Plusieurs milliers de personnes ont battu, hier, le pavé à Rabat pour dénoncer la condamnation à de lourdes peines de prison des meneurs du mouvement de protestation Hirak, qui avait agité la région du Rif ces deux dernières années. La contestation dans le Rif avait été déclenchée par la mort d'un vendeur de poissons, broyé dans une benne à ordures en octobre 2016 alors qu'il s'opposait à la saisie de sa marchandise. Au fil des mois, la protestation a pris une tournure plus sociale et politique, pour appeler à davantage de développement et à la fin de la marginalisation. «Le peuple boycotte la justice», «Liberté aux détenus» ou «Non à la militarisation du Rif», ont scandé les manifestants venus participer à cette marche organisée à l'appel du comité de soutien au Hirak. Cette marche aurait pu réunir davantage de personnes, si les services de sécurité n'avaient pas fermé les accès de la capitale marocaine aux manifestants venus des autres villes du royaume. Des activistes marocains soutiennent également que de nombreuses unités de la police et de la Gendarmerie royale ont été déployées au niveau des sorties des villes de Berchid, Fès, Taza, Oujda, Meknès, Sidi Kassem, pour empêcher les bus et les trains de transporter des manifestants à Rabat. Ce n'est pas la première fois que les Marocains sortent dans la rue pour exiger la libération des meneurs du mouvement Hirak. Quelques milliers de personnes avaient déjà manifesté dimanche dernier à Casablanca, la capitale économique du royaume. Le 26 juin, la justice marocaine avait condamné, à l'issue d'un procès-fleuve de neuf mois, 53 activistes du Hirak à des peines comprises entre 1 et 20 ans de prison. Le leader du mouvement, Nasser Zefzafi, et trois de ses compagnons avaient écopé de 20 ans pour «atteinte à la sécurité de l'Etat». Le journaliste Hamid El Mahdaoui avait, lui, été condamné à trois ans d'emprisonnement pour «non-dénonciation d'une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l'Etat», après sa couverture des événements. Tous les détenus ont décidé de faire appel du verdict, qui a suscité des réactions d'incompréhension et d'indignation dans le royaume. A noter que l'annonce a eu l'effet d'un coup de massue et a suscité des réactions de colère et d'indignation. Les condamnations des 53 accusés du Hirak par la cour d'appel de Casablanca totalisent près de 300 ans de prison. Du jamais vu. Aussitôt le verdict connu, plusieurs tentatives de manifestation avaient été réprimées par la police à Al Hoceïma et à Imzouren. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ne cachaient pas leur colère ou leur amertume face à un verdict d'une telle sévérité, et au moment où le pays est confronté à des revendications sociales grandissantes. Le président de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), Ahmed El Haij, avait pour sa part dénoncé un verdict sous influence de «l'Exécutif». «Au Maroc, nous n'avons pas de magistrature indépendante qui applique la loi et strictement la loi. Ces militants ont été arrêtés alors qu'ils menaient des protestations purement pacifiques pour demander à l'Etat une plus grande justice économique et sociale. Or, ils ont été jugés pour des actes aberrants qui ne correspondent pas à la réalité, sous prétexte qu'ils auraient menacé l'intégrité territoriale du royaume. Ce verdict vise à donner une leçon à tout le peuple. Nous sommes revenus aux années de plomb», avait-il soutenu. Des députés de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) ont, annonce-t-on, déposé au Parlement marocain une proposition de loi pour une amnistie générale des détenus du Hirak, en phase avec une pétition en ce sens lancée sur internet. Une quinzaine d'associations européennes et arabes ont demandé «l'annulation de ces peines et la libération immédiate des détenus» dans une déclaration commune à Barcelone. Pour sa part, la rue marocaine se dit mobilisée jusqu'à la libération des animateurs du Hirak.