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Hygiène publique et citoyenneté
Publié dans El Watan le 31 - 08 - 2018

Comment expliquer l'absence d'hygiène dans la majorité de nos villes ? Quelles significations faut-il attribuer à la banalité de la saleté dans nos espaces de vie ?
Il importe pourtant de dépasser les arguments du sens commun qui ne permettent pas de situer les enjeux sociaux de l'hygiène publique : «l'Algérien est négligent» ; «il est dénué de tout civisme», en oubliant que la saleté a un ancrage général et profond dans le tissu social, pour se limiter trop rapidement à une explication psychologisante.
A observer les détritus envahir nos corps, s'installer de façon chaotique dans de multiples endroits qui auraient pu se transformer en espaces verts, on ne peut qu'évoquer de façon rageuse le laisser-aller anarchique qui est loin d'être une stricte affaire de l'individu en soi, réfractaire à l'hygiène, comme si cela était inscrit dans ses gènes.
L'absence d'hygiène dans nos quartiers ne peut donc se suffire d'un raisonnement qui tourne en rond, renvoyant, de façon paresseuse et fragile, la responsabilité à chacun d'entre nous, comme si nous étions tous coupables d'une situation sociale à laquelle personne parmi les pouvoirs n'a eu un jour la décence de demander notre avis.
On voit toutes les limites de la condamnation morale. Elle ne nous dit pas pourquoi les personnes sont amenées à jeter les détritus par la fenêtre, à déposer un peu partout les sacs de poubelle éventrés, à cracher dans la rue, à s'inscrire dans une forme d'indifférence à l'égard de l'hygiène.
Du haut de son perchoir, le chroniqueur en mal d'idées peut confortablement se lamenter sur «l'inconscience collective» d'une population, qui ne fait pas «l'effort» d'intérioriser dans ses gestes quotidiens une certaine discipline de l'hygiène !
On n'est pas sorti, faute d'une analyse rigoureuse et critique, de la dimension morale et normative, et donc de ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire, comme si on était en présence d'une vérité inébranlable qui tend davantage à culpabiliser les personnes, tout en restant silencieux sur le sens sociopolitique de l'hygiène publique.
L'infantilisation
Les hygiénistes du XIXe siècle en Europe ont bien compris que l'hygiène publique ne se résumait pas à infantiliser les personnes, en les abreuvant temporairement de campagnes de sensibilisation, ou en procédant de façon rapide et irrégulière à des nettoyages superficiels ou à des opérations de faire-valoir, qui ne changent en aucune façon l'âme d'un quartier ou d'une ville.
En refusant de s'inscrire dans une démarche paternaliste qui participe en réalité d'un processus de «culpabilisation» des populations, le mouvement hygiéniste a, au contraire, exploré de façon approfondie les quartiers pauvres, en mettant l'accent de façon très précise sur les conditions matérielles et sociales de la population ouvrière, qui permettent de comprendre le sens de ses pratiques quotidiennes.
Ils ont compris que la transformation de l'hygiène dans la société est indissociable des conditions de vie des populations.
Ingénieurs, médecins, syndicalistes, membres du patronat se sont mobilisés pour dévoiler, études à l'appui, la détresse sociale et morale de la population, même si cela a été fait au profit du capitalisme.
Dans cet esprit, Dubos (1961) a eu raison de rétorquer que «les sous-vêtements de coton lavables et la vitre transparente qui laisse passer les rayons du soleil ont fait plus que la médecine pour vaincre les infections».
La pénurie d'eau, les logements caractérisés par l'exiguïté et l'insalubrité, les déchets éparpillés un peu partout dans la «ville» par faute d'espaces précis et réglementés, les rats se promenant dans les caves et dans les escaliers des immeubles, le sous-équipement en matière d'évacuation des eaux usées, les multiples pathologies sociales ayant un lien avec l'injustice et les inégalités pèsent trop lourd dans la balance pour se limiter faussement à la question de la «conscientisation» des personnes.
Or, comment les personnes peuvent-elles se mobiliser pour la «cité» quand celle-ci n'est pas constituée politiquement et socialement ? Comment peuvent-elles agir quand elles se perçoivent enfermées dans un rouage qui les dépasse ?
Comment peuvent-elles s'intéresser à l'espace «public» quand celui-ci est régi par des «règles» opaques et floues, autorisant toutes les dérives, quand il n'est producteur d'aucune reconnaissance sociale, mais plutôt du mépris à l'égard des personnes ?
L'hygiène publique est donc loin d'être une simple question technique ou strictement liée aux comportements des personnes. Elle renvoie essentiellement à la façon dont les rapports entre usagers, pouvoirs locaux et «représentants» de la ville ont été politiquement construits.
L'absence d'un «espace public»
Les poubelles déposées à même le sol, à proximité des habitations, donnent une image hideuse de nos lieux de résidence.
Mais, plus fondamentalement, ceci traduit un enjeu sociopolitique majeur : l'hygiène est indissociable de l'espace «public», et donc politique, qui reste à construire de façon démocratique.
Il n'est donc pas étonnant que la régulation au quotidien de nos cités s'opère de façon aléatoire, favorisant de façon radicale le retrait, le scepticisme et l'indifférence des personnes qui se perçoivent peu impliquées dans la gestion de la ville.
A-t-on vu un jour dans nos quartiers un membre de l'APC nous exposer les problèmes de la ville d'Oran, demander nos propositions ?
Alors que l'espace privé est barricadé, protégé, réaménagé et entretenu de façon scrupuleuse, révélant que les normes de propreté ont bel et bien été intériorisées par les personnes, à l'extérieur, en sortant de chez soi, l'impression du néant semble dominer.
La saleté envahit les escaliers de l'immeuble. Les caves sont rarement nettoyées. La diversité des sacs de poubelle indique l'absence de toute réflexion sérieuse sur les modalités uniformes d'entrepôt des détritus.
Le dehors apparaît donc comme un monde social orphelin de tout dispositif social, politique et réglementaire qui puisse permettre aux habitants de construire, sur des bases claires, leurs relations sociales.
Les tensions sont alors visibles entre les voisins. Chacun privilégie le repli sur soi, s'interdisant toute réalisation de soi dans une société profondément fragilisée parce que la confiance n'est pas de mise dans les rapports sociaux.
Dans les conflits, la raison du plus fort l'emporte largement. Le plus fort, c'est celui qui a souvent les «épaules larges» pour oser des empiétements sur un espace dit public, en créant des zones privées, sachant pertinemment qu'il ne sera jamais sanctionné.
La sanction a-t-elle un sens quand le droit est en permanence transgressé, bafoué et balayé d'un revers de main ? La «cité» semble fonctionner par la médiation du rapport de force ou de la cooptation qui rend socialement inefficace tout recours à la légalité.
Elle est fragilisée par les multiples dépassements, détournements ou dérives encastrés dans l'administration de la ville. Se plaindre devient un non-sens ou une aventure risquée, pour ne pas dire inutile face à des institutions fermées sur elles-mêmes, qui laissent peu de place à l'écoute et aux relations plus personnalisées.
Force est d'observer que le mode de représentation politique local connaît de sérieuses limites dans la production du «citoyen» qui s'efface dans les méandres des appareils administratifs.
La citoyenneté est une construction sociopolitique, à ne pas confondre avec le sujet assujetti aux différents pouvoirs lui promettant de «fabriquer» son «bonheur», mais sans lui.
A l'absence de reconnaissance du citoyen défini par sa participation active dans la gestion de la cité, où ses droits et ses obligations sont objectivés, se substituent des personnes et non des citoyens, entassées de façon précipitée dans un espace social qui se construit en dehors d'eux.
Face à l'absence de repères politiques transparents, à l'origine d'arbitrages devant s'opérer dans la gestion de la ville, le désœuvrement, le sentiment d'injustice, l'indifférence, le stress, l'incertitude ou l'opportunisme sont au cœur des logiques sociales déployées par les personnes.
Une «ville» sans âme
La question de l'hygiène publique ne se réduit pas à adopter mécaniquement un comportement donné, «parce que la propreté ou la saleté absolue n'existe pas, sinon aux yeux de l'observateur» (Douglas, 1981).
Le champ de l'hygiène publique ou plutôt son inexistence dévoile, au-delà des restrictions budgétaires, des moyens techniques et humains insuffisants, une forme de paralysie sociale de la «cité».
Elle apparaît livrée à elle-même, sans âme, sans autorité reconnue, sans identité particulière, sans poids moral et politique. «Bled ralia» ou «Le pays est désert», disent les personnes dans le langage ordinaire. La «ville» ressemble, pour reprendre une métaphore, à un bateau en plein milieu de la mer, qui chavire en l'absence d'un commandement légitimement reconnu.
On peut multiplier les campagnes sur la ville la plus propre d'Algérie, les séminaires «prestigieux» et coûteux sur l'environnement, produire mille et une recommandations, la «cité» restera telle quelle parce qu'on aura occulté le fait majeur que l'hygiène publique n'est pas uniquement une affaire de spécialistes, mais des populations politiquement reconnues comme des citoyens, dans une ville qui doit être la leur… Ce qui est loin d'être le cas.
Les sociologues Michel Crozier et Eric Friedberg (1977) indiquent à juste titre «qu'on ne change pas une société par décret».
Le changement social, pour ces deux auteurs, consiste en un apprentissage collectif fondé sur l'écoute, la prise en compte de la parole de l'autre, et une démocratisation de la société qui ne se confond pas avec la libéralisation tronquée et chaotique qui fait la part belle aux acteurs, reconvertis trop brutalement dans une économie de bazar et appelés pudiquement «hommes d'affaires».
Il faut donc être précis sur les termes. Comme le souligne Ferrié (2003) : «La libéralisation n'est pas destinée à amener une redistribution du pouvoir par le biais d'élections libres.
Les politiques de ‘‘démocratisation'' promues par les gouvernants autoritaires du monde arabe sont ainsi des politiques de ‘‘libéralisation'', puisqu'elles ne visent qu'à faciliter le maintien des régimes en place.»
La dimension sociopolitique de l'hygiène publique réapparaît de façon brutale quand les responsables locaux «oublient» de doter la ville de véritables toilettes publiques. Elles sont pourtant de l'ordre de l'utilité sociale et du respect de la personne humaine.
Le respect suppose fondamentalement la reconnaissance sociale de la personne (Honneth, 2008). Le bureaucrate local pourra toujours invoquer mille et un prétextes pour justifier leur inexistence : «ce n'est pas une priorité» ; «l'argent n'est pas disponible» ; «les difficultés de leur entretien», etc.).
Convenons que leur absence dans la cité est loin d'être un détail sans importance. Elle dévoile de façon cruelle que nos vies ne valent pas grand-chose, contraignant un homme à fuir dans un café pour faire ses besoins les plus élémentaires.
Mais, comment peut faire une femme qui se promène en ville ou une personne diabétique contrainte d'uriner régulièrement ?
La question de l'hygiène publique est trop importante pour être réduite uniquement à une affaire de nettoyage ou d'entretien, au sens d'une machinerie qu'il suffit, même de façon aveugle, de mettre en branle en occultant les conditions de vie des personnes, le type de relations sociales que nous souhaitons construire au quotidien et plus précisément la place sociale de l'homme et de la femme dans la «ville».
Celle-ci ne semble pas encore émerger et s'imposer en l'absence d'un ordonnancement social négocié, devant permettre le bien-être des personnes se reconnaissant dans «leur» ville. L'enjeu essentiel de l'hygiène publique se cristallise dans les rapports que les personnes construisent socialement à leur espace de vie.
Face à la paralysie sociale de la «cité», la distanciation et le retrait représentent des formes de résistance face à l'absence de reconnaissance sociale de la personne, qui se vit comme étrangère dans un espace «public» qui reste à construire avec… elle.


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