Le village d'El Amria est en deuil. Il vient de perdre l'un de ses enfants prodiges en la personne de Mohamed Ould Cadi plus connu sous le nom de Ahmed Fethi, musicien chanteur compositeur qui a tiré sa révérence à l'âge de 62 ans. Le sort a voulu qu'il parte à jamais le jour même où l'auteur de ces lignes, et deux autres amis à lui - le virtuose de l'accordéon Youb Bénamar et le poète musicien Mouffok Boumédienne dit Chab Mimi - ont décidé de lui rendre visite chez lui à El Amria afin de s'enquérir de son état de santé. Hélas, l'annonce de sa disparition nous a laissés sans voix. Nous avons fait le déplacement non pour aller le voir mais pour nous recueillir sur sa tombe au cimetière familial des Ould Cadi. Ahmed Fethi a vécu reclus durant 19 ans, depuis 1999, en son domicile, terrassé par le syndrome de Bahçet, une maladie invalidante. Ses proches et notamment sa sœur ainée ont veillé sur lui tout au long de son calvaire. Celui qui a brillé de mille feux sur la scène de la chanson oranaise et qui a côtoyé des artistes tels que Blaoui Houari, Ahmed Wahbi, Sabbah, Souad Bouali, Soreya Kinnan, Samia Bennabi et autres musiciens de renom, a vite sombré dans l'oubli, empêché de faire étalage de tout son talent par un terrible et rarissime mal. Dès la fin des années 80, il s'affirma comme un grand espoir de la chanson en interprétant un succès de son parent et maître Blaoui Houari. Ses dons de compositeur se confirment avec la sortie en 1993 d'une belle chanson 'Ma Tloumiche'' qui connaitra un grand succès. Puis il enchaînera avec d'autres romances comme 'Kif amali oua hilti'' qu'il chantera en duo avec Souad Bouali, 'Koulhoi oua saadou'' et 'Aalamtini'' écrite par son parolier préféré Smaïn, un poète d'El Amria abandonné. Un tube qui révèlera la profonde sensibilité et le professionnalisme de Mohamed Ould Cadi qui a eu la géniale idée d'associer à son œuvre musicale majeure, et l'une de ces dernières avant son éclipse, le maestro de l'accordéon Bénamar Youb pourtant réticent au départ car il n'avait plus le cœur à l'ouvrage après une longue retraite. Ils sont faits comme ça les vrais artistes, quand l'inspiration n'est plus au rendez-vous, ils plient bagage. Youb, séduit par le talent de Ahmed Fethi, décide d'enfiler les bretelles de son vieil accordéon dont il ne s'est jamais séparé. Il apporte sa touche et signe avec son ami une des plus belles chansons du répertoire oranais. 'Alamtini'' fera partie du grand testament artistique du défunt Ahmed Fethi qui passera une vingtaine d'années confiné dans la maison parentale. Il en sortira un jour sur insistance de son ami Fayçal Bendjerrid, musicien comme lui, pour répondre à une invitation de la Radio locale d'Aïn Temouchent. Ahmed Fethi, comme la plupart des artistes de notre pays, a connu l'ingratitude et l'indifférence dans les pires moments de sa vie. Stoppé en plein envol par la maladie, il aurait pu certainement, avec son immense talent, rêver d'un destin flamboyant. Ses compagnons de la station régionale d'Oran présents à son enterrement, comme Baroudi Benkhedda ou le chef d'orchestre Abdellah Ghorbal, le savaient. Qu'il repose en paix. On se souviendra de sa voix et de son éternel sourire.