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QUI A TUE MATOUB ?
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 24 - 06 - 2010

Il y a 12 ans, le 25 juin 1998, était assassiné le chanteur engagé Matoub Lounés, près de son village de Tala Bounane. A ce jour le procès de ses « assassins » ne s'est pas tenu. Un des accusés de l'assassinat, Malik Medjnoun, enlevé le 28 septembre 1999 par la police politique, atrocement torturé et gardé au secret durant six mois est présenté à la « justice en mars 2000. Il est en détention préventive depuis ……11 ans !! Il observera de nombreuses grèves de la faim pour dénoncer cette injustice, mais en vain.
Douze années après cet assassinat odieux, nous publions quelques articles et documents sur cet étrange crime resté impuni. AFIN QUE NUL N'OUBLIE !
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L'AFFAIRE LOUNES MATOUB
In Algeria-Watch http://www.algeria-watch.org/farticle/matoub/matoubfilm.htm
Documentaire diffusé le 31 octobre 2000 à 20h 30 sur canal plus
(enquête de Michel Despratx, Jean-Baptiste Rivoire, Lounis Aggoun, Marina Ladous)
Déclaration RCD
Tortures, massacres, attentats islamistes. depuis 1992, la deuxième guerre d'Algérie a fait officiellement plus de 120 000 morts.
Des morts souvent sans visages, des crimes sans coupables.
Alors à qui et à quoi sert toute cette violence?
Depuis huit ans, le pouvoir algérien affirme que seul, les islamistes sèment la terreur…
…mais aujourd'hui, beaucoup d'algériens ne croient plus à cette thèse. Ils soupçonnent les militaires d'attiser la violence, de planifier eux mêmes des attentats pour terroriser la population et conserver le pouvoir…
- « Pouvoir assassin! »
TIZI-OUZOU 26/6/98
Parmi les 120 000 assassinats, nous avons choisi d'enquêter sur celui d'un artiste, un rebelle, un symbole, Le chanteur kabyle Lounes Matoub.
S/T : « A BAS L'INTEGRISME, A BAS LES CORROMPUS, VIVE TAMAZIGH » (LA LANGUE BERBERE)
Incontrôlable, Matoub dérangeait les islamistes et les militaires.
Lors des émeutes de 1988, déjà, un gendarme avait tenté de l'assassiner d'une rafale de kalachnikov…
Le 25 juin 1998, il est à nouveau mitraillé sur une petite route de Kabylie mais cette fois, il ne se relève pas.
Officiellement, Matoub a été tué par les islamistes des GIA.
Mais a son enterrement, une partie des Kabyles est convaincue que c'est le pouvoir qui l'a tué.
TAOURIT MOUSSA 28/6/98
« Pouvoir, assassin! »
Cet air, c'est celui de l'hymne national algérien. Dans une ultime provocation, Matoub le rebelle l'avait détourné contre le régime.
ILS ONT REPEINT L'ALGERIE AUX COULEURS DE LA RELIGION ET DU PANARABISME, TRAHISON, TRAHISON, TRAHISON
Le lendemain de l'attentat, à Tizi-Ouzou, les jeunes s'en prennent aux symboles du régime.
En 48 heures, c'est toute la Kabylie qui s'embrase.
Sur l'arrêt de bus du lieu de l'attentat, une main anonyme dénonce des « terroristes avec ordre de mission », autrement dit des tueurs ayant agi sur ordre de la sécurité militaire.
Ou est la vérité? qui tue en Algérie? dans un pays ou les journalistes étrangers trop critiques n'ont plus de visa, c'est le règne de l'opacité et de l'arbitraire.
Après l'assassinat de Matoub, le premier à mener l'enquête est un habitant de son village. Avec un petit magnétophone, il va recueillir les témoignages des habitants du secteur de l'attentat.
Dans les semaines précédant l'opération, certains d'entre eux avaient surpris des militaires en train d'effectuer d'étranges repérages sur la route ou Matoub sera mitraillé. En France, nous avons pu récupérer la cassette de ces enregistrements.
IMAGES MADJID KHELOUI
HOMME: Depuis des mois que la SM a étudié le terrain, un officier de la SM connu venait chaque jour faire son petit footing le long de la route. Dans la région, tout le monde le connaît, il travaille à la caserne de Tizi-Ouzou.
FEMME: « Depuis 6 mois, ils rodaient dans les alentours de Tala Bounane, ils nous faisaient peur. ils cognaient aux portes vers 9 ou 10h du soir. Ils essayaient de nous effrayer, ils se faisaient passer pour des islamistes. Ils portaient barbes et perruques, ils étaient sales, mais tous les habitants de Tala Bounane savaient qu'il s'agissait de gens de l'Etat, de la sécurité militaire ».
HOMME: il y a chez nous des citoyens honnêtes qui ont signalé cela à la gendarmerie, à maintes reprises: ils leur ont signalé la présence d'étrangers armés se promenant en plein jour dans le secteur. On voulait savoir ce qu'ils faisaient là. Mais les gendarmes nous ont répondu que ces individus ne nous avaient rien fait et qu'il fallait leur foutre la paix ».
Renvoyés par les gendarmes, les habitants décident de faxer un appel au secours aux autorités algériennes, à Amnesty international, et à certains médias français. Nous sommes trois jours avant l'assassinat.
Le matin de l'attentat, 25 juin au matin, les craintes des habitants de Tala Bounane se confirment, les militaires sont partout:
HOMME: Juste avant de tuer Matoub, ils sont passés nous dire de ne pas sortir de chez nous. Ils ont dit: « on prépare un ratissage, ne sortez pas ». C'était des militaires.
HOMME: Vers midi, juste avant l'assassinat, ils ont dévié la circulation (au niveau de Beni-Aissi) et à Tala Bounane. quand Matoub est arrivé, par contre, ils l'ont laissé passer par la route habituelle.
GAMIN: Après l'avoir tué, ils l'ont sorti de la voiture et ils l'ont filmé. Un peu plus tard, je les ai revus avec des tenues militaires.
De passage à Paris, la mère de Matoub nous confirme ces témoignages, et notamment l'étrange manège des gendarmes du secteur.
NA ALDJIA (MERE DE LOUNES MATOUB)
Les habitants de la région sont venus me dire qu'on leur avaient ordonnés de rester chez eux car il y allait y avoir un ratissage. On leur a dit de ne pas sortir. C'était la gendarmerie.
MALIKA MATOUB (SŒUR DE LOUNES MATOUB)
J'ai été voir la gendarmerie de Beni Douala pour savoir où ils en étaient dans l'enquête et j'ai constaté que toute la brigade avait été mutée.
Les nouveaux, ils m'ont dit « pourquoi tu veux une enquête? l'affaire est classée »
ARCHIVES
En Algérie, aucune caméra étrangère ne peut travailler sans être surveillée par l'armée ou la police. On décide de partir incognito, comme des touristes.
Nous arrivons sur le lieu ou Matoub a été assassiné. Notre chauffeur de taxi s'en souvient parfaitement.
- LOUNIS: c'est ici qu'est mort Matoub?
- TAXI: oui, ils sont venus par là et ils l'ont braqué.
- C'est qui, qui l'a tué?
- C'est le pouvoir…
- Que dieu ait son âme
Nous voici sur le lieu de l'attentat. Dans notre équipe, Lounis est kabyle, celle qui filme, c'est Marina, elle a une caméra dans son sac…
Leur but: retrouver des gens qui auraient assisté à l'assassinat…
- LOUNIS: Bonjour!
- HOMME: que cherchez-vous?
- LOUNIS: on s'est arrêté à côté de la tombe, là ou il a été tué. On fait un petit tour pour essayer de comprendre comment cela s'est passé…
C'est dans cette forêt, qu'ont du se cacher les terroristes!
- HOMME: tu parles!
- LOUNIS: Comment cela?
- HOMME: ils ne se sont pas cachés ici, ils sont arrivés par la route. Cela s'est passé vers une heure.
- LOUNIS: c'était pas le soir?
- HOMME: Vers une heure de l'après midi,
- LOUNIS: en plein jour!
- HOMME: on était là, il faisait si chaud que personne ne songeait à sortir…
- LOUNIS: vous les avez vus, alors, comment cela s'est passé?
- HOMME: on n'a pas vu, mais…
Notre témoin sait manifestement des choses, mais il est méfiant.
- Bonjour, on s'est arrêtés pour voir où ils avaient descendu Matoub.
- Ah, oui! que dieu ait son âme, ils l'ont tué, ils nous ont trahi.
- Ils l'ont pas raté, hein, les terroristes!
- Tu peux pas savoir si c'est eux, même moi je sais rien.
- Ah bon, mais on a dit que c'était des terroristes!
- Et vous êtes prêts à le croire? personne ne sait.
- Ah? Qu'est ce que vous voulez dire?
- On a peur, mon fils. On a peur de notre ombre…
24h après ces premiers contacts, la confiance s'installe avec certains habitants, on nous oriente vers deux témoins directs. Ils ont vu les tueurs, ils ont peur de témoigner, on leur garantit l'anonymat.
- J'attendais quelqu'un sur la route, et là dessus, j'ai entendu un grésillement de talkie-walkie. Je me suis retourné, et j'ai vu des hommes descendre de l'oliveraie. Ils étaient 7. J'ai fait semblant de ne pas les voir…
- JO: Ils passent par là, les terros, d'habitude?
- Non, ils passent par la route normale, jamais par la forêt.
- Et pourquoi vous pensez que ce n'était pas le GIA?
- Parce que les GIA du coin, ils sont connus. Si c'était eux, j'en aurais reconnu au moins un ou deux!
Notre deuxième témoin ne veut pas que son image apparaisse, mais elle confirme l'implication de l'armée dans l'attentat.
- Il y avait un camion de l'armée. Je vous en supplie, ne me dénoncez pas, j'ai des enfants. Après l'assassinat, les assaillants sont repartis en longeant ma maison. Ils sont descendus sous la route et là, j'ai rien compris, ils sont remontés habillés en tenue militaire.
Nos témoignages se recoupent: ce sont bien des militaires qui ont assassiné Matoub.
Pourquoi l'armée aurait-elle tué l'un des plus grands chanteurs kabyles?
Pour l'éditeur François GEZE, un spécialiste de l'Algérie, l'assassinat de Matoub visait probablement à déstabiliser par la violence le président de l'époque, Liamine Zéroual.
A cette période, un conflit très dur l'opposait aux généraux qui dirigent le pays.
François Gèze (EDITIONS LA DECOUVERTE)
- Il est très simple, ce conflit entre Zéroual et les généraux. Il a voulu s'émanciper. Il y a eu beaucoup de messages: des assassinats, mais surtout les massacres dont on a la preuve aujourd'hui qu'ils ont été commis par des militaires pour bien montrer que Zéroual ne contrôlait rien.
- L'assassinat de Matoub visait-il lui aussi à déstabiliser Zéroual?
C'est ce qu' affirme depuis deux ans un officier déserteur de l'armée algérienne. Porte parole d'un groupe d'officiers dissidents, il a crée sur Internet un site qui inquiète les généraux d'Alger.
WWW .ANP.ORG
Au moment du meurtre de Matoub, le « colonel ALI » travaillait au ministère de la défense. Il était au courant des opérations spéciales des militaires.
Selon lui, l'armée cherchait à l'époque à provoquer des révoltes en Kabylie pour justifier un coup d'état contre le président Zéroual…
« COLONEL ALI » (MOUVEMENT ALGERIEN DES OFFICIERS LIBRES)
- Il fallait mettre la région à feu et à sang, il fallait mobiliser la région. Quels que soient les moyens.
Toujours selon Ali, pour mobiliser la Kabylie, les généraux auraient fait appel à leur homme de confiance dans la région, Norredine Ait Hamouda, le chef des milices anti-islamistes de Kabylie.
- COL ALI : Hamouda saute sur l'occasion… La mobilisation c'est mon affaire, je sais comment faire bouger la région. 18″00
Selon notre officier déserteur, c'est lors d'une réunion en présence d'Hamouda, que la décision aurait été prise d'exécuter Matoub.
Si Matoub n'était pas dispo, ils auraient tué Ferhat Mehani, sinon, ils auraient tué Menguelet ou Idir. Une personnalité kabyle.
L'accusation est grave, nous contactons Hamouda
PAR TELEPHONE NORREDINE AIT HAMOUDA (DEPUTE RCD DE TIZI-OUZOU)
- S/T : « Je savais que vous alliez m'appeler!
- Ah, bon, comment vous le saviez?
- Eh bien, vos services travaillent chez nous et les nôtres, ils travaillent chez vous, qu'est-ce que vous croyez?
A Hamouda, nous parlons des accusations du colonel Ali.
- Le bonhomme qui a écrit cela, cette fameuse réunion, bon, je ne me souviens plus où j'étais. Bon, bref, à supposer qu'on l'ai tenue, donc il était avec nous?
- ou alors il a écouté des enregistrements?
- Ah, parce qu'en plus, il y avait des enregistrements? Vraiment, les flics français sont forts, hein?
- vous vous en souvenez, de cette réunion, ou pas?
- arrêtez vos conneries, vraiment, vous êtes mal barré avec moi ».
Etrange coup de fil.
Qui est vraiment Hamouda? au printemps 98, une équipe de l'agence CAPA l'avait filmé dans son fief kabyle. Chef de milice, Hamouda est puissant. Dans sa région, il a même le pouvoir de remplacer les gendarmes officiellement chargés de surveiller les journalistes français.
« LE VRAI JOURNAL » 26/4/98
Chef paramilitaire, Hamouda est aussi député du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, un petit parti kabyle que Matoub avait critiqué publiquement.
Sur son dernier album, il dénonçait notamment les « laquais serviles d'un régime dictatorial », une attaque qui, selon les proches de Matoub, visait les dirigeants du RCD.
Sur un de ses cahiers que nous avons pu consulter, le chanteur avait même écrit des textes encore plus violents, véritables brûlot qu'il s'apprêtait à chanter sur scène.
Hamouda a-t-il tué Matoub ? Certainement pas. En revanche, tel un rouage du complot, on le retrouve très impliqué dans les évènements qui précèdent et qui suivent l'assassinat du chanteur.
Ainsi, avec le RCD, il a joué un rôle déterminant pour faire revenir Matoub en Algérie quelques jours avant son assassinat.
Fin 1997, Hamouda avait en effet proposé à Nadia, l'épouse de Matoub, de lui obtenir un visa pour la France. Mais au lieu de lancer les démarches, il avait étrangement conservé son passeport pendant plus de 7 mois. Furieux, Matoub avait du revenir en Algérie pour demander des comptes au RCD…
NADIA MATOUB (VEUVE DE LOUNES MATOUB)
- Ce qui était choquant, c'est qu'il ne pouvait même plus les avoir au téléphone. Il appelait Saadi, il ne l'obtenait pas. Matoub était bloqué avec moi.
Bloqué en Algérie, Matoub va tomber dans l'embuscade mortelle.
Dans les minutes qui suivent l'assassinat, c'est Hamouda, toujours lui, qui appelle Malika, la sœur de Matoub, et les médias pour mettre l'attentat sur le dos des GIA.
25/6/98
Tout le monde répète la version communiquée par Hamouda, député RCD de Tizi-Ouzou…
En quelques jours, grâce aux interventions d'Hamouda, la France est convaincue que les assassins de Matoub, ce sont les islamistes. Hamouda est content, il recontacte Malika pour la féliciter d'avoir propagé la version officielle sur France 3.
Malika MATOUB (SŒUR DE LOUNES MATOUB):
- « Lors de la discussion, il m'a dit, de toute façon, ton intervention lors de l'assassinat a été appréciée à un haut niveau militaire et quand tu vas rentrer en Algérie, je vais te les présenter. Moi, j'ai dit: je ne mange pas de ce pain là, Lounes n'a jamais été proche d'eux. Là, il m'a donné une tape sur l'épaule et il m'a dit: « dans tes interventions, arrête de parler du pouvoir… »
Si Hamouda s'inquiète, c'est qu'en Kabylie, une partie de la population continue à accuser le pouvoir. Dans sa chambre de l'hôpital de Tizi-Ouzou, Nadia, la jeune épouse de Matoub qui échappe par miracle à l'attentat commence elle aussi à exprimer des doutes. Début juillet, elle se confie à la mère de Lounès Matoub.
Na Aldjia (MERE DE LOUNES MATOUB):
- Elle m'a dit: « c'est des gens de l'état, mais ne le répète pas, sinon, ils viendront m'achever ici, à l'hôpital »
Dans les jours qui suivent ces confidences, la police va voir Nadia à l'hôpital. Officiellement, il s'agit de recueillir sa version de l'attentat mais quand elle signe sa déposition, une phrase a été rajoutée.
- NADIA: Lorsqu'ils sont revenus pour que je signe le PV, il y avait un tiret, une conclusion qui disait que c'était le GIA.
Ma sœur était là, je lui ai chuchoté « je fais quoi », puis j'ai signé pour ne pas avoir de problèmes.
Alors que c'était pas moi qui avait dit cela.
Le 6 août 1998, Nadia sort de l'hôpital et va se recueillir sur le lieu de l'attentat.
A l'époque, elle et ses sœurs se sentent menacées, elles cherchent désespérément à fuir vers la France.
Le RCD, de plus en plus soupçonné d'avoir trempé dans l'attentat, leur propose un marché: des visas pour Paris en échange d'une conférence de presse accusant les GIA.
Nadia MATOUB (VEUVE DE LOUNES MATOUB):
NADIA: J'avais une déclaration préliminaire à lire, écrite par quelqu'un du RCD, je répétais bêtement.
OUARDA: donc elle a fait la conférence de presse et on a eu nos visas. C'est comme cela que cela marche.
NADIA: la seule chose qui comptait pour nous, c'était de sortir d'Algérie…
Malgré cette conférence de presse de Nadia, une partie de la Kabylie reste convaincue que c'est la sécurité militaire qui a assassiné Matoub.
Du coup, en juin 1999, la télé d'Etat sort la grosse artillerie: un long documentaire entièrement destiné à innocenter les militaires.
Ce film n'ayant pas convaincu grand monde, les autorités algériennes vont présenter à l'opinion un nouveau coupable: Hakim Chenoui, un jeune islamiste kabyle qui vient d'abandonner le maquis.
Quelques jours après sa reddition, sa famille reçoit la visite de policiers Etrangement, Hamouda les accompagne. Et c'est lui, Hamouda, qui prévient la famille que Hakim restera quelques temps en prison…
OMAR CHENOUI (FRERE DE HAKIM CHENOUI) :
- En sortant, il m'a dit tu sais, mon nom est cité sur Internet, j'ai besoin de ton frère comme témoin…
(SŒUR DE HAKIM CHENOUI) :
- Mon frère n'a rien à voir avec cette affaire. D'ailleurs, heureusement que les parents de Matoub l'ont compris. Ils l'ont même dit publiquement.
- Après, le 6 mars, je l'ai vu à la prison de Tizi et il m'a dit qu'il avait été torturé. Ils ont fait une cassette pour lui faire dire que c'était lui qui avait tué Matoub.
Ecœurée, la famille Chénoui dénonce dans la presse les étranges méthodes d'Hamouda. Une plainte est même déposée contre lui…
LE SOIR D'ALGERIE 26/10/99
- Ce qui m'a poussé à porter plainte contre Hamouda, c'est que je me demande pourquoi il est venu avec mon frère: en qualité de quoi? gendarme, policier, sécurité, ou quoi?
Lors d'une récente reconstitution de l'attentat, le fils de la famille Chenoui a pu confirmer son histoire à Malika Matoub, la sœur de Lounes.
MALIKA: il m'avait dit texto qu'il avait été torturé et que ses aveux avaient été filmés par une caméra.
Chenoui a-t-il été torturé? A-t-on voulu lui mettre sur le dos l'assassinat de Matoub? on rappelle Hamouda…
- Vous connaissez Chenoui? Malika dit qu'il a été torturé!
- Il a qu'à le dire au procès! Le jour du procès, il va pas être torturé, j'espère!
D'un coup, Hamouda change de ton, il va tenter de nous intimider.
- Je vous connais, votre nom, votre femme, tout cela…
De toute façon, vous êtes mal barrés, vous êtes un minable. Je vais vous faire un procès, je me ferais un plaisir de vous faire condamner.
(Il raccroche au nez)
Après Hamouda, nous avons contacté officiellement les généraux algériens mis en cause dans l'affaire Matoub. Aucun n'a accepté de nous répondre…
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Le pouvoir a-t-il participé à l'assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès, en 1998? Enquête sur une instruction fantôme
Enigme à l'algérienne
Qui a commandité, qui a manipulé les assassins de Matoub Lounès, héros kabyle disparu le 25 juin 1998? Qui sont ces «coupables» qu'on exhibe à la télévision, ou qui disparaissent sans laisser de traces? «Libération» a enquêté: le dossier d'instruction est presque vide, et des secteurs proches du pouvoir semblent impliqués.
Par FLORENCE AUBENAS ET JOSE GARÇON
Libération, Le mercredi 26 janvier 2000
Les ongles manucurés, le jeune homme en tee-shirt Chevignon se présente poliment à l'écran comme un «membre du GIA» et raconte sans façons comment son commando tendit l'embuscade mortelle contre le chanteur Matoub Lounès, le 25 juin 1998. «On a décidé le matin cette action quand on a vu qu'il descendait en voiture à Tizi Ouzou.» Se revendiquant de la même équipe, surgit ensuite un dénommé Saïd qui explique, lui, que «l'embuscade était préparée depuis une semaine». Libres, bien nourris, ils énumèrent une liste de sept personnes qui seraient «dans le coup». C'est en regardant ce documentaire à la télévision nationale algérienne, où même la météo ne se prévoit pas sans l'aval du pouvoir, que des magistrats en charge du dossier Matoub Lounès ont appris l'existence de ces «coupables». Depuis la mort du chanteur chéri de Kabylie, qui mit la région au bord de l'émeute, au moins une dizaine d'«islamistes», morts ou vifs, ont ainsi été présentés comme ses assassins.
Il y a quelques semaines encore, aucune enquête, aucun interrogatoire de ces hommes ne figurait au dossier d'instruction. Il n'y a pas de rapport d'autopsie, ni d'analyse balistique. Ni de reconstitution.
En Algérie, ce déferlement de coupables n'a pas surpris. En neuf ans de violences, on s'est habitué à l'opacité. L'assassinat de Lounès ne fait pas exception.
Mais cette fois, il y a un grain de sable. Il s'appelle Malika Matoub et personne ne l'avait vu venir. Juste après le meurtre de son frère, elle déclarait, catégorique: «Matoub est victime de l'islam baathiste et de sa version armée: le terrorisme islamiste.» Aujourd'hui, avec sa mère, elle anime une fondation qui s'est fixé pour but de «connaître la vérité». Dans son appartement parisien, Malika s'énerve: «Cessons de trouver de faux assassins. Nous n'accepterons pas un simulacre de procès destiné à tromper l'opinion et à clore le dossier. Nous exigeons une véritable enquête.» Depuis l'Algérie, un message lui est parvenu en décembre, transmis à un proche par des inconnus masqués: «Ne t'en mêle plus.» En vain. L'affaire Matoub est en train de devenir l'histoire d'un impossible enterrement.
Années 80, un révolté kabyle
C'était en juin 1998. Matoub est à Paris. Il vient de terminer l'enregistrement de son dernier disque. Il rentre à Taourirt-Moussa, son village près de Tizi Ouzou, dans cette maison de montagnard kabyle dont il a fait la plus belle du village. «Sa porte était toujours ouverte. Il trimballait tous les fous du village dans sa Mercedes. Il aimait avoir du monde autour de lui», raconte Fodil. Né dans la maison à côté, il est l'ami d'enfance, le confident. Il se souvient de chaque date: 1979, le premier disque de Matoub et, tout de suite, le succès. Dans sa région, Lounès devient beaucoup plus qu'un chanteur, le symbole d'une forme très algérienne de révolte contre le système, plus viscérale que politique. «Dans la rue, des gens l'imitaient, raconte Mohamed, un de ses copains de Taourirt-Moussa. Ses sorties provoquaient de petites émeutes. Avant chaque manifestation d'envergure, la police venait lui chercher des histoires pour qu'il la ferme.»
Avec l'émergence du MCB (Mouvement culturel berbère) au début des années 80, Matoub chante, défile, défie le pouvoir du parti unique qui impose la monoculture arabo-musulmane. Au-delà de la contestation du régime, Lounès est consumé par une cause: la reconnaissance de la langue et de la culture kabyles. «Tête brûlée, il aimait la provoc, aller trop loin, reprend Mohamed. Dès qu'il voyait un flic, il accélérait. Il n'y avait que lui pour se permettre ça. Il y avait un côté sacrificiel chez lui.»
En octobre 1988, alors qu'Alger est paralysée par des manifestations de jeunes, Lounès est interpellé à un barrage en Kabylie pendant qu'il distribue des tracts appelant au calme. Les gendarmes s'agitent. «Retenez vos chiens», assène Lounès à leur chef. Cinq balles, tirées à bout portant, en feront un grand blessé à vie.
En 1991, le Front islamiste du salut gagne les élections. Lounès en pleure. Il prend position au côté du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), où se retrouve une fraction des militants berbères du MCB et qui s'oppose à toute «solution politique» de la crise, prônant une guerre totale contre les maquisards islamistes. Depuis toujours, les armes, la violence font partie de son univers. Désormais, il ne sort plus sans sa kalachnikov. «Il fonctionnait aux tripes et c'est tout. Matoub n'était pas un militant classique, un homme d'appareil», raconte Fodil.
1994, les ombres d'un enlèvement
En 1994, en Kabylie, alors que Lounès boit une bière dans un café, il est enlevé, séquestré puis relâché par un commando armé. Attribuée officiellement aux GIA, cette action est restée entourée d'ombre. L'évoquer, c'est rallumer cette polémique: qui fait quoi? qui manipule qui? La version la plus souvent avancée aujourd'hui, même dans les cercles du pouvoir, évoque des maquisards bien réels mais manouvrés dans l'ombre par des «ultras» de la cause berbère qui veulent se doter d'un martyr. «Convaincu au départ qu'il avait bien été victime de terroristes agissant au nom de l'islam, Matoub est devenu très susceptible sur cette affaire», reprend Fodil. «Il ne voulait plus en parler. Alors qu'il mettait toute sa vie en chanson, il n'en a jamais consacré une à cet événement. Cela restait comme une douleur, comme s'il n'était plus si sûr de ce qui s'était passé. Mais le remettre en question lui aurait semblé un reniement.» Matoub en gardait une amertume. «Je suis une grenade dégoupillée, aime-t-il répéter. J'explose aux mains de ceux qui croient me contrôler.»
Quatre ans plus tard, en juin 1998, le chanteur tient à être au pays pour la sortie de son album: un concentré de Matoub avec, en prime, une version iconoclaste de l'hymne national. Même la date de sortie est une provocation: le 5 juillet, anniversaire de l'indépendance, la loi sur l'arabisation entre en vigueur. Concession aux islamistes modérés alliés au pouvoir, ce texte interdit l'usage du français dans l'administration, jusque-là bilingue. En Kabylie, toute mesure en faveur de la suprématie de l'arabe fait hurler: on s'attend à une vague de protestations.
Mais cette fois, le climat est beaucoup plus trouble. Selon le Maol, un groupe d'officiers dissidents de l'armée réfugiés à Madrid et visiblement bien renseignés sur les rouages de l'Etat, des rencontres secrètes auraient eu lieu entre de hauts dirigeants du RCD – parmi lesquels Norredine Aït-Hammouda – qui trouvent les autorités trop conciliantes face à l'islamisme et des généraux partageant les mêmes vues. Au cours d'une de ces réunions, se serait élaboré le projet d'un de ces coups d'Etat tordus, tout de bluff et manipulation, comme il s'en trame à chaque fois que la guerre des clans s'exacerbe au sommet de l'Etat. Des gradés, dont le Maol cite les noms, auraient affirmé que, si la direction de l'armée n'apprécie pas la loi d'arabisation, elle ne peut s'y opposer ouvertement et il serait plus habile que la mobilisation parte de la population elle-même. La Kabylie, en pleine effervescence à cause de cette loi, paraît le terrain le plus favorable. S'en prendre à l'un des symboles de la culture berbère serait une provocation susceptible d'allumer la mèche. Durant cette réunion, un dirigeant du RCD aurait affirmé qu'il se charge d'enflammer la Kabylie. Sans autre précision. Ces informations, diffusées par le Maol sur l'Internet, n'ont été ni démenties ni confirmées par le RCD, qui a refusé de nous répondre.
Ce 21 juin 1998, attablé avec Matoub dans un bistro près de Tizi, Fodil, l'ami de toujours, reste perplexe. «Je ne l'avais jamais vu comme ça. Lui qui ne craignait jamais rien, il avait peur. Il se sentait suivi, parlait comme en langage codé, avec des phrases du genre: « Je me suis rendu compte de beaucoup de choses »»… Fodil poursuit: «Je lui ai dit: quitte le pays.» Matoub s'obstine. Un problème privé le retient aussi. Il vient de se marier. Nadia a 20 ans. «Je venais d'avoir mon bac, raconte-t-elle. Je suis allée demander un autographe à Matoub.» «Il en est tombé amoureux fou. Il se sont mariés six mois plus tard», reprend Mohamed.
Le chanteur veut faire connaître Paris à sa jeune femme. Dès décembre 1997, pour lui obtenir un visa, il se tourne vers ses copains du RCD, notamment Saïd Sadi et Norredine Aït-Hamouda. En Kabylie, c'est quelqu'un. Fils du colonel Amirouche, héros de la guerre d'indépendance, ce député dirige aussi l'une des plus grosses équipes de «patriotes», ces milices de civils armés par les autorités. Alors qu'il faut quarante-huit heures à une personnalité politique pour obtenir un visa de court séjour, les intermédiaires ne semblent guère pressés. «Lounès pensait qu'on le faisait lanterner exprès. Il en était obsédé», raconte Malika, la sour. De son côté, Nadia renchérit: «Ils avaient mon passeport… Cette histoire nous bloquait. J'avais l'impression d'être prisonnière. Matoub appelait presque tous les jours ses copains [du RCD] pour savoir où ça en était. Il raccrochait furieux: « Demain je vais leur faire un scandale et leur bousiller leur local. » Et puis il se calmait.» Le couple s'enferme dans la peur. Et le visa n'est toujours pas là… «On n'arrêtait pas de parler de cela avec Lounès. Qu'est-ce que ça cache? Est-ce volontaire?»
25 juin 1998, embuscade près de Tizi Ouzou
Le 25 juin, Matoub veut faire plaisir aux deux sours de sa femme: on ira déjeuner au Concorde, le grand restaurant de Tizi Ouzou. A 10 h 30, la Mercedes noire et ses quatre passagers quittent Taourirt Moussa. Il n'y a que deux routes. Au hasard, la voiture prendra l'une à l'aller, l'autre au retour. A table, Matoub est dans un jour noir, nerveux. Tout le monde repart sitôt le repas avalé. Généralement, à cette heure-là, la circulation est plutôt chargée. Cette fois, la Mercedes ne croise qu'un ou deux tracteurs. «Quand on s'en est rendu compte, il était trop tard», se souvient Nadia, la jeune veuve. Dans un tournant, à 150 mètres du village de Talat Bounane, des coups de feu retentissent. Sur la carrosserie, on relèvera 78 impacts de balles. Matoub est touché de 7 balles, dont 2 mortelles.
La gendarmerie n'est qu'à 7 km (mais 2 km à peine à vol d'oiseau). Pourtant, les six officiers de Beni Douala arrivent largement après les faits. «En haut de la route et sous les arbres de la forêt, nous avons trouvé le repaire du groupe terroriste, aménagé pour stocker du fuel», notent-ils dans leur rapport. Les gendarmes constatent l'utilisation de voitures dans l'opération, mais aucun barrage n'est dressé. Ils ne cherchent pas à poursuivre les assassins, mais n'hésitent pas à les nommer dans leur PV: «Un groupe terroriste armé», expression habituelle désignant les islamistes. Le même jour, une radio française diffuse les propos de Norredine Aït-Hammouda: lui aussi met en cause les islamistes. En Kabylie, une foule en furie occupe les rues, assiège l'hôpital où se trouve le corps. Pour des dizaines de milliers de personnes, l'identité des assassins de Matoub-le-héros ne fait pas de doute. Ils crient: «Pouvoir assassin!» Les édifices publics sont attaqués. Saïd Sadi, président du RCD, veut prendre la parole, les huées l'en empêchent. Impuissant, il se tourne vers Malika Matoub, arrivée de France en catastrophe. Elle tire en l'air pour calmer les esprits. «Pour moi, à ce moment-là, il n'était pas question de remettre en question la version officielle.» La Kabylie vacille trois jours au bord de l'émeute. Puis se calme.
Les mystères d'une non-enquête
A Talat Bounane, lieu de l'embuscade, une poignée de villageois commence à parler. Ou plutôt à murmurer. Les mots coûtent cher en Algérie. Tous se souviennent que, trois jours avant les faits, ils avaient adressé une pétition aux autorités pour signaler «un groupe d'individus rôdant depuis plusieurs soirs vers 21 heures avec des kalash et des grenades». Ils avaient aussi remarqué des voitures visiblement en repérage et un groupe de trois civils armés menant des opérations au même endroit. Le matin même de l'assassinat, vers 11 heures, les gendarmes de Beni Douala ont fait le tour des habitations. Aux commerçants, ils demandent de fermer. A tous, ils ordonnent de ne pas sortir ou, mieux, de quitter le secteur, affirmant qu'il va y avoir des «opérations». Après le meurtre, dans la petite cache des agresseurs, les villageois trouvent tout un matériel de camping. Rien n'a été saisi. Sur l'autre voie menant à Taourirt Moussa, une embuscade avait aussi été tendue. Les deux routes étaient sous contrôle, un travail de professionnel: Matoub n'avait aucune chance. Les plus courageux des villageois décident d'aller témoigner à la Brigade. Ils ne sont pas reçus. Cinq jours après, les six gendarmes sont mutés. Et les trois hommes armés meurent dans un guet-apens.
Officiellement, on entend seulement le témoignage des trois femmes à bord. Embrouillés, sous le choc, leurs propos n'éclaircissent pas vraiment le déroulement de l'embuscade. Mais toutes trois ont une certitude, celle d'avoir distinctement entendu les tueurs lancer: «Allah o'Akbar», la «signature» des islamistes. Mais ce cri leur semble manquer de spontanéité. «Avant de s'enfuir, l'un d'eux s'est retourné et de loin, comme s'il avait oublié, il a crié « Allah o' Akbar »», précise aujourd'hui Farida, une sour de Nadia. C'était comme un mot de passe, lancé pour qu'on le répète.» A l'hôpital où Nadia reste plus d'un mois, la police lui présente un procès-verbal de ses déclarations accusant les GIA. «Je n'ai jamais dit cela mais j'ai signé. J'avais peur, je me méfiais même des infirmiers.»
A Taourirt-Moussa, la Mercedes 310 noire n'est pas mise sous séquestre mais rendue à la famille. La police n'a pas pris la peine de ramasser les douilles, du 9 mm, du 7,62 et du 39, qui jonchent encore l'intérieur. Des morceaux de cerveau maculent le cuir du siège, côté conducteur. Malika Matoub s'interroge: les deux balles mortelles ont été tirées à bout touchant. Elle réclame des expertises mais se heurte à un mur. «C'est là que j'ai commencé à douter.»
Ses avocats approchent les magistrats de Tizi Ouzou en charge du dossier, pour déposer une constitution de partie civile. Les juges les évitent. Mille chicaneries de procédure se dressent. Parallèlement, un émissaire du pouvoir prend contact avec Malika pour lui proposer «réparation». Une indemnisation au titre des «victimes du terrorisme» lui sera accordée dans les plus brefs délais si elle en fait la demande. Une sorte de marché tacite: à elle l'argent, aux autres le classement d'une histoire trop dérangeante. Malika refuse.
En octobre 1998, quatre mois après le meurtre, Nadia et ses deux sours sont entendues par le juge d'instruction pour la seule et unique fois. Ouarda affirme être sûre de pouvoir reconnaître au moins deux des agresseurs. «Le juge a fait comme si elle n'avait rien dit», se souvient Nadia. Installée en France, elle n'est jamais retournée en Kabylie.
Un nouveau «coupable» disparaît
Il y a quelques semaines, une nouvelle arrestation a eu lieu en Kabylie: celle d'Abdelhakim Chenoui, un repenti qui s'était rendu. Après un mois au commissariat, il pousse la porte de la maison familiale à Tizi Ouzou. Sale, amaigri, il a visiblement été torturé. «Abdelhakim est l'un des assassins de Matoub Lounès», glisse l'un des cinq civils de l'escorte. Parmi eux, se trouve Norredine Aït-Hammouda. «C'est grâce à moi que vous pouvez voir votre fils», assure-t-il tandis que le jeune homme est à nouveau embarqué. Depuis, la famille est sans nouvelles. Elle a essayé de faire passer un communiqué dans la presse pour retrouver sa trace. Seuls, deux journaux ont accepté. Le lendemain, l'un d'eux mettait la publication sur le compte d'une erreur. Le frère d'Abdelhakim a tenté en vain de déposer plainte pour enlèvement. «C'est une affaire plus politique que pénale», a juste expliqué un magistrat. Contacté à l'Assemblée nationale algérienne le 17 janvier, Norredine Aït-Hamouda a catégoriquement refusé de nous répondre. Il fait confiance, dit-il, «à la justice de son pays».
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Témoignage de Malik Medjnoun
Disparu du 28 septembre 1999 au 2 mai 2000
Témoignage recueilli par Me Rachid Mesli à la prison de Tizi-Ouzou, 9 mai 2000
J'ai été enlevé dans la rue prés de mon domicile à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999 à 8h30 du matin par trois hommes armés en civil au bord d'une R19 blanche. Ils m'ont menacé de leurs armes, tiré un coup de feu et m'ont embarqué de force dans leur véhicule devant tout le monde. J'ai tout de suite été emmené dans une caserne militaire à Tizi-Ouzou, je crois que c'était le secteur militaire.
Ils m'ont fait descendre avec des coups sans me poser de questions précises. Après avoir été battu, ils m'ont jeté dans le coffre arrière d'une voiture et après environ une heure de route, ils m'ont fait descendre sous les coups, les insultes et les menaces de mort. Je pensais qu'ils allaient me tuer sur place. J'ai su ensuite que j'étais à la caserne de la Sécurité militaire de Ben Aknoun à Alger.
Dès mon arrivée, j'ai été confié au capitaine Zakaria et son collègue qui s'occupent de la cave qui se trouve sous les cellules de la salle de torture.
Tout de suite j'ai été torturé sans interruption pendant 2 jours qui m'ont parus durer une éternité. On me posait des questions sur mon séjour en prison, sur les personnes que j'y avais rencontrées, si j'avais gardé des contacts, avec qui, et surtout sur une personne I.A. qui s'était enfuie à l'étranger, s'il m'appelait au téléphone, si moi-même j'avais l'intention de partir à l'étranger. Comme j'ai senti qu'ils ne me reprochaient rien de précis, j'ai repris espoir. Seulement les tortures ne se sont pas arrêtées. Tout y est passé: Les coups avec un manche de pioche sur toutes les parties du corps. J'ai eu dés le premier jour des côtes fracturées. Je n'arrivais plus à respirer et malgré cela ils m'ont fait subir le supplice du « chiffon » avec de l'eau salée. Après chaque évanouissement, dès que je me réveillais, ils recommençaient. Je ne savais plus si c'était un cauchemar ou bien l'enfer. Ensuite, pour me réveiller –m'ont-ils dit – ils ont commencé à me torturer à l'électricité qui provenait directement de la prise.
C'était horrible: Ils appliquaient des pinces sur toutes les parties de mon corps, les membres, les oreilles, le visage, le ventre, partout. Je ne comprends pas comment j'ai survécu à ces tortures. Je disais tout ce que je savais, mais leurs questions n'étaient pas précises, comme si eux mêmes ne savaient pas très bien ce qu'ils cherchaient à savoir.
Après ces tortures interminables, je me suis réveillé dans un cachot. Je ne sais pas combien de temps j'y étais avant de me réveiller, peut-être un jour, peut-être plusieurs. Je ne l'ai jamais su. J'entendais des cris qui provenaient de la cave à tortures, je crois que c'est cela qui m'a réveillé.
Lorsqu'on m'a apporté à manger, j'ai été battu par les gardiens, et lorsque j'ai terminé de manger j'avais encore plus faim qu'avant. J'ai compris tout de suite que c'était aussi une façon de nous torturer en permanence. Dès que je terminais ma ration, j'étais à la recherche de la moindre miette par terre, je mourrai de faim et au fur et à mesure je devenais squelettique.
Après les premiers jours je n'ai plus été torturé, mais bien sûr, comme tous les autres, j'ai été battu tous les jours au moment où on me faisait sortir aux toilettes. On avait droit à deux minutes chaque matin pour aller aux toilettes et cela sous les coups des gardiens. Les deux responsables des gardiens qui nous battaient le plus souvent, « Henni » et « Redouane » avaient un accent de l'est et nous battaient tous les jours.
Dans les cachots, il n'y a pas de toilettes, nous avions une petite bouteille en plastique pour uriner que nous vidions le matin.
Tous les jours se ressemblaient. Nous ne pouvions pas communiquer entre nous, mais après plusieurs mois, on finit par savoir certaines choses, les noms des gardiens, des officiers, sur les voisins, quand arrivaient des nouveaux. Mes voisins faisaient partie des « anciens ». Il y avait Abou Zakaria, un ancien parachutiste qui se trouvait là depuis plus de 2 ans et un autre de la Casbah qui s'y trouvait, je crois, depuis mars 1998.
Notre cave comportait 11 cellules et 2 salles. Elles étaient toujours pleines et il y avait beaucoup de militaires parmi nous.
La torture était quotidienne car il y avait toujours des nouveaux arrivants. Les cris ne s'arrêtaient jamais, ils faisaient partie de notre vie. Je m'y étais habitué, surtout que je me trouvais devant la porte de la cave où étaient situées les salles de torture.
J'ai passé ainsi plusieurs mois. Un jour, je n'ai pu me réveiller et me lever malgré les coups de manche et je crois qu'un médecin est venu me voir. Il a dit qu'il fallait m'évacuer, sinon je n'en aurais plus pour longtemps. Quelques jours après, je me suis réveillé dans une salle d'hôpital, j'étais sous perfusion de sérum. Je mangeais enfin à ma faim. J'ai su peu après que j'étais près de Blida dans un hôpital militaire. Un médecin est venu me voir, il a dit qu'il fallait que je sois bien nourri, qu' »ils avaient besoin de moi ». J'ai appris aussi que nous étions en février 2000. J'ai du rester environ un mois à l'hôpital. C'est là que j'ai connu Chenoui qui était comme moi de Tizi-Ouzou.
Je crois que nous avons été évacués ensemble de la caserne de Ben-Aknoun. Il ne parlait pas beaucoup et lui aussi était dans un sale état. Bien sûr que j'ignorais qu'il puisse y avoir un lien entre nous. On ne m'a jamais posé de questions à son sujet et il n'a pas paru me connaître lui non plus. Ce n'est qu'en prison que j'ai appris qu'il s'était rendu dans le cadre de la « concorde civile ». D'ailleurs il se trouve actuellement avec les prisonniers de droit commun comme tous ceux qui risquent avoir des problèmes dans le cadre « d'affaires islamistes ».
A Blida, nous avons été bien traités. Une fois « retapés » nous avons été ramenés à la caserne de Ben Aknoun. Cela devait être quelques jours avant qu'on nous présente au procureur de Tizi-Ouzou.
Durant ces jours, je n'ai été sorti qu'une seule fois, la nuit. Je n'ai pas été torturé, juste frappé et menacé de mort. C'est le capitaine Zakaria qui était le plus féroce, il demandait toujours aux gardiens de nous battre. Une fois, il m'a demandé si j'aimais Matoub Lounès, si j'aimais ses chansons. Il m'a demandé aussi « pourquoi t'appelle-t-on le petit Matoub? » Il avait l'air bien renseigné sur moi parce qu'on m'appelait effectivement ainsi. Lui-même était kabyle et il exigeait que je chante des chansons de Matoub.
On nous a présentés plusieurs fois devant le procureur de Tizi-Ouzou. La première fois c'était au nouveau Palais de justice à côté du commissariat central! Il y avait Chenoui et un repenti de Khemis el Khechna qui avait l'air de très bien connaître les officiers de la SM et que ceux-ci appelaient « El Hareth ». Le procureur nous a reçus, puis il a parlé en aparté avec Chenoui et « El Hareth ». J'ai appris qu'on était samedi le 4 mars 2000, je pensais qu'on était au mois d'avril.
Chenoui m'a dit qu'il connaissait ce procureur, car c'était devant lui qu'il avait été présenté lorsqu'il s'était rendu, en été dernier. A ce moment là, je ne savais qu'il y avait un lien entre lui et moi, d'ailleurs je ne savais pas ce qu'on lui reprochait au juste. J'ai remarqué que ma présence devait déplaire au procureur, je n'en connaissais pas la raison, aussi me suis-je dit que ce devait être en raison de la puanteur que je dégageais. Cela faisait plusieurs mois que je ne m'étais pas lavé! Ensuite j'ai remarqué que le procureur semblait parler de moi aux officiers, il leur a dit à mon sujet: « Emmenez-le celui-là! » Ils m'ont immédiatement descendu et enfermé dans le coffre de la voiture.
En fait, je me suis retrouvé quelques heures plus tard au secteur militaire de Tizi-Ouzou avec Chenoui. De là nous sommes repartis vers nos cachots de Ben Aknoun.
Deux jours plus tard, ce devait donc être le 6 mars 2000, nous avons de nouveau été emmenés à Tizi-Ouzou, devant le même procureur (en fait il devait s'agir du procureur général au niveau de la cour et président du « comité de probation »). Celui-ci a de nouveau fait des remarques me concernant, que je n'ai pas comprises puis on nous a emmenés au Palais de Justice au centre ville. Arrivés là-bas, on m'a mis dans le coffre d'une voiture et m'a sommé de ne surtout pas bouger. Après plusieurs heures quelqu'un est venu et m'a dit: « toi, c'est dommage pour toi mais c'est comme ça. » Après un voyage éprouvant toujours dans le coffre de la voiture, je me suis de nouveau retrouvé dans mon cachot. Je sentais que j'étais revenu seul et plus tard j'ai appris que ce jour-là, Chenoui avait été emmené à la prison de Tizi-Ouzou.
Mon cauchemar s'est encore poursuivi pendant presque deux mois. J'étais persuadé que je finirai mes jours dans ce cachot avec mes poux, ma peur, ma saleté et ma faim. Ce n'est que deux mois plus tard que j'ai de nouveau été emmené à Tizi-Ouzou, cette fois-ci directement vers l'ancien Palais de Justice. J'étais très curieux de savoir ce qu'on allait me reprocher et je pensais qu'ils allaient me reparler de ma première affaire ou me reposer les questions des officiers du DRS. J'étais heureux et sûr de moi. Je me disais qu'une fois arrivé devant la Justice, j'allais être tout de suite libéré. Je pensais même qu'on me dirait qu'il y avait eu erreur, qu'on me présenterait des excuses. Quelle ne fût ma surprise lorsque le procureur me dit que j'étais accusé d'avoir participé à l'assassinat de notre chanteur Matoub Lounes, que Dieu ait son âme. Je pensais même qu'il plaisantait et qu'il voulait seulement me tester et me faire peur avant de me libérer. Mais j'ai du constater qu'il était sérieux. Je lui ai dit que même les officiers du DRS ne m'avaient pas reproché ce crime, comment la Justice pouvait-elle le faire?
J'ai compris plus tard que Chenoui et moi avions le même dossier.
Voilà. Je n'ai même pas crié mon innocence parce que c'était tellement évident. Tout cela me fait l'effet d'une plaisanterie clôturant un cauchemar.
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Ahmed Cherbi, enlevé et torturé en 2002 pour confirmer la version officielle de l'assassinat de Lounès Matoub
Observatoire des droits humains en Algérie (ODHA), Témoignage recueilli en février 2005, publié par Algeria-Watch
Je travaillais dans un parking de voitures tout à côté de l'hôpital à Tizi-Ouzou. Le 27 février 2002 à 11h 30 j'ai vu une voiture arriver. L'ami qui travaillait avec moi a vu trois voitures. Deux hommes en civil en descendent et se dirigent vers moi. Chacun me prend par un bras et ils m'ordonnent de les suivre. A ce moment je ne sais pas qui sont ces hommes, sont ils des policiers, des gendarmes, des hommes de la Sécurité militaire? Ils ne m'ont rien dit d'autre, ne m'ont pas annoncé que j'étais en état d'arrestation. Ils ne m'ont même pas demandé si j'étais bien M. Cherbi. Ils m'emmènent vers la voiture, me mettent un sac noir sur la tête et placent des menottes. Ils essaient de m'apaiser: « t'inquiète pas Mohamed, il faut être correct avec nous, tu es en sécurité avec nous, rien ne t'arrivera ».
Je pensais que j'étais arrêté en raison des évènements en Kabylie auxquels j'avais participé.
Là où je travaille, le secteur militaire n'est pas loin et le central de police non plus. Le trajet a duré quelques minutes. En fait cinq minutes après l'arrestation, je me trouvais dans un bureau. Je pensais que j'étais au Central. On m'a enlevé la cagoule. Les trois qui m'ont arrêté sont dans la pièce, l'un d'entre eux s'appelle Kader, il est de Ain-Defla. C'est un agent du DRS et c'est lui qui me torturera.
Un monsieur entre avec un gros dossier entre les mains. Il ferme la porte derrière lui et c'est là que je vois que derrière cette porte est accrochée une tenue militaire de combat. Et je comprends que je me trouve au secteur militaire.
L'homme qui est entré m'aborde en disant: « sois avec nous, viens avec nous, n'aies pas peur ». Je réponds que je n'ai rien fait, que je travaille et c'est tout, il rétorque: « je sais que tu n'as rien fait mais sois correct avec nous, sois un homme, t'inquiète pas. » A ce moment ils ne m'ont toujours pas dit pourquoi j'ai été arrêté. Ils m'ont complètement déshabillé et mis tout nu dans une toute petite cellule. Ils m'ont laissé pendant trois heures tout nu, puis Kader est venu et m'a remis mes habits. Puis ils m'ont amené dans le bureau d'un certain commandant Nahal Rachid (Ce n'est plus tard que je saurai son nom). Ils me montre des petites cassettes vidéo, et il me dit: « ce sont des cassettes de Matoub, veux-tu les voir? ». Je réponds: « que vais-je faire avec? ». Il me dit: « Je vais t'envoyer à Alger, tu as du travail avec les gens d'Alger, sois un homme. Tu collabores avec eux, ensuite ils te relâcheront et tu reprendras ton travail ». Je répète que je n'ai rien fait, que je veux rentrer à la maison. » Mais rien à faire, ils ont décidé de m'emmener à Alger. On me ramène dans la cellule où je suis enfermé pendant trois jours. Je n'ai pas eu à manger, ni à boire. Ce n'est que le samedi matin que Kader m'en sort. Il me bande les yeux mais je vois un peu par en haut et en bas. Quand il s'en rend compte il me met un sac noir sur la tête.
Ils m'ont transféré dans une voire noire. Ils étaient quatre. J'étais entre les deux homes assis derrière, ils m'ont couvert de vestes pour ne pas qu'on me voie de l'extérieur. Je pensais qu'ils m'emmenaient à Alger, en fait je suis arrivé à Blida.
En réalité je me trouve au CTRI de Blida à Haouch Chnou. Ils me font entrer dans une pièce et me « cuisinent ». Le colonel M'henna Djebbar y est. A ce moment je ne sais pas qui est cet officier. Je raconterai plus tard comment j'ai su qu'il s'agissait de lui. Il veut que j'avoue avoir vu les assassins de Lounès Matoub. Les militaires me montrent les photos de cinq personnes: Medjnoun, Chenoui, Boudjelah, Moufouk, Djebiri Djamel, Deux sont en prison, les autres ont été abattus. Ils veulent me faire dire que le jour de l'assassinat, mon père et moi nous nous trouvions sur place et qu'à 13h 13mn on aurait entendu des coups de feu et vu comment ces cinq personnes avaient tué Matoub. Je n'avais jamais vu Chenoui, je l'ai rencontré pour la première fois plus tard en prison. J'ai dit que je ne pouvais dénoncer des gens que je ne connaissais pas du tout, je ne pouvais pas faire un faux témoignage. Ils ont prétendu que mon père avait donné cette version. A l'époque j'étais mineur. Mais je ne pouvais pas dire une chose pareille, dans ce cas, comment justifier que je n'en avais pas parlé auparavant aux autorités? Matoub avait été tué en juin 1998, on était en avril 2002. Ils me menacent: « Tu sais que des gens qui entrent ici, rares sont ceux qui en ressortent ». Je réponds, que je préfère mourir que de dire des mensonges. Ils me mettent dans une cellule dans laquelle je reste environ une semaine – 10 jours sans en sortir. La cellule est toute petite, je ne peux pas m'étendre et il y a des gouttes qui tombent du plafond. C'est insupportable. Tous les matins à 6h environ, on me sort pour aller aux toilettes qui sont extrêmement sales. Je n'ai pas le droit d'y rester plus d'une minute et demi et ce menotté.
Il y a des cellules à côté de la mienne. Et je sais qu'il y a des prisonniers. Nous ne pouvons pas communiquer mais nous nous manifestons en frappant avec nos menottes au mur, en fait pour nous réconforter les uns les autres. Un jour, tous ont été emmenés, je ne sais où. Je restais seul mais peu après ils m'ont emmené au bureau. Djebbar y est, en civil. Il y a un autre civil qui s'avèrera être un député du RCD, Nourredine Ait-Hammouda, mais à ce moment, je ne sais pas qui il est. Il me parle en kabyle. Il me demande « pourquoi tu ne dis pas ce qu'on te dit de dire, tu sais que ceux qui entrent ici n'en ressortent pas. Si tu veux sortir, tu dis ce qu'ils veulent, tu fais un témoignage, il y a des journalistes ici, tu leur parles et leur fais comprendre, ils répercuteront ce que tu as dit. Tu passeras devant la justice, tu leur dis la même chose et il n'arrivera rien. Ensuite on te donnera ce que tu veux. Tu veux un visa, on te le donnera, tu veux une maison, on te la donnera, enfin tout ce que tu veux, tu l'auras. » Je lui répond: « pourquoi tu me demandes ça? On est tous les deux Kabyles, aide moi à sortir de là. » Il me regarde: « Tu ne sortiras que si tu leur dis ce qu'ils veulent, sinon tu ne sortiras d'ici. » Il est parti.
Ils m'ont ramené dans une cellule. Trois jours après, en pleine nuit, ils sont venus me chercher, me disant qu'il y a un concert auquel je devais assister. Ils m'emmènent dans une grande salle. Il y a des matériaux de construction, des ordinateurs, une échelle en bois. Je ne savais pas que c'était une salle de torture. Ils m'ont attaché à l'échelle et m'ont fait tomber d'un côté puis de l'autre, ils l'ont fait au moins 4 ou 5 fois. Ensuite, ils m'ont détaché et m'ont plongé la tête dans une grande bassine dans laquelle il y avait de l'eau nauséabonde et savonneuse. Cela a bien duré une heure. L'eau me rentrait dans les oreilles. Je suffoquais, je pensais ne pas tenir. Ceux qui m'ont torturé étaient appelés Babay, Mounir et Zaatout. Quand ils m'ont ramené dans la cellule, tout bruit retentissait dans mes oreilles comme des explosions. Il y avait des gouttes d'eau qui tombaient du plafond et c'était à chaque fois un choc dans mes oreilles. Je me les bouchais des deux mains mais c'était insupportable.
Le lendemain, il m'ont ressorti de la cellule vers 21h et emmené dans la même salle. Ils étaient à trois, en tenue militaire mais pas cagoulés. Cette fois-ci ils m'ont roué de coup de rangers et de poings, sur tout le corps. Babay m'a dit: « Ma femme accouche aujourd'hui et à cause de toi je ne peux pas l'accompagner, je t'arrache la peau! ». Ils ont repris la torture de la bassine. Puis ils m'ont remis dans la cellule. Je suis tombé malade, j'étais incapable de me lever. A midi et le soir on me donnait un petit morceau de pain, pas plus.
Cela faisait 17 jours que j'étais chez eux quand ils m'ont emmené dans une salle où il y avait des canapés. Il y avait une femme médecin qui m'a examiné et fait une piqûre. Djebbar était là.
Le lendemain ils m'ont mis dans une cellule qui faisait deux m2. Je pouvais au moins m'allonger, marcher un peu et il y a une couverte militaire crasseuse par terre. Au mur, il y avait comme une fente qui me permettait de regarder dehors. Je voyais la forêt et j'entendais le chemin de fer.
Quelques heures après avoir été transféré dans cette cellule, ils ont fait entré un tuyau dans la cellule par le biais d'une petite ouverture par laquelle entrait de la lumière. Il y a de la fumée qui envahit la cellule et j'ai des hallucinations mais tout en étant absolument persuadé que c'est la réalité. Je vois ma mère, mon père, je me vois à Tizi, à Alger. Je suis persuadé que ce que je vois se passe réellement. Ce n'est que des heures plus tard que je me rends compte où je suis, je n'arrive pas y croire tant je suis convaincu que ce que j'ai halluciné est vrai.
Le lendemain quand ils m'ont sorti de ma cellule, il m'ont présenté à Djebbar, la médecin est venue, elle m'a refait une piqûre et de retour dans ma cellule, ils ont de nouveau introduit cette fumée. Je me voyais avec ma mère, mon père, mes cousins, à l'oued, je suis un peu partout. Sur le tuyau il y avait comme un petit micro. Je ne sais pas si dans cet état je parlais. Ils m'ont emmené de nouveau chez Nourredine Ait-Hammouda, Djebbar aussi était là. Dans la pièce il y avait deux journalistes et une caméra. Je leur dis que je veux partir: « cela fait 30 jours que je suis là, je ne peux pas faire de faux-témoignage, pourquoi ne me laissez-vous pas partir? » Ils répondent « il n'y a que toi qui peut faire ça, il n'y a que toi et ton père qui peuvent le faire. Et puis cela ne fait pas trente jours que tu es là, cela fait une semaine, tu comptes les jours et les nuits ou quoi? et encore tu es en forme! » Ait-Hammouda s'adresse en moi en kabyle: « Qu'est ce que je t'ai dit? Si tu avais témoigné, si tu avais fait la cassette, tu serais rentré à la maison. Tu n'as pas besoin d'avoir peur, on contacte les gens de Tizi-Ouzou, tu travailles avec eux. »
‘ai refusé et ils m'ont ramené dans la cellule où j'ai eu droit à une nouvelle séance de gaz. Je ne sais pas ce qui se passait avec moi, j'avais l'impression de ne plus avoir de volonté.
En face de ma cellule il y avait une salle dans laquelle se retrouvaient les militaires. Il y en avait un qui de temps en temps me donnait un verre de lait ou de coca. Il m'a dit: « Vous êtes chez la Sécurité militaire, Haouch Chnou à Blida. je vous donne mon numéro et quand vous sortirez, vous m'appelez. Les gens qui viennent ici n'en sortent pas mais si tu sors un jour contacte moi. » J'ai perdu son numéro de téléphone et je ne me souviens pas de son prénom.
Toujours est-il que j'étais dans un état second, je ne sais pas si c'est l'effet de la piqûre ou de la fumée mais je faisais ce qu'on me disait de faire, on me demandait de me déshabiller, de me lever, de m'asseoir, je le faisais sans résistance. J'étais comme dans un état second.
Deux jours plus tard environ ils m'ont fait entrer dans une pièce dans laquelle il y a un rideau avec une chaise devant. Sont présents Djebbar et deux journalistes. L'un des hommes qui se fait appeler Mohamed me dit ce que j'ai à faire. Il m'explique qu'ils vont enregistrer deux cassettes, l'une en arabe et l'autre en kabyle. Et il me dit exactement ce que je dois dire et il me menace de ne pas sortir de là dans le cas contraire. L'un des journalistes prend la parole: « les forces de l'armée ont procédé à l'arrestation du suspect Ahmed Cherbi. Il avoue ce qui suit… » Et c'est à moi de parler. Je dis sans problèmes: « oui, j'étais avec mon père, à Tala Bounane, nous rassemblions des pierres sur notre terrain quand nous avons entendu des coups de feu. En nous retournant nous avons vu que Matoub avait été tué et cinq personnes que nous avons pu identifier. Il s'agit de Medjnoun, Chenoui, Boudjelah, Moufouk, Djebiri Djamel. » Puis les journalistes me posent des questions: »Pourquoi tu n'as pas été à la gendarmerie pour dénoncer les coupables? » Je réponds: « J'avais peur parce que mon père m'a interdit de le faire. » Puis le commentaire du journaliste: « Après quatre année d'investigation, les forces de sécurité ont enfin pu trouver ces témoins qui confirment la culpabilité des suspects » En fait c'était un scénario pour dédouaner l'armée et faire porter la responsabilité de l'assassinat de Lounès Matoub aux terroristes.
J'ai donc fait la cassette en arabe et en kabyle. C'est cet homme appelé Mohamed qui m'ordonne ce que je dois dire. Il y a aussi deux autres militaires qui mettent la pression. Puis une fois l'enregistrement achevé, ils me ramènent dans la cellule. Et là, c'est Ait-Hammouda qui vient, me félicite et me remet une table de chocolat. Il me conseille de dire la même chose devant la justice. A ce moment, je ne sais pas ce que veut dire justice, je ne sais pas ce qu'est un procureur de la République, un juge d'instruction.
En fait je me demande si j'étais dans mon état normal en faisant cet enregistrement. Je suis tout à fait conscient sur le moment mais je m'étonne de m'être laissé commander, de n'avoir opposé aucune résistance, de ne pas avoir refusé. C'est ce qui me fait croire que j'ai été drogué avec une substance provenant soit de la piqûre, soit de la fumée.
Après 3 ou 4 jours, j'ai entendu la voix de mon père. A l'endroit du guichet où les militaires regardent dans la cellule il y a une petite fente qui me permettait de regarder dans le couloir sur le côté, et je vois mon père. Il est dans un état lamentable, tous ses habits sont déchirés, il pleure. Je n'en crois pas mes yeux. Ils l'enferment dans une cellule en face de la mienne pour l'en sortir dix minutes plus tard. En fait mon père a été arrêté environ un mois après moi, le 25 mars. Il avait déposé plainte au niveau de la gendarmerie en raison de ma disparition. Mon père me cherchait partout. Comme je n'apparaissais pas, mon ami avec lequel je travaillais est allé à la police pour dire que j'avais été enlevé par leurs hommes et que s'il m'était arrivé quelque chose c'étaient les forces de sécurité qui en étaient responsables. Dans l'après-midi de ce jour, il a été arrêté et devant les menaces il a dit qu'il n'avait rien vu.
Le 25 mars c'est une voiture qui s'arrête à côté de mon père, un homme en civil l'aborde et lui demande s'il cherche son fils. Il approuve et l'inconnu lui dit que je me trouve chez eux. Il lui propose de l'accompagner pour me voir. Et c'est ainsi qu'il se retrouve au secteur militaire de Tizi-Ouzou. En fait il a été enlevé en plein centre ville. Il est resté enfermé pendant huit jours dans un conteneur au secteur militaire de Tadmait sur la route d'Alger. Là, il a été torturé, on a lâché les chiens sur lui et en plus il a subi aussi cette fumée hallucinogène. Mais contrairement à moi, ce qu'il a vécu c'était l'enfer. Il a vu une scène où j'étais égorgé devant lui. Une fois à Blida, après avoir donc passé huit jours dans ce conteneur, Djebbar lui a parlé, mon père lui a demandé pourquoi j'avais été tué. Djebbar lui a dit que je n'étais pas mort, que j'étais chez eux. Ils l'ont emmené dans la salle où se trouvaient les ordinateurs. Ils m'y ont emmené aussi. Quand il m'a vu, il a chancelé et a affirmé que je n'étais pas son fils. « Mon fils est mort, ne t'approche pas de moi ». Ils m'ont torturé devant mon père, je ne peux pas raconter ce qu'ils m'ont fait. Et le fait de voir mon père dans cet état m'a énormément choqué. Ils m'ont ramené à la cellule et un peu plus tard j'ai demandé au gardien si je ne pouvais pas voir mon père juste pour cinq minutes qui se trouvait dans une cellule voisine. Il m'y autorise. Je parle avec lui et j'arrive à le persuader que je suis bien son fils. Il me dit que toute notre famille est massacrée. Qu'il a vu comment tous y étaient passés. Je lui dis de mon côté d'obéir à leurs ordres s'il veut sortir vivant de cet endroit. Ils l'ont amené dans un bureau où se trouvait Djebbar et il a fait le même témoignage que moi.
La veille de notre départ, je vois Djebbar qui me dit qu'on part le lendemain, que je resterai trois jours en prison et qu'ensuite je passerai devant la justice. Il fallait juste que je répète ce que je leur avais dit, en fait que je témoigne avoir vu Medjoun et Chenoui. Ils m'ont fait signer des PV en arabe. Mon père aussi a signé. Ils nous ont emmené faire une visite médicale. En entrant dans la salle, la médecin en me voyant dit: « Celui-là, cela ne fait pas longtemps que je l'ai vu, je l'ai vu chez le colonel Djebbar ». Et en fait c'est ainsi que j'ai appris que cet homme que j'avais vu souvent, notamment en compagnie de Ait-Hammouda était M'henna Djebbar. Ils m'ont sorti et ont fait entrer mon père.
On a quitté ensemble Blida le 6 avril pour aller Tizi-Ouzou. Chacun était dans une voiture blindée, il y avait dans chaque voiture trois agents armés jusqu'aux dents. On aurait cru qu'ils transportaient Hassan Hattab! A la sortie de Blida ils nous enlevé les bandeaux. J'étais extrêmement choqué, je voyais un autre monde, des gens, des voitures, c'était comme dans un film.
A Tizi-Ouzou ils nous ont tout de suite présentés au procureur général. Ce dernier m'a demandé pourquoi je n'avais pas déclaré plus tôt avoir vu les assassins de Matoub. Je répondais que j'étais trop jeune, que mon père m'avait conseillé de ne rien dire. Il me questionne si je les avais vus, je confirme. On doit passer devant le juge d'instruction. Mon père qui avait déjà été interrogé par le procureur me dit en sortant en Kabyle de refuser de parler sans la présence d'un avocat.
Je demande au juge d'instruction si le fait d'avoir un avocat change quelque chose au fait qu'ils m'envoient en prison. Il me répond qu'avec ou sans, je passerai par la prison. Je décide donc de ne parler qu'en présence d'un avocat. Il avait les cassettes enregistrées sur son bureau.
Les agents de la SM nous transfèrent en prison. Je m'attendais à un lieu comme Haouch Chnou à Blida. Je leur demandais sur le chemin d'intervenir pour qu'ils ne nous battent pas en prison. Arrivés devant la prison, il s'avère que celle-ci est fermée. On nous place donc dans deux cellules et on a pu parler toute la nuit, mon père et moi. Il m'a raconté comment il avait été arrêté. Il me raconte de nouveau que toute la famille a été assassinée et moi je le crois. Même à ce moment, je ne suis pas vraiment dans mon état normal, par moment c'est comme si je me fichais de la mort des miens. Je me dis parfois que comme il s'est trompé à mon sujet, peut être que notre famille aussi est vivante, et parfois, je le crois. Et en plus je suis persuadé à ce moment que je serai remis en liberté dans trois jours comme me l'a affirmé le colonel Djebbar.
Le lendemain on nous emmène dans une grande salle de prison. Il y a des gens que je connais. Il faut dire que jusqu'à ce moment notre famille ne sait rien de nous, ni de mon sort, ni de celui de mon père. Ils sont dans une grande angoisse, d'ailleurs tout le village se terre dès 18h craignant que ses habitants soient eux aussi victimes de ces enlèvements. Mon père est emmené dans un autre bloc, je suis dans une salle avec 60 à 65 prisonniers. Les prisonniers sont très sympathiques avec moi dès qu'ils apprennent que je suis arrêté dans l'affaire Matoub. Ils sont gentils, me font parvenir des objets de première nécessité. C'est parce que personne ne croit à la version officielle et que tout le monde sait que mon père et moi sommes victimes d'une machination. Je n'ai même pas eu besoin de leur raconter toute mon histoire, tous compatissent avec moi.
Je me demande toujours ce qui s'est passé avec ma famille, j'en parle à d'autres. L'un des prisonniers doit être libéré quelques jours plus tard. Il va tout de suite rendre visite à ma mère. Elle et mes frères et soeurs sont en vie. Et pour eux cette visite est très importante puisqu'enfin ils apprennent où mon père et moi, nous nous trouvons. Et d'ailleurs, ensuite, ils sont venus nous rendre visite.
On m'a présenté trois fois au juge d'instruction, Abbassi Mohamed, le 6 avril 2002, le 18 mai, le 16 juin.
J'étais inculpé pour « non dénonciation de l'assassinat de Lounès Matoub ». Quand je lui ai raconté qu'on m'avait séquestré pendant 40 jours, torturé et forcé de faire de faux aveux, il m'a dit de ne pas raconter cela, de répéter ce que les gens de la SM exigeaient de moi. Il essayait de me persuader que j'étais jeune, que si je ne faisais pas un faux témoignage je resterai 10 ans en prison. Mais j'étais décidé de ne pas faire de faire de faux témoignage.
Il a fallu que je change d'avocat parce que celui qui devait me défendre me poussait aussi à confirmer mon faux témoignage. Finalement j'ai été placé en liberté provisoire.
J'ai repris mon travail mais je me cachais. J'étais dans le quartier dans lequel en raison des évènements de Kabylie la police n'entrait pas. Je n'allais que rarement voir ma mère pour ne pas m'exposer au danger.
On devait passer en justice le 10 novembre. La veille je suis allé voir mon avocat. Il ne voulait plus s'occuper de l'affaire parce que le juge avait changé et qu'il craignait que celui devant lequel nous devions passer mon père et moi nous condamnerait à de très fortes peines de prison. Il nous a conseillé de faire reporter le procès. Je suis donc passé devant le tribunal le 21 mars 2004. J'ai raconté ce qui s'était passé: l'enlèvement, la torture, les faux aveux. En plus, mon père et moi n'étions pas sur les lieux du crime. J'avais des témoins, je me trouvais au travail. J'ai été acquitté mais mon père malheureusement a été condamné à trois ans de prison. Pourtant il travaillait à ce moment à l'hôpital, ses collègues et son supérieur ont témoigné qu'au moment du meurtre il se trouvait à l'hôpital. Mais il fallait que l'un d'entre nous soit condamné car sinon toute leur machination concernant l'assassinat de Lounes Matoub tombait à l'eau. Et sans ce mensonge, il aurait peut être même fallu libérer les deux suspects Chenoui et Medjnoun.
Deux semaines après le procès j'ai quitté le pays. J'avais déjà fait une demande de visa et heureusement c'est allé très vite. Je suis en France maintenant.
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Affaire Medjnoune Malik : L'Algérie de nouveau condamnée par le Comité des droits de l'homme de l'ONU
Al Karama, 7 août 2006
Le Comité des droits de l'homme de l'ONU vient, au cours de sa quatre vingt septième session tenue à New York, de condamner une nouvelle fois l'Algérie pour ses violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le plaignant, Monsieur Medjnoune Malik, détenu sans jugement depuis près de sept années a été accusé de complicité dans l'affaire de l'assassinat du chanteur engagé Matoub Lounes ce qu'il a toujours nié. Il avait été enlevé près de son domicile à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999 par des agents du DRS et avait été détenu au secret au Centre Antar de Ben Aknoun durant plus de huit mois au cours desquels il avait été sauvagement torturé selon les techniques habituellement utilisées par les services de sécurité (Méthode du chiffon, électricité. etc.).
Il avait écrit un témoignage particulièrement détaillé sur la torture dont il avait été victime (1).
Ses parents étaient restés sans nouvelles de lui durant toute cette période, et le procureur général de Tizi-Ouzou saisi par le père de la victime, M. Medjnoune Said, d'une plainte pour crime d'enlèvement et de séquestration avait refusé de requérir l'ouverture d'une information.
Plus grave, Medjnoune Malik avait été présenté une première fois devant ce magistrat auquel il avait rapporté les conditions de son enlèvement, mais celui-ci avait refusé de le déférer devant un juge d'instruction, se rendant ainsi coupable de crimes d'enlèvement et de séquestration suivis de tortures, crime prévu et puni par les articles 292 et 293 du Code pénal.
Cette attitude du parquet général de Tizi-ouzou qui a permis au DRS de poursuivre la torture et la détention au secret d'une personne disparue depuis plus de six mois souligne on ne peut mieux la connivence et l'implication de la justice algérienne dans les graves atteintes aux droits de l'homme.
Saisie par le Groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées le mois d'avril 2000, les autorités algériennes décidaient alors de le présenter devant le juge d'instruction de Tizi-Ouzou le 2 mai 2000 et c'est dans ces conditions que, pour la première fois, il se vit reprocher l'affaire de l'assassinat de Matoub Lounes.
Bien que l'instruction ait été clôturée par un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou le 10 décembre 2000 et fixée devant la juridiction de jugement le 5 mai 2001, elle avait été renvoyée sine die depuis cette date, les autorités algériennes ayant prétexté devant l'ONU « que les incidents qu'a vécu la région ne permettant pas à la justice de juger cette affaire dans les conditions de sérénité requises par une telle procédure ».
Depuis, l'affaire n'a jamais été fixée devant le tribunal criminel et toutes les demandes de mise en liberté provisoire présentées par Medjnoune Malik avaient été rejetées.
A l'issue de l'examen de cette plainte présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l'homme a constaté les nombreuses violations dont Medjnoune Malik a été et continue d'être victime.
Le Comité des droits de l'homme estime en particulier que le traitement qu'il a subi constitue une violation par l'Etat algérien des articles 7 (2), des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 (3) et des paragraphes 3 a) et c) de l'article 14 (4) du Pacte.
Le Comité des droits de l'homme enjoint aux autorités algériennes « d'amener Malik Medjnoune immédiatement devant un juge pour répondre des chefs d'accusation ou le remettre en liberté, de mener une enquête approfondie et diligente sur sa détention au secret et les traitements qu'il a subis depuis son enlèvement le 28 septembre 1999 et d'engager des poursuites pénales contre les personnes responsables de ces violations.
L'Etat algérien est également tenu d'indemniser de façon appropriée Malik Medjnoune pour les violations subies et de prendre des mesures pour qu'à l'avenir des violations analogues ne puissent se reproduire.
Enfin, le gouvernement algérien, doit par ailleurs, dans les 90 jours, donner des renseignements au Comité des droits de l'homme sur les mesures prises pour donner suite à cette décision.
Bien qu'il refuse l'idée d'amnistie, considérant qu'il n'a rien à se reprocher, Medjnoune Malik est légalement concerné par cette mesure.
Il y a cependant lieu de craindre, comme c'est souvent le cas dans ce type d'affaire, qu'il ne soit condamné à une peine couvrant sa période d'emprisonnement, uniquement pour donner de la crédibilité à sa longue détention et la justifier ainsi à posteriori.
Cette affaire qui ouvre de nouvelles perspectives aux nombreuses victimes, constitue un nouveau revers pour les autorités algériennes après les deux dernières condamnations du Comité dans des affaires de disparitions forcées de citoyens enlevés par les services de sécurité.
Notes :
(1) http://www.algeria-watch.org/fr/article/just/matoub/temoignage_medjnoun.htm
(2) Article 7 :
Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.
(3) Article 9 :
1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi.
2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui.
3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l'intéressé à l'audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l'exécution du jugement.
(4) Article 14 :
3. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:
a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;
c) A être jugée sans retard excessif.
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Lounès Matoub: dix ans après sa mort, Alger bloque toujours l'enquête
In Algeria-Watch
Par Pierre Puchot, Mediapart.fr, 24 juin 2008
http://www.mediapart.fr/journal/international/240608/lounes-
matoub-dix-ans-apres-sa-mort-alger-bloque-toujours-l-enquete
Les photos de cet article (et la première citation) sont extraites du numéro spécial de la revue Altermed consacré à Lounès Matoub.
C'était un bel après-midi de juin 1998, où le soleil semblait devoir fendre les pierres des petites routes kabyles. Ils revenaient d'un déjeuner animé dans un restaurant de Tizi Ouzou. À travers les routes de poussière, Lounès Matoub, chanteur et poète berbère, conduisait sa femme et ses deux belles-sœurs vers le domicile familial, quand une embuscade les surprit à quelques kilomètres de chez eux. Ils se rangèrent sur le bas-côté. Des hommes en armes sortirent de nulle part et firent feu sur la voiture.
« J'ai l'impression que cela a duré vingt à trente minutes, raconte Nadia Matoub, la femme du poète. Ils ont pris tout leur temps était inanimé sur le siège, ils l'ont extrait du véhicule pour le jeter sur la route, puis lui ont tiré dessus à bout portant. Ils sont venus vers moi, j'avais la tête entre les deux banquettes avant de la voiture. Ils ont ouvert ma portière. J'ai fait la morte. Une balle m'a traversé la poitrine, mais je ne m'en suis pas rendu compte. Je savais que mes mains étaient pleines de sang ainsi que mes cheveux. Je n'ai pas voulu regarder les terroristes. L'un d'eux a dit, en arabe : « C'est sa femme, fouillez-là ! » Ils m'ont fouillée. Après, ils ont fouillé dans la voiture et ils m'ont tiré dessus à bout portant. »
Dix années plus tard, alors que toute la Kabylie s'apprête à commémorer, mercredi 25 juin, le meurtre de son poète, aucune enquête sérieuse n'a été menée en Algérie, malgré les demandes répétées de la famille Matoub et des organisations de défense des droits de l'Homme.
Le 3 février, Nadia Matoub s'est rendue au parquet de Tizi Ouzou, pour « tenter de relancer l'instruction ». Sans succès. «Ils m'ont dit : le processus concernant l'instruction est achevé, le dossier est clos.» Ce même jour, Nadia Matoub a voulu se constituer partie civile pour tentative d'assassinat sur elle et ses sœurs, toutes les trois ayant été blessées dans l'attentat. Ce qui leur était refusé le 19 février, le parquet arguant de l'impossibilité de se constituer deux fois partie civile dans une même affaire. Les trois femmes n'étaient pourtant citées jusque-là que comme témoins.
« Pour moi, il n'y a pas eu d'enquête digne de ce nom, explique à Mediapart Nadia Matoub. Mes sœurs, Farida et Warda, ont affirmé être en mesure de reconnaître deux des assaillants. Elles n'ont jamais été convoquées dans ce sens, on ne leur a jamais montré de photos. »
Un parti berbériste, nœud de l'enquête
De fait, l'enquête piétine depuis le début. Ni Nadia ni ses sœurs n'ont été auditionnées. La reconstitution faite sur les lieux du meurtre a été bâclée, et l'instruction demeure au point mort depuis le début de l'année 2000.
Pour les autorités algériennes, les coupables se situent du côté des groupes islamiques armés (GIA). Menacé pour ses positions laïques, Matoub est, selon la version officielle, tombé sous les balles islamistes. Une thèse simpliste qui ne satisfait personne en Kabylie. Pour la famille de Lounès Matoub, les coupables se situent au cœur du pouvoir politique.
Au centre de ce puzzle se trouve en effet le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), parti berbériste et laïque fondé le 10 février 1989 par Saïd Saadi. Effrayé par la victoire du Front islamique du salut aux élections législatives de 1991, puis par la répression menée par le pouvoir algérien, Matoub s'était rapproché un temps du RCD. Avant de prendre ses distances, notamment en raison du soutien constant apporté par le RCD au pouvoir en place.
Pour la sœur du poète, Malika Matoub, contactée par Mediapart, « les responsables du RCD, Saïd Saadi, Nordine Aït Hamouda et Amra Benyounes, présents durant une période dans l'entourage de Matoub, sont compromis dans cette affaire. Qu'est-ce qui pourrait pousser sans cela ce parti politique à empêcher par tous les moyens une famille de connaître la vérité ? Ce sont les gens du RCD qui ont tout fait pour nous empêcher de progresser dans notre propre enquête. Ils ont diffusé des fausses informations sur nous, des journalistes militants du RCD ont écrit des choses abjectes sur notre compte. Ils nous ont déclaré la guerre du jour où l'on a demandé une enquête et que l'on a exprimé nos doutes quant à la thèse avancée selon laquelle les islamistes étaient les seuls auteurs de cet assassinat. Le RCD s'est mis entre nous et le pouvoir pour tout embrouiller et nous empêcher d'accéder à la vérité».
À cet entêtement de la part des responsables du parti s'ajoutent, pour les familles et les proches de Matoub, des questions restées à ce jour sans réponse.
«Comment expliquer par exemple, s'interroge Malika Matoub, que Nordine Aït Hamouda ait su que Lounès avait été assassiné un quart d'heure à peine après les faits ? Il a annoncé sur les chaînes françaises que Matoub avait été tué par des islamistes, en décrivant l'endroit précis où le meurtre avait été commis. Et il a fait cette annonce vingt minutes avant que le corps de Matoub n'arrive à la morgue. En outre, l'une des deux personnes inculpées pour l'assassinat de Lounès l'a été en présence de Nordine Aït Hamouda. Que faisait-il sur les lieux de l'arrestation ? Il ne fait pourtant pas partie de la police judiciaire… Tous ces éléments, et il y en a beaucoup d'autres, constituent un brouillard inextricable. Le minimum pour le juge chargé de cette affaire devrait être de les auditionner. Il ne leur a jamais posé la moindre question.»
Malek Medjnoun, en prison sans jugement
C'est qu'Alger a déjà ses coupables. Pendant que la justice piétine, deux hommes demeurent emprisonnés sans jugement, dont Malek Medjnoun, détenu depuis 1999. Il ne fait pourtant pas partie de la liste présentée par les autorités algériennes en 2000 comme étant celle des assassins. Son arrestation repose sur le témoignage d'un islamiste, Abdelkrim Chenoui, qui a avoué, s'est rétracté, a affirmé avoir dénoncé Malek Medjnoun sous la torture, puis a confirmé ses accusations, pour enfin disparaître de la liste des suspects…
Exilé à Genève en août 2000 après avoir subi plusieurs années de détention arbitraire, l'ancien avocat Me Rachid Mesli s'est le premier saisi de l'affaire Medjnoun. « Malek Medjnoun a été enlevé le 28 septembre 1999 par des agents du DRS (Département des renseignements et de la sécurité) à Tizi Ouzou. Il a été durement torturé, et mis au secret pendant huit mois. Son père était venu me trouver après sa disparition. J'avais alerté les Nations unies via la procédure spéciale mise en place pour les disparitions forcées. En mars 2000, Malek Medjnoun a été présenté devant le procureur général de Tizi Ouzou, sans que son père ne soit mis au courant. S'il avait parfaitement connaissance de son arrestation par le DRS, le procureur n'a toutefois pas hésité à renvoyer Malek Medjnoun au secret. Heureusement, Amnesty International s'est intéressée à son cas. Et c'est cela qui, je pense, lui a permis d'être officiellement présenté devant la justice, en mai. Ce qui est assez exceptionnel : en Algérie, les personnes arrêtées selon cette « procédure » disparaissent définitivement. »
Depuis son arrestation, Malek Medjnoun croupit dans les geôles algériennes. En 2006, l'ONU a pourtant condamné l'Algérie pour détention arbitraire. Mais rien n'y fait. « Quand j'ai vu les deux responsables du parquet de Tizi Ouzou le 3 février, raconte Nadia Matoub, ils m'ont dit ceci : « C'est un dossier délicat, sensible. » En clair, ils attendent une décision politique. Je leur ai demandé quand devait débuter le procès des personnes inculpées. Ils m'ont répondu qu'aucune date n'était arrêtée. Rendez-vous compte, l'instruction est achevée depuis décembre 2000 ! De mon côté, je me battrai jusqu'à temps que l'enquête soit menée et que la vérité soit établie. Dix, quinze, vingt ans, le temps ne me fera pas oublier ce qui compte pour moi : faire connaître la vérité sur l'assassinat de mon mari. »
URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/240608/lounes-
matoub-dix-ans-apres-sa-mort-alger-bloque-toujours-l-enquete
Liens:
Un chat de Malika Matoub sur le site du quotidien algérien Le Matin .
Le site de l'ONG de Rachid Mesli à Genève, qui s'occupe notamment des détentions arbitraires.
Le dossier Matoub continue d'embarrasser les élites… jusqu'à Paris.
Une rue devrait cependant bientôt porter son nom dans le 19e arrondissement.
Pour se pencher sur les éléments disponibles concernant le cas Malek Medjnoun , rendez-vous sur l'excellent site Algeria watch, qui propose en outre la transcription d'un documentaire admirable, diffusé sur Canal Plus .
Une chronologie algérienne sur le site d'Amnesty.
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EL WATAN 24 juin 2010
Douzième anniversaire de la disparition tragique de Lounès Matoub : « Che » de Thaourirth Moussa immortel dans le cœur des jeunes
Nous commémorons, ce 25 juin, le douzième anniversaire de l'assassinat de Lounès Matoub. Un « pèlerinage » sur les traces du chanteur martyr montre combien est belle sa postérité. Des visiteurs continuent d'affluer par milliers d'un peu partout pour se ressourcer dans sa maison. Les jeunes restent très sensibles à sa parole, si bien que Lounès Matoub demeure en tête des ventes chez les disquaires. La Fondation Matoub lutte avec peu de moyens pour protéger son œuvre et perpétuer sa mémoire. Elle continue à exiger avec force la vérité sur les circonstances de sa liquidation physique.
Béni Douala (Tizi Ouzou). De notre envoyé spécial, El Watan, 24 juin 2010
Samedi 19 juin 2010. 45e anniversaire du (triste) coup d'Etat de Boumediène. Une voix domine toutes les autres dans le brouhaha du centre-ville de Tizi Ouzou. Non, ce n'est pas celle de Matoub, c'est plutôt celle de… Hafid Derradji, dont la voix nerveuse commente en boucle le match héroïque de notre chère équipe nationale face à l'Angleterre. Eh bien, les diablotins numériques du bâtiment bleu et autres cités populaires avaient déjà eu la bonne idée de pirater le match d'Al Jazeera Sport, le graver sur CD et le revendre 100 DA pièce ! Comme partout en Algérie, les mêmes images de fête célèbrent l'exploit de l'EN. Des jeunes débattent des astuces de coloration des cheveux, inspirés sans doute par le nouveau look des Ziani, Chaouchi et Yebda. D'autres se pavanent avec le maillot des Verts, et un peu partout, des vendeurs proposent t-shirts et autres produits dérivés aux couleurs nationales. L'avenue principale ainsi que les trottoirs attenant à la mythique cité des Genêts sont envahis par une faune de tréteaux, transformant la ville de Tizi en un immense bazar à ciel ouvert. Dans les cafés, les restos, les cybers, les salons de coiffure, un même sujet : la Coupe du monde. Des grappes de spectateurs sont ainsi agglutinés à longueur de journée autour d'un écran collectif pour suivre les joutes du Mondial. Ils ont tous le cœur rivé sur le prochain choc Algérie-USA.
Flingué en pleine coupe du monde
Lounès Matoub fut assassiné, rappelons-le, en pleine Coupe du monde 1998 (remportée par la France de Zizou contre le Brésil 3 buts à 0). C'était exactement le 25 juin, vers 13h30, alors que Matoub rentrait de Tizi Ouzou. Il venait de déjeuner au restaurant Le Concorde avec sa femme Nadia et ses deux belles-sœurs, Farida et Ouarda. D'ailleurs, ses trois accompagnatrices seront grièvement blessées. Les quatre passagers tomberont dans une embuscade meurtrière tendue à Tala Bouanane, à mi-chemin entre Tizi Ouzou et Beni Douala. Ils seront littéralement arrosés de balles. En se proposant de revenir un peu sur le parcours et l'héritage symbolique de Lounès Matoub, notamment auprès des jeunes, un pèlerinage à sa maison de Thaourith Moussa s'impose. Des portraits de l'artiste nous accueillent dès le village d'Ath Aïssi, à quelque 15 km de Tizi Ouzou. « Matoub Lounès : la voix de tout un peuple », peut-on lire sur l'un d'eux. On le voit de prime abord : dans le giron du Djurdjura, Matoub est l'icône absolue. La Kabylie est un pays dans un pays et Matoub est son prophète.Nous voilà enfin devant la maison du chanteur au mandole rugissant, celle qu'il érigea lui-même. Na Hamama, une vieille femme fort affable, nous souhaite la bienvenue. Nous apprenons d'emblée que ni Na Aldjiya, la mère de l'artiste, ni sa sœur Malika ne sont présentes. « Elles sont en France », indique un proche de Matoub qui lui ressemble d'ailleurs comme deux gouttes d'eau. « On ne sait pas trop pour le moment comment va se faire la commémoration », dit-il, perplexe. Malika Matoub, la présidente de la Fondation, est dans un état de santé assez critique, apprend-on. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement. Sa mère a dû la rejoindre précipitamment. Na Hamama, la gardienne des lieux, nous invite gentiment à prendre nos aises. Dans un garage dont l'accès est protégé par une grille gît une Mercedes 310 criblée de balles. C'est la fameuse voiture du chantre qu'il conduisait au moment du guet-apens fatal. « Prière de ne pas toucher au véhicule. C'est une pièce à conviction », prévient une pancarte. L'image est troublante. Emotion. Frissons. Sur le capot est accolée une feuille énumérant les impacts de balles, 78 au total ! A l'extérieur, sur une esplanade, s'étale le tombeau de Matoub, taillé dans le marbre. Derrière l'imposante sépulture se dresse un mur tapissé d'une fresque de photographies à l'effigie des martyrs du Printemps noir.
Un « Berbère Pluriel »
Au rez-de-chaussée de la villa se trouvent les locaux de la Fondation Matoub. « La mission principale de la Fondation est de protéger l'œuvre artistique et politique de Matoub », explique Juba Laksi, secrétaire général de la Fondation Matoub (lire interview), avant de souligner : « Ce lieu est l'un des plus visités en Kabylie. Nous recevons en moyenne 150 visiteurs par jour. Les gens viennent pour se ressourcer et pour réclamer la vérité sur l'assassinat de Lounès. » Juba a tout juste 24 ans et déjà toute la fougue, la passion militante et la force de conviction de son idole. Il respire Matoub, parle avec ses « isefra », ses poèmes, ses chansons, cite ses discours de mémoire… Même la sonnerie de son téléphone portable se veut une mélodie de Matoub. Etudiant en psychologie, ce militant associatif a été propulsé il y a deux ans, âgé d'à peine 22 printemps, secrétaire général de la Fondation. Pour Juba, c'est la preuve du rajeunissement de l'association et surtout de la pérennité de l'héritage de Matoub en termes de transmission. « Nous comptons 156 membres. La moyenne d'âge au sein du bureau exécutif est d'à peine 30 ans », se félicite le fringant SG. Justement, un groupe de jeunes, entre filles et garçons, débarque. Ils scrutent avidement les nombreuses photos qui recouvrent les murs et qui fournissent au visiteur une biographie condensée de Matoub. Une bio en images, en somme. Une enseigne plantée au-dessus de l'encadrement d'une porte, on peut lire : « Bienvenue aux pèlerins chercheurs de la vérité ». Une famille est venue au complet spécialement de Ath Abbas, dans la wilaya de Béjaïa, pour visiter ce « mausolée laïc » qui dispute leur aura à moult sanctuaires maraboutiques. Juba reçoit ses hôtes dans le bureau de la Fondation où se trouve accrochée une photo qui attise particulièrement la curiosité des fans de Matoub : on y voit l'auteur d'Aghuru en compagnie de sa première femme, Djamila (car Matoub s'est marié trois fois, Nadia étant sa dernière épouse). Dans la discussion qui s'engage, un jeune homme pose d'emblée la question qui tue : « Où en est l'enquête ? » Il demande aussi s'il n'y avait pas quelques inédits de Matoub, quelques albums posthume en gestation. Juba se montre fort disponible. Il cite abondamment son maître à penser, agrémentant ses réponses de nombreuses citations et autres strophes empruntées à l'aède mythique. « Matoub a vécu son après-mort avant sa mort », lance-t-il à un moment donné avec philosophie. « Matoub est un berbère pluriel. Il a largement dépassé nos frontières. » Et de commenter : « Ce sont souvent les mêmes questions qui reviennent. Les gens veulent surtout connaître la suite de l'affaire Matoub. » Faisant sienne la boutade d'un militant berbériste, il résume : « Il y a deux vraies tribunes libres en Kabylie : l'auditorium de l'université de Hasnaoua et la maison de Matoub Lounès ! »
Numéro 1 des ventes
Une autre pancarte attire notre attention : « On a besoin de vos dons pour que la Fondation Lounès Matoub survive ». Juba développe : « Nous refusons toute subvention publique afin de préserver notre indépendance. Cela nous a valu des difficultés financières, à tel point que parfois nous peinons à payer la facture d'électricité. Heureusement que la présidente ainsi que Na Aldjiya sont là et aident à fond la Fondation. » En dehors de Thaourirth Moussa, l'œuvre de Matoub a à l'évidence autant de succès et d'audience. Mohand, 27 ans, transporteur à son compte sur la ligne Taourirth-Beni Douala, lance, catégorique : « Pour moi, Matoub est au-dessus du lot. » Dans sa voiture, c'est pourtant Lotfi Double Kanon qu'il écoute, symbole d'une jeunesse qui refuse la « ghettoïsation ». Kamel, 40 ans, disquaire à Beni Douala, raconte : « Moi, j'ai connu Matoub. Je travaillais à l'époque dans un café qu'il fréquentait beaucoup. Lounès était un sacré blagueur. C'était également quelqu'un de franc. Il n'avait peur de personne et disait ce qu'il pensait ». Dans sa petite boutique, Kamel a réservé un rayon entier aux CD de Lounès.
Matoub est resté numéro 1 des ventes. C'est une valeur sûre. Les jeunes, les moins jeunes, les femmes, les vieux, tout le monde écoute Matoub. En été, avec l'approche de la date de la commémoration de sa disparition, ça cartonne. C'est aussi le cas avec le rush des émigrés. » Y a-t-il une relève en vue ? « Non, il y a des jeunes qui arrivent comme Mohamed Allaoua qui fait un tabac aussi, ou quelqu'un comme Mourad Guerbas. Ils font de la chanson rythmée, des chansons de fêtes surtout. Aujourd'hui, Matoub a provoqué une crise d'identité au sein de la chanson kabyle. Il est bien difficile de le dépasser. Il faudra longtemps avant de dénicher un autre comme lui. » En septembre 2008, Malika Matoub nous avait aimablement reçus sans rendez-vous au siège de la Fondation. Nous évoquâmes avec elle, entre autres, l'idée de créer un musée Matoub Lounès et Malika Matoub d'insister sur la dimension universelle du chanteur véhément. Ainsi, loin d'être ce berbériste « chauvin » cloîtré dans sa culture, Matoub se révèle un artiste d'une immense sensibilité, un cœur généreux ouvert sur toutes les causes : « Lounès a beaucoup fait pour le rapprochement entre le chaâbi et la chanson kabyle, mais personne n'en parle », déplorait Malika, avant d'ajouter : « Matoub a défendu l'Algérie toute entière.
Les non-berbérophones ne connaissent pas le fond de son combat ni ses textes, hélas ! Ils n'ont que des clichés folkloriques en tête. Il fallait enfermer Matoub uniquement en Kabylie pour ne pas être entendu ailleurs. Or, Matoub, c'est la transition entre deux cultures, la musique arabo-andalouse et la musique berbère. Ceux qui écoutent Matoub vont plutôt écouter El Anka. » Cette dimension artistique, souvent reléguée au second plan, est tout de même au cœur de la vie de Matoub, suggérait sa sœur qui nous disait tout son désir « d'arracher cette mémoire aux politiques pour que Matoub retrouve sa véritable dimension. » « Il faut qu'on arrive à sortir du ghetto dans lequel ils nous ont enfermés. Pour moi, une chose est sûre : même si on ne connaîtra jamais les auteurs de son assassinat, je les empêcherai de s'emparer de sa mémoire ! »
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Lounès vu par son cousin et Alter Ego, Mustapha Matoub : Mon surnom est « danger »
Mustapha Matoub est un très proche cousin de Lounès, un cousinage que trahit, du reste, un visage typiquement « matoubien », même si Mustapha arbore des traits plus fins que ceux du chanteur.
Mais il est surtout un ami intime de Lounès, son alter ego même, eux qui formaient un sacré tandem. D'ailleurs, ils sont nés la même année : 1956. « Lounès est né en janvier et moi en février », dit Mustapha, ses outils d'électricien en bâtiment à la main. Au-delà des liens de sang et des combines du destin, les deux compères sont surtout liés par l'enfance. Ayant grandi ensemble dans les bras de Taourirt Moussa, ils ont forgé leur caractère côte à côte, dans la magnanimité du sort qui les a jetés sur les mêmes routes et les mêmes péripéties. Au titre de l'ensemble de ces (heureuses) coïncidences, Mustapha s'est retrouvé témoin de premier plan de la vie tumultueuse du poète impétueux.
Il en fera les frais dès les premiers balbutiements de leur sulfureuse jeunesse. L'un des faits les plus pertinents que retient Mustapha, c'est, en l'occurrence, le jour où Lounès le poussa dans un ravin. C'était en 1961. Son corps frêle dégringola à flanc de colline avant de percuter un rocher. Le petit Mustapha sera évacué par des soldats tricolores à l'hôpital d'où courra la nouvelle qu'il avait laissé la vie dans ce triste jeu d'enfants. « On avait même préparé mon enterrement et le village entier plongea dans le deuil », s'esclaffe-t-il. Cela en guise de prologue pour dire que « Matoub n'avait pas que des qualités. C'était un fonceur, il aimait le danger et frayait continuellement avec la mort. Il aura vécu toute sa vie ainsi, en allant au devant de la mort. » Car Lounès était, oui… fasciné, façonné par le danger, lui qui brûlait sa vie par les deux bouts. Pas étonnant, dès lors, qu'il nous ait quitté de mort violente, lui qui était radical dans son engagement, radical dans ses haines et dans ses amours, radical dans sa passion de la liberté.
Le troubadour du village
Outre le « sale gosse » qu'il était, Mustapha garde de Lounès le souvenir d'un petit génie. Un élève certes guère commode, mais étonnamment précoce, d'une intelligence rare et d'une imagination hors normes. « Il était surtout passionné de bandes dessinées », se remémore Mustapha. Lounès dévorait les BD de Blek Le Rock, Zembla et autre Micky Le Ranger. Ce n'est donc pas un hasard si Ali Dilem compte parmi ses « frères d'art ». « Le plus drôle dans l'affaire, reprend Mustapha, c'est qu'il s'identifiait littéralement aux personnages de ces BD. S'il y était question de trappeurs, il se la ramenait avec un chapeau de trappeurs. S'il était question d'une tribu indienne nommée les va-nu-pieds, il marchait pendant des mois pieds nus. Tout ce qu'il lisait, il l'appliquait au pied de la lettre, et cela a nourri considérablement son imagination ». Malgré des dispositions intellectuelles prodigieuses, le petit Lounès abandonnera ses études avant le bac, officiellement pour protester contre « l'invasion égyptienne de l'enseignement ».
Il faut dire qu'il s'était déjà fait une idée de l'avenir qu'il se voulait : celui d'un troubadour. « Il devait avoir dans les 8-9 ans, quand il s'est vu offrir en guise de jouet une guitare en plastique. Il montrait déjà de belles choses avec cet instrument de pacotille. Par la suite, il s'est confectionné une guitare à partir d'un bidon d'huile, un manche en bois et du fil de pêche », raconte Mustapha. « Il a formé un groupe avec les mioches du village. J'y figurais bien sûr. Nous battions la mesure avec nos mains pendant qu'il chantait. On faisait un peu le chœur. Nous n'avions pas d'instruments à l'époque ». D'un humour féroce mêlant ironie et provocation, Matoub baptise son groupe « Idjerboubène » (les bardes en haillons). « Et on sillonnait ainsi les fêtes de mariage, parfois on en improvisait. C'était la stratégie de Lounès pour se faire connaître », avoue Mustapha. « Quand il chantait dans un village, les gens affluaient de tous les villages voisins. Très vite, sa popularité monta en flèche, si bien que lorsqu'il a sorti sa première cassette en 1978, elle s'est envolée en 15 jours et a atteint le prix record de 1040 DA au marché noir ! » Le compagnon de route de l'artiste nous apprend que les années les plus prolifiques de Matoub furent celles de son service militaire. « Il avait passé son service national à Oran. Il désertait toutes les semaines, et chaque fois qu'il venait au village, il avait dans sa besace cinq à six chansons, voire dix chansons qu'il avait composées dans la semaine ». Ses premières influences étaient Slimane Azem et cheikh El Hasnaoui. « Mais il y avait aussi Dahmane El Harrachi qu'il admirait beaucoup pour son côté ‘‘redjla'' », souligne Mustapha.
Un humaniste radical
D'après le portrait esquissé par son ami d'enfance, Lounès était un jusqu'au-boutiste, « Quand il a une idée en tête, vous n'avez pas intérêt à essayer de l'en dissuader. C'était un gagneur, il aimait être le meilleur en tout. Même dans une banale partie de dominos, il faut que ce soit lui qui gagne. Si on se propose d'escalader un arbre, il faut qu'il monte plus haut que les autres. » Un acharnement qu'il paiera très cher. Il faut dire qu'il avait une âme de justicier. Il n'aimait pas la hogra et tenait les arrogants en horreur. Juba Laksi, le SG de la Fondation Matoub, rapporte cette anecdote que tous ses fans connaissent : « Un jour, Lounès a appris dans un café à Tizi Ouzou qu'un pauvre type, qui se préparait à se marier, allait être concurrencé par un de ses proches qui était de condition aisée. Ce dernier avait décidé de célébrer son mariage le même jour pour gâcher la fête de son cousin. Matoub en a eu vent et en a pris ombrage. Il a rameuté son orchestre et a proposé spontanément ses services au plus modeste des deux hommes. Dès qu'il a fait son entrée, l'autre a dû écourter sa réception : tous ses convives se sont rués vers l'autre fête pour écouter Matoub. »
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Juba Laksi. Secrétaire général de la Fondation Matoub Lounès : « Matoub était un rassembleur »
- D'abord, pouvez-vous nous présenter la Fondation Matoub. Dans quelles circonstances est-elle née ?
La Fondation Matoub est née en septembre 1998, soit trois mois après sa mort. Au début, la Fondation s'est structurée autour de comités locaux afin de faire cesser la pression sur la Fondation Matoub. Ces comités étaient dispersés un peu partout en Kabylie et même en dehors de la Kabylie. Après, ces comités ont été remplacés par des commissions. La Fondation compte aujourd'hui 156 membres, et ce qui fait plaisir, c'est l'apport significatif d'un sang « jeune ». La Fondation mène un combat très sain, celui de protéger la mémoire de Matoub et faire connaître son œuvre politique et artistique. La Fondation milite également pour réclamer la vérité sur son assassinat. Notre plus grande fierté au sein de la Fondation est que c'est la seule structure en Kabylie qui ouvre ses portes de 8h à 17h et qui reçoit plus de 150 visiteurs par jour qui viennent des quatre coins d'Algérie et des quatre coins du monde. Ils viennent se ressourcer et viennent pour « thidhests », à la recherche de la vérité. Le combat identitaire s'est essoufflé un peu depuis 2005, mais il y a toujours la porte de Matoub qui reste ouverte. Les portes de la Fondation sont ouvertes à tous car Matoub était un rassembleur.
- Justement, vous qui êtes né en 1986, que vous inspirent la vie et l'œuvre d'un artiste mythique comme Matoub ?
Matoub est le câble qui a rattaché la génération qui a fait le Printemps 1980 à la mienne. C'est lui qui nous a communiqué cette ferveur. Il nous a permis la connaissance du passé et du combat de tout un peuple. Par son œuvre politique et artistique, Lounès nous a montré le chemin. Il nous a montré ce qu'est la cause berbère et ce que c'est que d'être un patriote, un vrai ! Aimer sa patrie et ses origines en même temps.
- Gardez-vous quelques souvenirs de lui ?
Oui. D'abord, Matoub était un cousin à ma mère. Quand j'étais petit, je ne connaissais pas le « mythe Matoub », la star. Comme tout le monde au village, on ne connaissait que Lounès. Lounès Ath Lewniss. Il nous faisait oublier le « Rebelle ». Lounès était quelqu'un de très simple. Tu peux l'appeler à 2h du matin, il t'ouvre. Tu peux entrer sans frapper, manger, rester, tu es le bienvenu. Sa maison était ouverte à tous à telle enseigne qu'elle était devenue la « thajemaïth » du village. Il était facile de l'approcher, de le côtoyer. Quand j'étais gamin, je me souviens d'abord de son visage qui m'a toujours paru impressionnant, très particulier. En même temps, c'était un phénomène. C'était le Djeha du village. Il y avait toujours des histoires à son sujet. Il aimait frayer avec les « iderwichen » de thadarth, les gens un peu marginaux ou foutraques. Il aimait aussi le cheikh de la mosquée du village, il aimait les gens du village, il aimait le petit peuple. On le surnommait « bouthemaghriwin » parce qu'il était de tempérament facétieux. L'un de ses amis intimes était un fêlé, un schizophrène. Donc, on ne connaissait pas Matoub le Rebelle, on connaissait Lounès le farceur.
- L'un des clichés les plus tenaces que l'on colporte à son sujet le présente comme un berbériste « chauvin », limite raciste. Pourtant, ceux qui le connaissent et connaissent son œuvre savent combien ces préjugés sont erronés…
Absolument ! Comme je le disais, Matoub était un rassembleur. Il défendait des valeurs universelles. Il a fait sienne l'expression de Jean-Paul Sartre en se disant « patriote de toutes les patries opprimées ». Lounès était un militant de toutes les causes humaines. J'en veux pour preuve son célèbre discours qu'il avait prononcé le 9 octobre 1994 à l'amphithéâtre de la Sorbonne en recevant le prix de la Mémoire des mains de Danielle Mitterrand. Il avait dit : « Le Berbère que je suis est frère du juif qui a vécu la Shoah, de l'Arménien qui a vécu le terrible génocide de 1915, de Khalida Messaoudi, de Taslima Nasreen et de toutes les femmes qui se battent de par le monde, frère du Kurde qui lutte sous le tir croisé de multiples dictatures, et de mon frère africain déraciné… »
- Où en est l'affaire Matoub sur le plan judiciaire ?
Nous, notre plus grande victoire, c'est d'avoir entretenu ce procès pendant douze ans. Regardez l'affaire Boudiaf. L'homme a été tué devant les écrans de télévision, et quelques jours après, son dossier était plié et l'affaire classée. Aujourd'hui, même si nous ne sommes pas arrivés à dévoiler la vérité sur l'affaire Matoub, on aura tout de même réussi à faire durer ce procès. A chaque audience, nous drainons des centaines de soutiens. En 2008, nous avons reçu le soutien de quelque 127 collectifs et organisations. Pour le reste, nous, on ne soupçonne personne et on n'accuse personne. On veut juste la vérité et c'est notre droit de connaître cette vérité. On est là pour la revendiquer. La famille Matoub a déposé un dossier très solide auprès de la justice. Il y a la voiture qui compte 78 impacts de balle. Au sein de cette voiture, il y avait trois témoins oculaires : Nadia et ses deux sœurs. Il y a une étude balistique qui doit se faire sur la voiture. Il y a 50 personnes qui sont prêtes à apporter leur témoignage et qui peuvent éclaircir cette vérité. Alors, il appartient à la justice de faire son travail.
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Assassiné le 25 juin 1998 : Matoub Lounès mort, ses idées font du chemin
Djamila Fernane. Universitaire. El Watan 24 juin 2010
Assassiné le 25 juin 1998 dans des conditions non élucidées à ce jour (12 années après son assassinat l'enquête n'a pas abouti et la date du procès de ses présumés meurtriers n'est toujours pas fixée), Matoub Lounès a gardé intacte sa popularité auprès d'un très large public constitué de simples citoyens, parmi lesquels de nombreuses femmes, de cadres et d'étudiants, qui continuent plus que jamais à l'aduler, sans doute parce qu'ils se reconnaissent dans ses idées et combats qui lui coûtèrent la vie.
Matoub Lounès constitue, également, un sujet d'admiration pour les étudiants, qui ponctuent immanquablement les festivités des grands événements politiques et culturels locaux ou nationaux par la diffusion d'émouvantes chansons de son riche répertoire. L'adhésion quasi-totale des étudiants à ses paroles apportent la preuve, s'il en fallait une, que le poète n'est pas près d'être oublié et que bien au contraire il fait de très nombreux émules dans les campus universitaires. Tamazight, en tant que langue et culture à préserver et promouvoir, figurait aussi aux premiers rangs des combats de Lounès Matoub. Il refusait le sort que le pouvoir algérien leur a réservé, sort que le chanteur qualifiait sans détour de « génocide culturel et de viol linguistique ». Le mouvement nationaliste, dans toutes ses composantes, n'a lui-même pas laissé le moindre espace à la langue et à l'identité amazighes pourtant millénaires et authentiquement algériennes. Dès les années vingt, les milieux nationalistes opposent, par mimétisme, la nation algérienne à la nation française, la langue arabe à la langue française et l'Islam au Christianisme.
Le sort de l'amazighité est dès lors scellé. On n'hésite pas d'ailleurs à éliminer tous les militants qui refusent de se fondre dans le moule arabo-islamique qui constitue la matrice du pouvoir en place. Pourtant, dans les années 1940, le discours revendicatif de la cause amazighe devient plus explicite à travers, notamment, la crise berbère de 1949. La contestation mise au placard durant la guerre de libération reprendra après l'indépendance, culturellement, par Mouloud Mammeri dont les cours de berbère à peine tolérés à la faculté d'Alger vireront quelques années plus tard en revendication politique. Matoub Lounès sera de ce combat pacifique en tant que militant du Mouvement culturel berbère (MCB), qui porte depuis plus de vingt ans le flambeau des luttes identitaires et démocratiques contre le pouvoir oppresseur. « Yehzen El Ouad-Aissi », illustre très bien les massacres du printemps 1980 avec les mots justes et forts qui décrivent parfaitement cet événement dramatique : « Deuil sur Oued Aïssi, depuis le début des émeutes, nuit venue, soldats grimpant à l'assaut. Tous les villages alertés, le peuple afflua vers Tizi. Toutes les rues bouillonnaient ; pourquoi bouillonnaient-elles ? Ce n'est pas la démocratie ! Nous voulons la liberté, allons, avant qu'ils nous mènent au peloton. » L'ouverture du pays, avec l'instauration du multipartisme (1989), a donné beaucoup d'espoir, malheureusement, trop vite déçus. La culture amazighe est, pour chaque kabyle, l'âme de son identité et Matoub, dans ses chansons, s'ingénie à refonder et enrichir la culture amazighe, en dépoussiérant, notamment, les histoires, les contes du terroir, l'objectif étant de préserver sa langue et ses valeurs. Ce, qu'évidemment, ses détracteurs n'ont pas manqué d'exploiter en qualifiant injustement ses propos de régionalistes, voire même de racistes.
Il appelle tous les citoyens responsables à faire preuve de maturité politique et de clairvoyance patriotique pour déjouer les pièges tendus par certains cercles du pouvoir. S'adressant à sa compagne et parfois à sa conscience, devant ce qui restait de ce montagnard et ce gladiateur forcené qu'il avait toujours souhaité être en réaction aux injustices et habitudes sclérosantes, Matoub a tenté d'esquisser à tâtons une caricature de ce qu'il est, en tentant de chercher, tel un aveugle qui rase le long d'un mur, une issue qui conduit malheureusement à un précipice. La culture berbère, la démocratie, la justice et les droits de l'Homme constituaient pour lui autant d'idéaux en faveur desquels il fallait inlassablement lutter. Matoub, qui contestait le régime politique en place déjà sous le règne de Boumediène, gardera de similaires positions envers celui de Chadli, sous le règne duquel se déroulèrent les inadmissibles dépassements en réaction au soulèvement populaire d'Avril 1980. Il fait également grief à ce régime pour les exactions commises en représailles aux émeutes du 25 septembre 1994 par un groupe armé, puis libéré au terme d'une forte mobilisation populaire en Kabyle. Son enlèvement a démontré au monde la maturité de toute une population qui a su éviter les dérapages même après l'expiration de l'ultimatum fixé par les terroristes.
Contrairement à ce que ses détracteurs avaient affirmé, il n'a jamais fui le danger ni refusé de prendre position sur les questions qui fâchent quand il le fallait. Il s'est souvent échiné à défendre ses opinions et ses positions d'homme libre, faisant fi de toute hypocrisie. Il n'a jamais visé la réussite sociale, son credo étant tout simplement d'être libre de penser et d'agir. Mais dans un pays qui ne porte pas la démocratie en odeur de sainteté, cela se paie ! Les déchirements qu'évoque le poète avec son passé sont parfaitement bien résumés par son fameux cri du cœur aujourd'hui largement usité en Kabylie : « Nul n'a ressenti les coups de boutoir du temps, sauf ceux qui nous ressemblent. »


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