'insuffisance de l'armement et de l'habillement, la lassitude qui commençait à gagner quelque peu certains djounoud D'où la décision prise par les responsables politico-militaires de la wilaya IV de transporter la guerre des maquis vers les villes, c'est-à-dire renforcer la guérilla. Et de laisser la liberté d'action pour chaque responsable politico-militaire local. Partant de là, j'avais pris la décision d'attaquer ce fameux bar-restaurant «la Crémaillère» pour deux raisons essentielles : d'abord, il se situait à une cinquantaine de mètres du commissariat de police de l'époque, aujourd'hui transformé en centre médico-social (CMS) de la sûreté de wilaya et donc dans une rue très fréquentée par les Français surtout. Ensuite, ce bar-restaurant était le lieu de rencontres privilégié des gendarmes tortionnaires, des soldats et surtout d'officiers de l'armée coloniale ». Avec une émotion de plus en plus poignante « Mahmoud Tcheknoun » poursuivra : « Deux mois de préparation avaient été nécessaires, comportant particulièrement l'étude du terrain, les différentes possibilités de repli après l'attaque, le choix des hommes du groupe et de l'agent de liaison, le choix d'un domicile proche de ce bar-restaurant car nous nous devions y passer la nuit du 13 au 14 août 1961 et toute la journée du 14 pour espérer pouvoir réussir l'opération. Le groupe se composait notamment de Abdelkader Chaâbouna », Ahmed « Ellouhi », Mohamed Seghir de Hananche, un certain Fodhil (le premier est décédé après l'indépendance et les trois autres avant), Ahmed « Hamam Mélouane » (encore en vie) et moi-même. Le domicile qui avait été choisi et retenu étant celui de M.Mohamed el-Mohri (aujourd'hui décédé) situé en contrebas du bar-restaurant en question, du côté de la rue de Aïn El Mordj. Avec un plan d'attaque mûrement réfléchi, nous fîmes irruption dans le bar en laissant « Châabouna » et Moha-Sghir au guet dehors. Et le bilan rapporté une journée après cette attaque, par le journal colonial « l'Echo d'Alger » avait fait état de huit morts et quatorze blessés parmi les consommateurs de ce bar-restaurant. Alors que nous n'avions déploré qu'un seul blessé léger, Fodhil qui avait été touché à l'épaule, à partir d'une fenêtre, au moment où nous nous retirions et qu'il tirait des rafales en l'air en signe de joie. Nous avions su par la suite que le nombre des morts et des blessés était beaucoup plus élevé que celui reconnu par les forces d'occupation. Et ce, conséquemment au grand nombre de chargeurs de nos mitraillettes Mat 49 que nous possédions et que nous avions presque vidés sur tout ce qui bougeait». Et Mahmoud Tcheknoun d'ajouter: «A la fin de l'attaque, et au moment de quitter les lieux, nous avions lancé une grenade à l'intérieur du bar, qui avait effectivement explosé, après avoir auparavant laissé une lettre sur les cadavres et où l'on pouvait lire notamment en français: à l'intention de la soldatesque française, la révolution est toujours là, debout, grâce à tous ses enfants. Nous sommes capables de vous frapper n'importe où, quand nous voulons et avec plus d'aisance qu'aujourd'hui. pc3 Et nous reviendrons».