C'est un psychodrame dont seule la France a le secret. Le chanteur français d'origine algérienne, Médine Zaouiche, 35 ans, dont le nom de scène est Médine, doit se produire dans la salle du Bataclan en octobre prochain, sauf qu'il s'est vu nier son droit à l'expression. Tout est parti des réseaux d'extrême droite qu'on nomme désormais la «fachosphère». L'affaire a été montée en puissance, notamment sur Twitter, qui peut s'avérer être une redoutable machine de désinformation. L'extrême droite profite de n'importe quel événement pour affirmer sa haine des musulmans, jusqu'à trafiquer l'affiche du concert d'octobre en y accolant la photo de son disque «Jihad». En 2015, dans son art de la provocation, l'artiste avait tracé la lettre J à la manière d'une épée. Cette image déformée et amplifiée est devenue l'icône trompeuse du spectacle, sauf qu'elle a été créée de toutes pièces par un site dominant dans la mouvance d'extrême droite. Le problème, c'est que la majorité des médias n'ont pas prêté attention à cette tromperie. A défaut d'être judicieux, le raccourci de l'épée se retourne contre Médine comme une provocation à double tranchant. Devant les demandes d'interdiction de son concert, il a beau jeu de clamer que «désormais notre question est la suivante : "Allons-nous laisser l'extrême droite dicter la programmation de nos salles de concerts, voire plus généralement, limiter notre liberté d'expression ? » Son avis est juste, mais il oublie qu'il a été piégé par des mots qui sonnent mal dans un pays touché par le terrorisme. L'argument mis en avant par les détracteurs est le fait que le Bataclan, lieu de l'effroyable carnage terroriste de 2015, ne pouvait pas abriter cet artiste qui a commis une chanson intitulée Jihad (parue quelques jours avant l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015). S'il y prône la lutte, c'est celle conforme à l'enseignement coranique : le djihad n'est autre que l'effort de soi dans l'affermissement de sa voie propre dans l'élévation spirituelle. Avec cette phrase «Jihad, le plus grand combat est contre soi-même», il prenait le contrepied des terroristes d'une manière générale et du prétendu Etat islamique qui venait d'être institué dans le sang en Irak et Syrie en 2014. Un autre titre souleva l'ire des internautes puis des partis politiques de droite et d'extrême droite : Don't laîk, dont fut sorti une seule phrase sur un long couplet pour dire que Médine voulait «crucifier les laïcs». En fait, face à ceux qui mélangent musulmans et terroristes islamistes, Médine tissait une sentence à sens complexe : «j'mets des fatwas sur la tête des cons». Avec cet autre appel justifiant son appel au secours de la raison : «I'm muslim, don't panik». Les ressorts de la provocation ne sont pas toujours bien compris et lui-même le disait dans un entretien à Rue 89 : «Est-ce qu'il y a une bonne manière de provoquer ? A mon sens, non. Celui qui ne comprend pas la provocation ne la comprendra jamais.» Pour les responsables de la salle du Bataclan, il n'y a aucune raison de ne pas recevoir l'artiste. Alors que certains dans le monde culturel auraient souhaité la fermeture définitive du lieu, arguant qu'on ne pouvait plus s'y produire après le bain de sang de novembre 2015, la salle a repris une activité normale après avoir été refaite à l'identique : «Notre métier est d'amener de la musique, des concerts, des spectacles. C'eût été un abandon de ne pas revenir sur la scène. Cela revenait à la tuer deux fois», a déclaré un de ses directeurs en réponse aux détracteurs de Médine. Le Premier ministre, Edouard Philippe, ne voit aucune raison de revenir sur la liberté d'expression. Quant au ministre de l'Intérieur, à l'opposé du chef du gouvernement, il laisse la porte ouverte à une interdiction. Le chanteur s'est cru obligé de réitérer sa condamnation de la violence : «Je renouvelle mes condamnations passées à l'égard des abjects attentats du 13 novembre 2015 et de toutes les attaques terroristes. [...] Voilà quinze ans que je combats toutes formes de radicalisme dans mes albums....]».