Une description de la vie quotidienne de la femme chaouia dans les années 20. Quatre-vingt-dix ans plus tard, l'étude sociologique et culturelle sur cette partie de l'Algérie demeure une référence sur le mode de vie séculaire des Aurès en ce début du 20e siècle à travers ce qui est le pilier de cette société : la femme. L'ouvrage est une vaste étude n'ayant négligé aucune référence sur la population féminine des monts de l'Aurès, ce qui nous donne près d'un siècle après une vision sur le statut personnel de l'Aurésienne de la naissance jusqu'à la mort au sein de sa communauté. Les monts de l'Aurès, « Awress », bloc montagneux dominé par le plus haut sommet s'élevant à 2. 329 m, le massif du Chélia, est une région dont la totalité des habitants se partageait entre sédentaires et semi nomades. Région enclavée, résistante et rebelle elle n'en est pas moins tolérante et indulgente. L'exemple des aaziryates, femmes d'une totale indépendance est concluant. En décrivant l'habitat, situant en premier lieu ce qui est le noyau social dans le rôle qui lui est imparti dans la vie des individus, voire le village ou « dechra », Mathéa Gaudry se concentre sur les lieux d'habitations. Les Chaouïas selon qu'ils soient sédentaires ou nomades se partagent entre la maison (ou le foyer) appelée « taddarth », la tente « l'afri », ou la grotte, « caverne naturelle creusée en plein roc souvent à de grandes hauteurs. », l'auteure délimite ainsi la dimension spatiale des habitants afin de situer les différents espaces domestiques dans lesquels évoluent la femme chaouia. Après avoir rendu compte du costume traditionnel féminin avec ses multiples variantes allant du « tajdidh » , manteau d'hiver , de « l'ouga » un autre modèle de manteau d'hiver spécifique aux grands jours, de la large chemise aux manches évasées, du « kettaf », deux morceaux de soie réunis sur leur longueur, elle nous renseigne sur un usage peu courant chez la femme des montagnes kabyles. En effet, il y a matière à découverte lorsqu'on apprend que la femme chaouia « utilisait trois sortes de chaussures » celles en semelle d'alpha tressées s'attachant à la cheville, les « toumoubilète, des semelles taillées dans de vieux pneus , utiles pour les longs trajets et le soulier de cérémonie ou la « belgha », souliers privilégiés par les courtisanes et poétesses que sont les aaziryates. Femmes libres et libérées de l'autorité masculine, elles n'étaient pas pour autant mises en quarantaine ni par la famille ni exclues par le village. Elles avaient presque un caractère sacré et pouvaient « sans difficulté revenir à la vie régulière » en se mariant pour devenir femmes au foyer. Les modes et critères de coquetterie sont le tatouage et les bijoux. Embellissements tracés dans la chair ou portés en parure, le rôle de ces « accessoires » féminins sont source de beauté et ne peuvent pas être occulté par la femme chaouïa désireuse d'être aimée par son mari ou par la poétesse courtisane « aazryia »afin de plaire à ses admirateurs. Les tatouages peuvent être également « employés en raison de leur puissance magique ou médico-magique, le peigne à carder tatoué sur le bras d'une tisseuse lui assure l'habileté.» L'impact de la femme dans sa dimension sociale, abordée par l'auteur, débute par le groupement familial. Au sein de ce groupe comme dans toute société patriarcale c'est autour de l'ancien qu'évolue le clan « l'aïeul occupe la place la plus importante. Il est le chef honoré, consulté et obéi ». Le destin de la femme chaouïa débute avec sa naissance « jamais désirée », les paysans ayant besoin de garçons et de bras d'hommes pour les travaux de la terre. Mathéa Gaudry relèvera tous les aspects ayant trait à la fillette jusqu'à son âge adulte. Il est rapporté par l'auteure les pratiques, us et coutumes relevant de l'héritage séculaire chez la femme chaouïa. Le rapport au père constitue le premier devoir de la fille : « L'Aurésienne est soumise à la puissance paternelle jusqu'à son mariage.» En réalité, c'est un impératif qui touche toutes les jeunes filles algériennes et musulmanes. Cependant, rappelle la sociologue : « Les jeunes filles chaouïas jouissent de plus de liberté que les femmes mariées, elles sont moins étroitement surveillées... » Rituels religieux où s'accommodaient superstitions, culte maraboutique, médecine bienfaisante par les plantes, magie blanche et sorcellerie s'imposaient naturellement dans la société paysanne. Des croyances habituelles à travers tout le Maghreb paysan et citadin. Les rites agraires ont également une forte présence au sein de la population des Aurès. « Yennyar », le nouvel an amazigh, « Mezlegh », jour d'avant Iennar où l'on fait le sacrifice d'un mouton , « Irachmen », maïs ou blé cuits toute la nuit pour être jetés sur les arbres fruitiers afin d'assurer une bonne récolte, « tifesouin », la fête du printemps célébrée à la mi-fevrier, la veille du premier mai, « Mayou » fêté par un repas rituel. D'autres journées symboliques jalonnent l'année chez les Chaouïas à l'exemple de « lilt ibrir » ou la première nuit d'avril consacrée à la fête du beurre ou bien encore le premier mars où l'Aurésienne allume à l'aube dans ses jardins de grands feux qui inonderont de leur fumée champs et vergers pour de bonnes cueillette ou moisson. « Maîtresse de maison, cheville ouvrière des travaux, âme des réjouissances, prêtresse des vieux cultes, elle est le centre d'où rayonne toute activité. » Un livre document, véritable source d'enseignement sur la chaouïa et ses rapports avec sa communauté d'origine. On parcourt l'ouvrage avec curiosité et intérêt découvrant certaines spécificités que nombre de lecteurs ignorent encore. Le livre a été publié pour la première fois en 1929.