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«Les exécutants de Matoub se trouveraient à l'intersection de plusieurs sphères de commanditaires»
Djamel Zenati. Militant progressiste, ancien leader du Mouvement culturel berbère
Publié dans El Watan le 25 - 06 - 2018

– «Is fecit cui prodest»(Celui qui a commis le crime est celui à qui le crime profite). Cette maxime latine guide encore aujourd'hui tout enquêteur (de vérité et justice) pour débusquer les criminels et leurs commanditaires. 20 ans après, à qui l'assassinat de l'idole kabyle aurait-il profité, selon vous ?Aux terroristes islamistes (du GIA), officiellement coupables, jugés et condamnés par un tribunal du pouvoir ? Aux officines (de celui-ci) réglant leurs comptes par laboratoire kabyle interposé ?
Bien malin qui pourrait répondre. On peut toutefois mettre en évidence un ensemble de curiosités, de coïncidences et d'interrogations et laisser entrevoir des pistes pouvant aider à faire la lumière sur cet acte abject. Procédons pas à pas. Dans les assassinats politiques, la maxime «à qui profite le crime» n'est pas d'un grand secours dans la mesure où un même crime peut avoir des mobiles différents, voire contradictoires.
Il peut donc profiter à divers groupes ou individus politiquement très éloignés les uns des autres. C'est le cas de la liquidation de Matoub. Lounès gênait beaucoup de monde, au-delà du cercle de ses adversaires habituels les plus visibles, c'est-à-dire pouvoir et islamistes. L'assassinat de Lounès est intervenu dans un contexte marqué par une grande violence. Un autre facteur va introduire le doute et la suspicion et rendre le climat encore plus illisible et autrement plus complexe. Je veux parler de la gestion opaque de cette violence.
Beaucoup de violences se sont développées et ont proliféré à l'ombre des attentats et des massacres. La situation était inintelligible en raison de la multiplicité des intervenants dans le champ de la violence, de l'enchevêtrement des enjeux et surtout de la loi du silence imposée au nom de l'impératif sécuritaire. Hocine Aït Ahmed avait très tôt alerté sur les dérives qu'une gestion autoritaire de la violence allait inévitablement engendrer. L'exigence de liberté et de transparence était fondée prioritairement sur le souci d'éviter que la lutte antiterroriste ne se change peu à peu en contre-terrorisme.
Car sans les limites et les garanties de l'Etat de droit, n'importe qui peut être tenté par n'importe quelle aventure. L'assassinat de Matoub n'a pas donné lieu à une investigation minutieuse et approfondie.
Que veut-on cacher ? Qui veut-on protéger ? Pourquoi se dispenser de l'analyse balistique ? Elle est pourtant légalement obligatoire et scientifiquement déterminante en pareil cas. Il en est de même de la reconstitution, de l'audition des témoins, de la protection de la scène du crime, etc. A la demande de la famille Matoub, un groupe d'experts étrangers a réussi à faire une analyse balistique. J'ai eu la possibilité de lire le rapport.
Il donne des frissons. La conclusion du rapport m'a quelque peu conforté dans mes premiers doutes concernant le déroulement des faits. Quelque chose me dit que ce jour-là, c'est-à-dire le jour de l'assassinat, Matoub s'est arrêté à la vue d'une ou plusieurs personnes de ses connaissances. Et le rapport émet avec une forte probabilité l'hypothèse d'une liquidation en dehors du véhicule.
Autre piste à n'avoir jamais été exploitée est le lien possible entre l'assassinat et son enlèvement en 1994. Pour moi, il n'y a aucun doute. Il faut rappeler qu'en 1994 il n'y a pas eu non plus d'enquête. Mais il y a eu beaucoup d'amateurisme, de contradictions et de fuites. On en reparlera un jour. Enfin, l'investigation doit également s'étendre à l'aspect politique.
C'est-à-dire le contexte particulier dans lequel s'est produit cet assassinat. Là aussi, il y a beaucoup à dire. Je voudrai juste faire remarquer que tous les drames dont a été victime Matoub se sont produits sur fond d'événements politiques exceptionnels. Il n'est pas inutile de s'interroger sur l'existence possible de lien entre ces drames et ces événements. De manière générale, derrière chaque drame, il y a une élection présidentielle et une inconnue, la Kabylie, dans l'équation nationale.
Les exécutants de l'assassinat se trouvent probablement à l'intersection de plusieurs sphères de commanditaires. Cette intersection est le résultat de l'interpénétration des groupes et de l'enchevêtrement des enjeux. Et l'opacité garantit les combinaisons les plus invraisemblables. Aujourd'hui, les traumatismes sont toujours là. Ils agissent comme une force inhibitrice empêchant la société de s'interroger, de se mouvoir, de s'organiser et d'entrevoir quelle que perspective que ce soit. Nous sommes à ce jour dans l'ignorance totale de ce qui s'est réellement passé.
Cette absence de vérité entretient un climat de suspicion et de méfiance permanent. Et pour cette même raison, le mensonge est parvenu à s'installer confortablement au cœur du rapport social. Quand on met un trait aussi facilement sur une période sanglante faite de centaines de milliers de morts et de dizaines de milliers de disparus, on renonce au droit le plus fondamental, un droit sacré : le droit à la vie. Et à partir de là, tous les autres dénis sont de l'ordre du banal et de l'insignifiant.
En effet, comment oser revendiquer le droit à l'expression ou tout autre droit quand le droit à la vie est mis en réserve. Le pouvoir l'a si bien compris qu'il n'hésite pas à ressortir les images insupportables de la décennie sanglante et à les brandir à chaque balbutiement, chaque frémissement de la société. La malédiction nous poursuivra aussi longtemps que nous nous détournerons de cette exigence de vérité. Bien peu d'Algériens osent en parler. Même les défenseurs acharnés d'antan semblent avoir aujourd'hui définitivement abdiqué.
Pourtant, ils n'ont cessé d'insister sur le caractère impératif de la vérité dans toute volonté de réconciliation nationale et de construction démocratique. Sans cette vérité, la société va évoluer en permanence dans le mensonge et la suspicion. Notre jeunesse pourrait une fois de plus être abusée par de nouveaux aventuriers sous de nouvelles bannières. Nous sommes à la veille d'une élection présidentielle. La Kabylie va-t-elle être sollicitée ? Par qui et comment ? Dieu seul le sait. Et les aventuriers bien sûr.
– Progressiste assumé, Matoub a oscillé entre le personnage partisan et transpartisan. Ses fans, ses admirateurs, toutes générations confondues, sont de tous bords politiques. Y compris, et surtout, aujourd'hui, auprès des mouvances autonomiste et séparatiste qui invoquent et se revendiquent de la figure de Matoub, notamment pour créditer l'option séparatiste, sécessionniste ? Que vous inspire d'abord cette basique «récupération» ? Quel est le vrai du faux entre Matoub l'anarcho-patriote, auteur d'œuvres sublimes sur l'Algérie, et le militant démocrate flirtant avec le projet autonomiste (séparatiste) avec son fameux Douas Ancherg Tamurt (La solution est dans la séparation), la solution des Etats séparés ?!
On ne peut réduire la pensée d'un poète à un demi-vers ou, pire, à une figure de style. Dans la chanson Monsieur le Président, Matoub dit : «Je me sens franchement le patriote de toutes les patries opprimées.» L'album Histoire d'un pays damné est une célébration de l'algérianité. Je peux vous citer encore et encore beaucoup d'autres œuvres et à chacune d'entre elles correspondrait un Matoub tantôt islamiste, tantôt communiste ou encore autonomiste, libéral et je ne sais quoi encore. Dans un même poète peuvent cohabiter plusieurs poètes. Il ne sert à rien de s'égarer dans l'interprétation simpliste.
Dans la chanson Almousiw par exemple, Lounis Aït Menguellet, légende vivante, dit bien : «Ufighd aârab di tferkaw…» Pour autant, il ne viendrait à personne l'idée de vouloir suspecter Lounis Aït Menguellet d'être un raciste ou un adepte de la violence. Le propre d'un poète est de projeter sa pensée dans le lointain, là où le sens commun n'oserait pas se hasarder.
Le poète s'autorise la transgression, le rêve et les utopies les plus fabuleuses, les plus folles. Il s'introduit dans les tabous et les mythes, les déshabille et explore les espaces défendus. Dans les situations d'impasse, de forte exaspération sociale ou devant l'imminence d'un danger, le poète peut être tenté de vouloir pousser la transgression à ses ultimes limites. Il décide alors de choquer, de provoquer non par goût de la pagaille mais pour alerter, éveiller et faire bouger.
Vouloir soumettre une œuvre artistique à une contingence politique spécifique est une manière de l'enfermer, de détruire son esthétique, sa force transcendante, son intemporalité. On ne peut prouver le bien-fondé d'une option politique en exhibant un vers ou un verset. C'est une manière de dresser des clôtures. Je comprends que certains puissent envier Matoub pour son courage, son génie artistique et sa popularité. De là à le convoquer pour s'en servir d'onction politique, il y a un petit quelque chose de révoltant.
– Vous qui l'avez (si) bien connu, connu l'homme, son engagement multiple, ses errements, peut-être, son œuvre plurielle, poétique et musicale, quelle place pour un tel artiste, iconoclaste, à ce militant incorruptible, dans l'Algérie d'aujourd'hui, cette Algérie tant chantée mais qui l'ostracise encore et lui interdit le moindre hommage officiel ?
Cela donne une idée de l'énorme décalage entre l'Algérie officielle et l'Algérie réelle. Elles n'ont ni le même statut, ni les mêmes préoccupations, ni les mêmes repères. Elles n'ont pas la même histoire ni les mêmes héros. Elles n'ont pas le même horizon.
Matoub n'a nullement besoin de la consécration officielle. Elle est toujours suspecte ou perçue comme telle. Car elle n'est jamais sans arrière-pensée. En vérité, c'est le pouvoir en place qui est en quête de reconnaissance. Il tente sans cesse de compenser son déficit en légitimité par une proximité ostentatoire avec des figures plus ou moins emblématiques du sport ou de l'art.
Ces dernières sont gratifiées en retour d'une particulière visibilité et d'un soutien conséquent. Matoub n'a jamais cédé à la tentation. Il n'a jamais cherché à plaire. Surtout pas au prince. Il s'est même offert le luxe de déplaire. C'est l'exemple type du rebelle au sens de contre-pouvoir. Sa rébellion est authentique et non une posture. C'est une nature, une manière d'être, une philosophie. Il est rebelle partout, tout le temps et avec tout le monde. Hocine Aït Ahmed me dit un jour : «Je ne fais pas de la politique pour la gloire.
Même à titre posthume.» Ce propos plein de sens convient parfaitement à Matoub. Aït Ahmed et Matoub, chacun à sa façon, ont voué leur vie à un idéal, l'idéal de liberté et de justice. Leur combat était un combat pour tous. Leur démarche était solidaire et non solitaire. Vouloir se libérer seul sans libérer les autres n'est pas seulement une forme d'égoïsme. C'est aussi et surtout une manière de s'enfermer autrement.
– Vous dites de lui (témoignage dans El Watan, juin 2016) qu'il était un «contre-pouvoir à lui tout seul» et que la place de choix qui lui a été réservée par les «siens», il la devait à son «engagement sincère, total et inconditionnel pour les causes justes». Ce personnage encombrant se devrait-il de mourir ?
Matoub Lounès était un repère, un symbole en Kabylie. Il était également très engagé sur le terrain des luttes. Opposant irréductible, il avait un large rayon d'influence et un effet structurant dans l'opinion. L'autoritarisme ne peut s'acclimater de ce genre de personnage.
L'assassinat politique ne vise pas seulement à se débarrasser d'un opposant. Il cherche aussi à ébranler la société en la privant d'un repère. La disparition de Matoub a eu un impact désastreux sur les consciences et bouleversé en profondeur la Kabylie. Dans le milieu de la jeunesse, il y a beaucoup de rancœur et de colère. Il y a un fort désir d'en découdre avec le système.
La hogra, l'arrogance, la répression et la corruption nourrissent les frustrations. L'exaspération sociale ne cesse de croître. Personnellement, je suis très inquiet. Car à la défiance du pouvoir en place s'ajoute l'absence totale des partis de l'opposition. Ces derniers sont accaparés et pris en otage par des minorités opportunistes et corrompues. Le citoyen ne trouve plus de cadre structuré pour exprimer ses indignations ou ses attentes de manière pacifique. Nous sommes à un moment de responsabilité.
Chacun doit se sentir interpellé. Nos enfants payeront demain très cher nos silences et nos lâchetés d'aujourd'hui. Ils sont déjà sollicités par les uns et les autres pour servir de chair à canon. La violence n'est pas la solution. La violence crée le climat propice au maintien de la dictature et à l'affaiblissement de la société. Sans la violence, nous n'aurions jamais perdu Abane, Krim, Boudiaf, Matoub, Mekbel et tous les autres.


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