Leur histoire est juste incroyable. Ils sont âgés entre 19 et 23 ans et ont décroché la deuxième place au concours international de robotique Eurobot 2018, face à 35 équipes internationales. La différence est que leur robot a été fabriqué manuellement. Il s'agit les élèves de l'Ecole polytechnique d'El Harrach. Rencontre. Tout s'est déroulé de manière exceptionnelle pour les élèves ingénieurs de l'Ecole polytechnique, membres du groupe Polybot. D'ailleurs, c'est la première fois que l'Algérie participe à ce concours international, destiné aux jeunes amateurs de robotique et organisé chaque année par l'association française Planète sciences. L'équipe de Polybot a été formée grâce à deux étudiants en 5e année d'électronique, qui avaient participé l'année dernière au concours national organisé chaque année à l'université Saâd Dahleb à Blida. «Nous avons commencé vers le début février. Nous avons pu obtenir de l'école les clés d'un laboratoire et ceux du magasin, mais il n'y avait pas grand-chose. Nous avons utilisé le robot de l'année dernière et acheté les pièces manquantes grâce à des contributions personnelles», nous relate Merouane, 22 ans, étudiant en 3e année d'automatique. Challenge Ainsi, les étudiants se sont livrés à un vrai marathon pour construire leur robot. Il a fallu trouver des sponsors et les pièces nécessaires pour aller jusqu'au bout de leur projet. «En général, les sponsors sont des fabricants de pièces, comme les moteurs par exemple. Dans notre cas, c'étaient des amis qui nous ont ramené les pièces de l'étranger, mais la moitié a été saisie par les douanes», explique Mohand Tahar, 19 ans, étudiant en 3e année d'électronique. Même chose pour la table des essais. Celle-ci a été obtenue grâce à une contribution d'un professeur au lycée sportif de Draria, mais en contrepartie, il fallait que l'équipe fasse une démonstration aux élèves du lycée sportif lors de la célébration du 19 Mars (Fête de la victoire). «Le robot n'était pas encore fini, nous l'avons quand même utilisé, car on était au début de sa construction», raconte Nabil, 22 ans, étudiant en électronique. Pour superviser leur travail, il fallait aussi un coach (tuteur), mais comme les membres de l'équipe de Polybot étaient livrés à eux-mêmes, ils allaient souvent au siège du CDTA (Centre de développement des technologies avancées) où ils ont obtenu l'aide de quelques chercheurs. Mais pas de manière officielle. «On allait les voir pour leur montrer l'état d'avancement de notre travail, mais ce n'était pas à titre officiel», affirme Nabil. A l'atelier de l'école, Abderrahmane Aït Saïd, 23 ans, étudiant en 5e année d'électronique, supervisait le travail. «Nous avons fait un travail autonome. On a divisé les tâches, et chaque fois que l'un de nous bloquait et n'arrivait pas à avancer, un autre poursuivait le travail», souligne Abderrahmane. «On travaillait jusqu'à des heures tardives dans l'atelier. L'école nous a autorisé à rester jusqu'à 22h, mais on continuait parfois jusqu'à 1h», se rappelle Daoud, 22 ans, étudiant en automatique. «Nous étions à trois semaines seulement de la compétition internationale. On suivait le travail des équipes en France et elles étaient largement en avance», précise Marouane, 22 ans, étudiant en 3e année d'automatique. Visa Après avoir recouru au système D pour construire le robot, les élèves ingénieurs se sont retrouvés face à un autre problème : obtenir les visas pour se rendre en France. Et cela n'a pas été facile. A 15 jours de la compétition, les garçons se sont livrés à une vraie course contre la montre, car les rendez-vous proposés par VFS étaient à des dates ultérieures à la compétition. Un tweet concernant ces étudiants a fait réagir l'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt. Ce dernier a commenté le tweet par : «C'est fait», un geste qui a soulagé les élèves ingénieurs, malheureusement pas pour longtemps. Car en fait rien n'avait été fait. Une intervention de l'Ecole puis enfin celle de la wilaya d'Alger, leur ont permis d'obtenir des rendez-vous un dimanche après-midi, à 48 heures de la date du concours, celui-ci étant prévu pour le mercredi. «Le dimanche nous étions déjà prêts, mais nous étions déprimés et préparés à l'idée de ne pas pouvoir partir. Le lundi nous sommes venus à l'école avec nos bagages, on nous a dit de nous tenir prêts pour avoir les visas cet après-midi là. Nous les avons obtenu à 14h30. Nous sommes directement allés acheter les billets en première classe, car c'est tout ce qu'il y avait de disponible», relate Marouane. «Do it yourself» Une fois à Paris, les membres de l'équipe tombent sur la grève des cheminots. Ils se séparent. Une partie part acheter les billets de transport pour se rendre sur les lieux de la compétition, à la Roche-Sur-Yon. Et l'autre groupe va acheter les pièces manquantes pour compléter le robot. «Aucun d'entre nous n'était allé en France auparavant. C'était la première fois pour tous. Nous n'avions pas pris nos précautions, en plus nous étions partis sans nous préparer», rapporte Nabil. D'ailleurs, le dernier jour du concours, ils sont rentrés à pied au dortoir : «On a marché 5 kilomètres du lieu de la compétition au dortoir, qu'on nous a réservé dans un lycée, nous avions terminé à minuit et il n'y avait plus de transport», se rappelle Daoud. Une fois sur place, les élèves ingénieurs découvrent leurs adversaires. 35 équipes et toutes avaient deux robots : un principal et un secondaire. Le stress monte et la comparaison commence : «Contrairement à nous, chaque équipe était accompagnée d'un coach. Nos adversaires avaient des armoires pleines de matériel : des imprimantes 3D, des pièces de rechange…», relate Daoud. « Nous n'avions qu'une petite boîte à outils, un pistolet à colle et notre courage», poursuit Merouane. Le principe du concours consiste à ce que deux robots disputent un match sur une table de 2 mètres sur 3, en accomplissant chacun des missions d'une manière autonome. A la grande surprise, le robot algérien s'est arrêté dès le premier match. Le principe du jeu de robot est qu'il ne faut pas qu'une collision se produise entre les deux robots. Le circuit du robot algérien a brûlé. L'équipe Polybot n'a obtenu aucun point et a été classée dernière. Faute de moyens, le robot algérien a été fabriqué manuellement. «Les circuits imprimés ont été fabriqués par nous, manuellement. Comme on n'avait pas d'imprimante 3D, nous avons nous-mêmes fait l'usinage des pièces, ce qui a été très difficile car on a fait beaucoup de changement», explique Daoud. «Nous avions presque perdu espoir. Mais ce n'était pas le moment de lâcher, après tout ce que nous avions fait pour venir», affirme Nabil. « On a homologué le robot pour une seconde fois. Nous avons joué les trois matchs, on est passé en 8e, puis en 4e, jusqu'à la finale», raconte Marouane. D'ailleurs, tous ces efforts leur ont valu le prix Do it yourself, une récompense pour leur travail autonome. Perspectives Malgré toutes les contraintes qu'ils ont rencontrées, les élèves ingénieurs de Polytechnique sont revenus gagnants, mais aussi avec des ambitions dans le domaine de la robotique. Ils envisagent de créer une association et faire intégrer les jeunes amateurs. «On veut faire connaître ce genre de compétitions aux autres étudiants», déclare Mohand, 19 ans, étudiant en 3e année d'électronique. Pour Nabil, il est important de trouver un sponsoring pour éviter les erreurs commises lors de la précédente compétition : «On vise le sponsoring pour l'année prochaine, et on vise l'étranger, car on n'a pas de fabricant en Algérie, pour avoir les pièces.» Après avoir été sélectionnés au concours international, ils ont eu une proposition, mais c'était à la dernière minute. En effet, Bomare Compagny, une société de Stream Système, leur a proposé de les aider en leur remboursant les frais de voyage à leur retour de la compétition. «On a même pu obtenir une promesse de convention entre cette société et notre école. D'ailleurs le nom de l'entreprise figurait sur notre robot lors de la compétition», explique Nabil. Outre le nom de cette société, le robot portait les couleurs de la tenue de l'armée algérienne, «un hommage» aux victime du crash de l'avion militaire qui s'est produit en avril dernier à Blida.