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Rachid Boudjedra, insupportable et indispensable
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 09 - 11 - 2017

Boudjedra rate sa cible. Il voulait viser le révisionnisme, il s'est tiré une balle dans le pied.
A force de tirer sur tout ce qui bouge, Rachid Boudjedra a perdu ses derniers supporters. Certes, il garde encore des lecteurs, amoureux de sa littérature ; des partisans, soucieux de défendre un libertaire assumé ; quelques alliés aussi, sensibles à ses positions anti-islamistes radicales. Mais il est difficile de trouver des gens susceptibles de soutenir Rachid Boudjedra sur la base d'idées clairement formulées, ou de positions exposées et assumées de manière cohérente.
C'est que l'homme est déroutant. Il peut écrire des textes de très haute facture, défendre des idées d'une grande originalité, brillantes, avant de se laisser aller à des inepties, à des contradictions évidentes et à des contre-vérités inutiles. Il ne s'agit pas seulement de narcissisme, mais de toute la complexité d'un homme, capable de s'élever à des traits de plume géniaux, avant de sombrer dans des considérations ridicules.
Son dernier livre a parfaitement résumé le personnage. Dans «Les contrebandiers de l'histoire»(1), Rachid Boudjedra s'est attaqué à l'écrivain Kamel Daoud sur la base d'une information fausse, grave, dangereuse. Il l'a tout simplement accusé d'avoir appartenu au GIA. Comment un homme de l'écrit, avec toute son expérience, peut-il commettre une bévue aussi stupide ? Comment descendre à ce niveau-là alors que sa trajectoire, jusque dans les années 1980, en faisait un candidat légitime au Nobel de littérature ? C'est d'autant plus étonnant que le dernier livre est un pamphlet, destiné à mettre des gens en accusation. Comment porter des accusations aussi graves sur la base d'arguments aussi farfelus, au risque de détruire tout l'argumentaire du livre ?
Pétard mouillé
Le résultat est déplorable. Acculé, Rachid Boudjedra a été contraint de reconnaître son erreur, et d'annoncer qu'il va retirer le passage en cause de la prochaine édition. Entre-temps, Kamel Daoud avait annoncé qu'il déposerait plainte. Ce qui débouche sur une situation ubuesque : Kamel Daoud peut désormais affirmer qu'il s'est engagé dans deux procès dans sa vie, l'un contre Hamadache, salafiste islamiste, et Boudjedra, salafiste de la pensée unique !
La polémique sur cette accusation contre Kamel Daoud a en outre occulté le contenu du livre de Boudjedra, alors que l'auteur espérait un impact aussi fort que celui provoqué par «Les intellectuels faussaires» de Pascal Boniface. L'amateurisme de Boudjedra a transformé un coup de canon en un pétard mouillé, l'obligeant à se confondre en explications oiseuses et en déclarations sans intérêt. Alors que son livre devait constituer le coup d'éclat du Salon du Livre, il s'est retourné contre lui, montrant ce que ses adversaires considèrent comme de la mégalomanie, du narcissisme, voire de la jalousie, signes d'un ego démesuré. Le «papy» Boudjedra a été traîné dans la boue par une nouvelle génération d'écrivains avides de reconnaissance, mais c'est lui qui a fourni les munitions.
Guerre d'ego
Parmi les réactions au livre de Boudjedra, une des plus virulentes est venue de Yasmina Khadra, probablement un des rares hommes de lettres algériens à dépasser l'auteur de «L'escargot entêté» en matière de mégalomanie. «Puisse mon mépris te toucher comme une grâce, et t'éveiller au ridicule dans lequel tu te complais comme le ver dans le fruit», écrit Yasmina Khadra à l'adresse de Boudjedra.
Ce dernier avait écrit «Le FIS de la haine» dans les années 1990, un brûlot anti-islamiste au moment où le terrorisme était à son apogée. Cela n'empêche pas Yasmina Khadra de l'accuser d'avoir fui l'Algérie. «Lorsque tu te terrais à Paris, durant la décennie noire, je menais une guerre atroce dans les maquis terroristes. Sans mes compagnons de combat et mes milliers de morts, jamais tu n'aurais remis les pieds en Algérie», ajoute-t-il, avant cette «divine» conclusion: «Puisse Dieu pardonner tes aigreurs, puisque je te pardonne».
Révisionnisme rampant
Ces échanges d'amabilité ont, de fait, occulté le message qui était au cœur du livre de Boudjedra : la dénonciation de ce qui apparaît, à ses yeux, comme une trahison, avec des artistes algériens recherchant une consécration en France, grâce au soutien de milieux politiques et d'intellectuels français «connus pour leur hostilité envers l'Algérie», selon la bonne vieille formule d'El-Moudjahid. Tout cela débouche sur une sorte de révisionnisme rampant, dépassant le simple monde des arts et des lettres, pour s'étendre aux symboles de l'Algérie.
Dépit, jalousie, aigreur d'un écrivain dépassé, répondent en cœur les détracteurs de Boudjedra. Mais le fait est que ce qu'il est écrit n'est pas dénué de tout fondement. En ces temps de crispation identitaire, il est normal que le monde littéraire français valorise ce qui se rapproche des valeurs de la société occidentale, faite de laïcité, d'a-religiosité, de distance, voire d'hostilité, envers les religions, en premier lieu la plus visible d'entre elles, l'Islam.
D'ailleurs, Boudjedra lui-même partage largement ces idées. Il considère l'islamisme comme un ennemi, mais, comme feu Tahar Benaïcha, il n'hésite pas à endosser la spiritualité de certains maîtres, plus ou moins marginaux, de la spiritualité musulmane. Il a également été, pendant de longues années, édité en France, dans des maisons auxquelles il reproche d'embrigader les écrivains algériens au service d'un courant de pensée néo-colonial. En résumé, Boudjedra reste dans la ligne de pensée d'une vieille gauche anti-impérialiste qui parait aujourd'hui démodée, mais qui n'en reste pas moins pertinente sur nombre de questions relatives aux rapports avec les pays riches.
Cracher sur les archaïsmes
Au-delà de cette polémique, Boudjedra exprime en fait une colère diffuse contre une élite qui crache sur le pays à cause de ses tares ; elle crache sur la société parce que celle-ci est archaïque, bigote, enfermée dans des modes de pensée obsolète ; elle crache sur l'économie du pays parce que les symboles de la réussite dans ce domaine sont publiquement honnis ; elle crache sur le monde politique parce que les dirigeants apparaissent comme des repoussoirs. Il suffit de citer les noms qui ont porté le FLN en d'autres temps et ceux que le FLN supporte aujourd'hui, pour mesurer l'écart ; elle crache sur la gestion du pays parce la corruption est devenue endémique, avec des règles opaques, bénéficiant aux seuls initiés.
Tout ceci n'est pas contestable. Ce qui l'est moins, c'est de dire, à partir de cet assemblage, que le pays n'a pas d'avenir, qu'il n'est plus viable, que tout y est noir ; que les jeunes se jettent à la mer par désespoir, pour précisément fuir un pays qui n'est plus le leur, et que la première génération ne se serait pas seulement trompée, mais qu'elle aurait trahi le serment des pères fondateurs. Depuis l'indépendance, il n'y a qu'injustice, hogra, corruption, violence, mensonge, dit-on.
Dans ce cheminement, la surenchère mène vers une impasse, vers le révisionnisme. Car de là à penser qu'avant c'était mieux, qu'un colon en a remplacé un autre, bref, que l'indépendance était une erreur, il y a un pas que ce mode de pensée pousse naturellement à franchir.
Fanon et Senghor
C'est un discours repoussant, mais qui a l'avantage de donner bonne conscience aux Européens. A l'heure où un président français, Emmanuel Macron en l'occurrence, admet que le colonialisme a constitué un crime contre l'humanité, il est réconfortant pour les héritiers de la pensée coloniale de lire que l'Afrique indépendante n'est pas mieux que l'Afrique colonisée, qu'elle continue à charrier pauvreté, corruption, injustices et violations des libertés. C'est même une pensée qui refuse d'admettre que les séquelles du colonialisme soient à l'origine de tous ces maux. Un demi-siècle après les indépendances, invoquer la période coloniale pour justifier la situation présente ne tient plus, dit-on, oubliant que l'esclavage a été aboli il y a un siècle et demi aux Etats-Unis, mais que la société américaine en reste encore profondément marquée.
A ce titre, Boudjedra se veut plus proche de Fanon que de Senghor. Le tact en moins. Mais comment garder le sens de la mesure quand un ancien ministre des Moudjahidine choisit de vivre en France ? Ce faisant, Boudjedra affiche une radicalité qui déborde sur de l'outrance et qui finit par nuire à son propre argumentaire.
Confusions
Ceci dit, il y a deux confusions dans l'affaire Boudjedra. La première concerne la qualité de Boudjedra et des hommes auxquels il s'est attaqué. Il s'agit d'écrivains, d'artistes, non d'intellectuels. Ils produisent des œuvres littéraires, cinématographiques, des créations qui charrient, qui expriment une pensée, mais ce ne sont pas des faiseurs d'idées. Y compris Boudjedra lui-même. Il est donc inutile de leur demander de la cohérence, de la constance. Personne ne demande à un poète de la logique dans les vers qu'il déclame, on lui demande juste d'émouvoir par la force et la beauté des mots.
Les grands artistes ont, pour la plupart, accompagné de grandes causes. De Moufdi Zakaria à Aragon, de Malek Haddad à Pablo Neruda. Leur engagement politique personnel a constitué une partie de l'œuvre de leur vie, il leur a permis d'exprimer leurs émotions ; mais ce ne sont pas les artistes qui ont fait la révolution d'octobre ni la révolution algérienne. Ces artistes font exploser l'émotion, ils l'amplifient grâce à leur talent, ou leur génie, mais ce ne sont pas des hommes qu'il faut forcément suivre dans leurs pérégrinations politiques. L'attirance des nazis, comme de la plupart des mouvements totalitaires, pour l'art, a fait des dégâts inimaginables. Et l'admiration des artistes pour des régimes totalitaires a été tout aussi dramatique.
Le doit à l'outrance
En outre, plus que les autres citoyens, l'artiste a besoin de plus de liberté. Mieux : il a besoin d'un monde sans barrières ni limites. Il a le droit de proférer des outrances, de sortir de la norme établie, de griller ce que les autres considèrent comme des lignes rouges, ou encore des constantes. Le rôle de l'artiste est de casser les tabous. Sans cela, il n'y aurait eu ni Rimiti, ni Djenia. C'est une condition primaire de la création : on se surprend à le rappeler dans cette Algérie de 2017, mais cela partait nécessaire dans une société composée d'une juxtaposition de ghettos, et où la bigoterie et le conservatisme veulent s'imposer comme normes absolues.
La société a besoin des excès de l'artiste, de ses frasques, pas d'une pensée lisse et convenue. Un Adel Sayad, un Kateb Yacine, un Djarir sans excès n'auraient pas de consistance. La société a besoin de les faire exister en son cœur, pas à la marge. Pourtant, c'est à la marge que sont contraints la plupart des artistes, poussés à une sorte de clandestinité pour s'exprimer, face au pouvoir des clercs, des faux dévots et des censeurs officiels.
Mais peut-on s'attendre à autre chose dans un pays où un poète accepte de se faire enrôler dans une prison de la pensée comme le RND, et où la culture a été gérée par une ministre qui se montre enthousiaste à l'idée de faire partie du quatrième mandat ?
1. Rachid Boudjedra, Les contrebandiers de l'histoire, Editions Frantz Fanon, 2017, prix : 400 dinars


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