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Ali Shariati ou Ali Belhadj
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 02 - 11 - 2017

«Je n'ai pas de religion, mais si je devais en choisir une, ce serait celle de Shariati.» Jean-Paul Sartre
Quand on lit Ali Shariati on comprend bien qu'il existe une autre voie que l'islamisme algérien aurait pu emprunter, un islamisme moderne tel celui préconisé par Ali Shariati dans son ouvrage «La theologie de la Libération».
L'islamisme algérien est sans contexte une idéologie conservatrice et reactionnaire de par ses références idéologiques, ses choix politiques et de par sa pratique sur le terrain.
Comment un tel courant fascisant a pris en otage la foi de millions d'Algériens avec les résultats qu'on connaît? Pourquoi les idées de Ali Shariati n'ont pas eu d'échos dans le pays de la Libération quand on sait que Ali Shariati était proche de l'Algérie et qu'il était le compagnon de Frantz Fanon et de bien d'autres révolutionnaires tiers-mondistes ayant épousé la cause algérienne?
En plus bref, pourquoi les idées de l'extrémiste Ali Benhadj ont pris le dessus sur celles de Ali Shariati l'islamiste humaniste, moderniste ?
Ali Shariati est mort à 44 ans en 1977 alors qu'il avait réussi à quitter l'Iran après avoir été détenu pendant 18 mois par la SAVAK, police secrète du Shah, puis libéré après les accords d'Alger et assigné à résidence. Il est trouvé mort le 19 juin à Southampton (Angleterre). A vingt ans (1953), il était devenu membre du Mouvement de la Résistance Nationale, était arrêté en 1957 pour ses activités et obtenait en 1959 une bourse d'études en France où il collabore avec le FLN et rencontre Frantz Fanon et son oeuvre, assimile toute une littérature révolutionnaire et tiers-mondiste. Il est l'élève en islamologie de Louis Massignon et de Jacques Berque, de G. Gurvitch et Henri Lefebvre en sociologie et fut influencé en philosophe par le courant phénoménologique et existentialiste via Sartre et Merleau-Ponty, avant de repartir en Iran en 1964 avec un doctorat es lettres, ce qui ne l'empêche pas d'être arrêté à la frontière et incarcéré.
Son engagement politique lui a valu prison, torture et exil. Sa mort prématurée, en Angleterre, en 1977, à l'âge de quarante-quatre ans, dans des conditions suspectes, n'a jamais été élucidée mais de nombreux observateurs l'attribuent à la police secrète du Shah, la Savak.
Parti de positions national-révolutionnaires anti-impérialistes, Shariati a trouvé dans l'islam l'inspiration qui lui a permis de se façonner une conception indépendante à l'égard des deux blocs qui s'affrontaient durant la guerre froide. Bien avant son séjour d'études en France, Shariati s'est familiarisé avec les grands courants philosophiques qui pouvaient inspirer une résistance anticapitaliste comme le marxisme et l'existentialisme. Même lorsqu'il soulève leurs contradictions internes ou leur désaccord avec la conception islamique du monde, Shariati n'hésite pas à en emprunter une approche méthodologique, voire une analyse circonstanciée de certains phénomènes sociaux et politiques. Shariati ne s'est pas seulement intéressé au grands auteurs européens mais aussi à des auteurs qui ont été marqués particulièrement par l'expérience de la colonisation /décolonisation comme Frantz Fanon qu'il a traduit en persan.
Le principal problème développé dans les études de Shariati est sûrement celui de l'aliénation.
Dans sa relation à la culture occidentale, le colonisé incorpore le regard dévalorisant que l'Occident porte sur sa culture, son peuple où sa civilisation et devient, par la force de ce discours hégémonique, un aliéné.
L'intellectuel colonisé auquel on a enseigné la supériorité de la culture occidentale par rapport à sa propre culture est objectivement aliéné. Pendant des années, il a tout fait pour faire sienne une culture qui lui enjoignait de se départir de sa culture d'origine, considérée comme inférieure et archaïque. Cette culture inculquée le condamnait à haïr son être profond et à adorer la culture de son oppresseur. Le stigmate visible de cette aliénation peut se voir dans le mépris dans lequel l'intellectuel colonisé ou post-colonisé tient sa propre culture ou son propre peuple.
D'après Ali Shariati, le stigmate même de l'aliénation se trouve dans les goûts culturels que les jeunes intellectuels colonisés ont développé ou plus exactement que l'on a développé chez eux. Loin de se passionner pour les écrits de philosophes, d'historiens ou de divers écrivains qui partagent objectivement les mêmes conditions sociales et les mêmes conditions idéologico-culturelles qu'eux, leurs regards se tournent exclusivement vers cet Occident dominateur qui les aliène. Par l'absence d'un regard critique sur la production culturelle de l'Occident et par l'ignorance de la production intellectuelle des autres pays du Sud, l'intellectuel colonisé et post-colonisé entretien et renforce les chaînes qui l'attachent à la culture dominante.
La désaliénation de l'intellectuel colonisé ou post-colonisé, d'après Ali Shariati, doit se faire par une rupture consciente avec certaines questions posées par les intellectuels occidentaux qui ne sont pas des questions prioritaires pour les populations qui appartiennent à des peuples et des cultures dominés. L'intellectuel colonisé ne doit plus dépendre culturellement et idéologiquement des questions posées par l'Occident mais doit être capable de poser de manière autonome ses propres questions, de développer ses propres problématiques et de chercher ses propres réponses. Il doit être capable d'établir la hiérarchie des priorités dans son questionnement idéologico-culturel. S'il ne le fait pas, il deviendra l'un des principaux propagateurs d'une fausse conscience parmi la masse dominée et finalement l'égarera au lieu de lui fournir les armes intellectuelles de son émancipation. « Si j'étais, nous dit Ali Shariati, Allemand j'adorerais Brecht ; mais étant Iranien, je n'entends absolument pas sa langue et je ne sais pas à quoi Brecht peut me servir. Il a d'autres préoccupations, d'autres maux - pour lesquels il a prescrit tels remèdes - que moi ; il a mal à la tête alors que j'ai mal au ventre ; sa prescription ne me concerne pas, comment pourrait-elle me soulager ? Brecht a vu deux guerres internationales, il a derrière lui trois siècles de machinisme. Moi, je n'ai pas, comme lui, vu la guerre mondiale ; je ne sais pas du tout ce qu'est le machinisme, ce qu'est la bourgeoisie ; aussi, sa philosophie ne m'est d'aucun recours. Si je suis inquiet, c'est pour mon combustible d'hiver, pour mon travail, pour l'éducation de mon enfant. Telle est mon inquiétude. Celle de Brecht est d'un tout autre ordre : il se demande ce qu'il est dans cette existence. »
Comme le préconise Ali Shariati, le retour à lui-même de l'intellectuel colonisé doit tout d'abord passer par une relecture critique de la culture occidentale qui lui a été inculquée. Cette relecture critique doit lui permettre non pas de rejeter globalement la culture occidentale mais de sortir de la fascination aliénante qu'exerce celle-ci sur les jeunes intellectuels colonisés et post-colonisés.
L'intellectuel colonisé doit, d'après Ali Shariati, se tourner vers de nouvelles sources de réflexion. Il doit établir un dialogue intellectuel avec les autres peuples dominés qui ont des problèmes comparables, voire même identiques, aux siens. Pour cela, l'intellectuel colonisé doit impérativement s'ouvrir à l'ensemble de la culture produite dans les pays du Sud et se détacher de la culture dominante produite en Occident. Selon Ali Shariati, « au lieu de Brecht nous devrions connaître Kateb Yassine ; au lieu de Jean-Paul Sartre, Omar Mawloud ou Amar Ouzeghane ; à la place d'Albert Camus, Aimé Césaire et Franz Fanon. En les connaissant, nous nous reconnaîtrions, alors qu'en nous tournant vers ces intellectuels occidentaux, nous nous éloignons de nous-mêmes d'autant plus que nous les comprenons ».
Ali Shariati qui est un musulman pra-tiquant, voit dans la spiritualité un moyen actif de résister à la domination culturelle et de lutter contre l'aliénation des jeunes intellectuels du Sud. La spiritualité est perçue par Ali Shariati comme l'outil central de la libération de l'homme colonisé ou post-colonisé. Dans la perspective de l'intellectuel iranien, l'Islam n'est pas seulement une foi individuelle mais le fond culturel, la source profonde d'inspiration, qui doit permettre aux dominés, aux « mostadhafin » pour reprendre ses termes, de résister à la domination occidentale. En fait, il développe une véritable théologie politique qui insiste sur la dimension politique et sociale qu'induit, où que devrait induire, le sentiment religieux. Il refuse la tendance bourgeoise à « privatiser » la religion, c'est-à-dire à faire de la foi une affaire purement privée au service des fêtes traditionnelles, d'un réconfort hédoniste et d'un espoir d'un salut purement individuel. La croyance doit, selon lui, nécessairement déboucher sur un engagement public du croyant en faveur de tous les opprimés, les « mostadhafin », et pour une justice globale, c'est-à-dire aussi bien sociale que politique et culturelle.
Une fois cette spiritualité active développée dans l'esprit des jeunes, toute forme d'aliénation sera, selon Ali Shariati, rendue impossible. L'intellectuel colonisé aura les armes idéologico-culturelles pour se défendre contre la fascination que la culture dominante de l'Occident exerce sur sa génération et sur l'ensemble du monde dominé.
Mais comment s'exerce cette domination idéologico-culturelle ? Comment s'est mise en place une relation ontologiquement inégalitaire qui unit fondamentalement savoir et pouvoir, dans les relations entre l'Occident et les « autres » ?
Ces questions furent posées en terme très clair par Ali Shariati. « Qu'a fait l'Occident pour parvenir à aliéner l'Orient de ses ressources matérielles, à le rendre inapte à les exploiter ? Qu'a-t-il fait pour le couper de ses sources spirituelles, pour le rendre incapable de les mettre en valeur ? »
Pourtant, l'étude de l'Occident fut préconisée par Ali Shariati. Il considérait cette étude comme un outil nécessaire au peuple dominé par l'Occident pour rompre leur subalternité. L'intellectuel iranien disait qu'« il faut savoir que le meilleur instructeur pour une nation luttant pour conquérir son indépendance et sa propre personnalité nationale n'est autre que son ennemi, celui même qui lui a ôté cette personnalité nationale. Il nous faut donc connaître comment l'Occident nous a privé de nos sources culturelles et spirituelles, comment il a fait de nous, Orientaux, une génération incapable d'exploiter ces immenses mines regorgeant des richesses de l'esprit, de la pensée, de la morale, de la culture - au sens large - inapte à transformer ces abondantes réserves intellectuelles. Il nous faut reconnaître les chemins qu'il a parcourus, les méthodes qu'il a pratiquées, les tours et ruses qu'il a employés pour parvenir à ses fins. Il nous faut comprendre comment cet Orient qui brillait par sa culture et son esprit, que l'on considérait comme origine de la culture mondiale et berceau de la civilisation humaine, est devenu aujourd'hui synonyme de sauvagerie, d'arriération et décadence. »
«Nous voyons, affirme Ali Shariati, une analogie entre le destin économique et destin spirituel de l'Orient, une analogie étroite. Une nation qui ne peut, au point de vue technique, produire ses propres ressources matérielles restera, tout en possédant de telles ressources, dans le besoin. De même, une nation qui ne peut connaître et exploiter ses sources culturelles et spirituelles, qui s'avère incapable de les passer au crible pour les transformer en énergie positive, demeurera ignare et à la traîne, même si elle détient tout un amas de sources. Cette similitude se retrouve au niveau du rôle des ressources culturelles ou matérielles dans l'évolution de la société : une société qui ne peut exploiter par ses propres moyens ses ressources, fait appel à celle qui en est capable et, bientôt, elle constate que sa pitance provient de l'étranger.
l'Orient se doit d'œuvrer non seulement pour connaître ses ressources en matières premières et la technique de leur exploitation et de leur transformation en énergie et en matière de consommation, mais aussi afin d'exploiter et de tamiser ses ressources culturelles ; c'est ainsi qu'il pourra se libérer de la misère et du sous-développement, qu'il pourra atteindre le bien-être spirituel, la créativité et le progrès intellectuel et de l'esprit ; tout comme il s'efforce de ne plus dépendre des produits de consommation et de l'industrie européenne : indépendance économique, l'Orient doit s'appliquer à ne plus dépendre de la production spirituelle occidentale et de ses objets de consommation idéologique ; indépendance morale et spirituelle. Il n'est pas possible qu'une nation puisse devenir économiquement indépendante sans l'être spirituellement ; ces deux libérations sont complémentaires et liées. Autrement dit, je dois acquérir, du point de vue de l'esprit et de la conscience, une personnalité indépendante de l'Occident afin de pouvoir me trouver une personnalité économique, sociale et matérielle véritablement autonome ; et, vice versa...»
Afin d'être réellement indépendant de l'Occident et de rompre avec le discours construit dans les lieux de production du savoir du Nord, l'intellectuel colonisé devra, comme le préconise Ali Shariati, faire un retour sur l'histoire de son peuple, de son continent, de sa civilisation. Ce retour à l'histoire ira bien souvent de pair avec une recherche d'authenticité culturelle qui est assez proche du phénomène de réappropriation culturelle évoqué plus haut.


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