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Nedim Gürsel, le renouveau de la littérature turque
Publié dans El Watan le 25 - 05 - 2006

L'accroche est sûre d'elle, invitant le lecteur francophone à pénétrer en territoire étranger avec, sans aucun doute, le meilleur de ses guides.
Nedim Gürsel est d'abord pour René Etiemble un étudiant, ce «Turc barbu» qu'il repère à son séminaire, et qui, coup sur coup, soutient sous sa direction une maîtrise sur Nazim Hikmet, puis un doctorat de 3e cycle sur la modernité et la tradition dans les poésies contemporaines, françaises et turques. Menée de manière magistrale, l'analyse comparatiste de Louis Aragon et de Nazim Hikmet mérite les félicitations du jury que Nedim Gürsel n'obtiendra qu'à titre officieux, le règlement de la Sorbonne nouvelle interdisant qu'elles soient officielles. Et le grand professeur de commenter avec l'esprit caustique qui lui va si bien : «Surtout, surtout, ne jamais signaler le mérite exceptionnel (sauf chez les athlètes bourrés de drogue) ! N'est-ce point le fin du fin de la démocratie : l'égalité parfaite ? N'est-ce pas plutôt le commencement de sa fin ?»
La démocratie populiste dans la cité des sciences ? Une mascarade destinée à habiller les diplômes d'un nivellement par le bas. De cette démocratie lamentablement intellectualisée, Etiemble ne veut rien retenir.
En revanche, l'autre, celle qui place tous les hommes à l'épreuve du monde, à égalité de parole et d'exigence citoyennes, celle-là, oui, il la veut toute entière. Ce n'est pas en effet un hasard, si ce professeur-là repère entre tous «son» étudiant, et si, avec lui, il accepte de défendre la thèse que les (bonnes) idées ne sont pas affaire de climat. Turquie ou France, Aragon et Hikmet ! Que vive la littérature comparée qui assure le long voyage en territoire vraiment humain, l'esprit sur son dos pour seul bagage, désertant aisance, confort et conformisme. Sur les traces des deux écrivains – turc et français – déjà morts couchés sur papier et soutenus doctement, les deux universitaires vivants – turc et français – sont faits pour s'entendre. Option radicale et affichée pour l'intelligence et la générosité, comme un envol de gerfaut, dès lors que l'on s'aventure hors du chantier natal. Nedim Gürsel nous parle de charnier natal.
Chez Gürsel, la saison privilégiée est l'été. L'été est long à Istanbul. Très long. Il occupe toutes les saisons. Hiver et printemps ouvrent timidement la première des nouvelles, Sous le pont, qui se ferme sur l'évocation de l'automne qui viendra.
Quand ? Bien après que les vivants, qui sont actuellement sous le pont Galata, auront disparu. Refusant aux vivants le bien-être solaire et camusien, l'été s'éternise dans une vacuité frileuse à Istanbul. Sous le pont, en compagnie de ses amis, Ozgur a gardé son manteau et chaussé des lunettes noires. Trop de soleil. Beaucoup de fatigue.
Ce sont ces jours d'été sans fin qui fatiguent et qui donnent froid. «Tout est si stagnant, hors du temps, que même respirer fatigue.» Alors, les vivants s'assoient et s'attablent sous le pont de Galata. La trouée du Bosphore est magnifique et invite au voyage vers le large. En rade sur le quai de leur histoire, les jeunes turcs fixent le reflet de leur image sur les verres noires de leur camarade fatigué parce qu'il est resté trois semaines au «caveau», le quartier des prisons turques où les cachots ne laissent pas le choix aux prisonniers. Ni debout, ni assis, ni couchés.
Comment alors ? Dans l'état décrit par Antonin Artaud : «Se retrouver dans un état d'extrême secousse, éclairci d'irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel.» Retenir les mots «extrême» et «secousse», ceux qui secouent extrêmement sous le coup des électrochocs à l'hôpital psychiatrique après ceux que les survivants ont subis dans les prisons militaires. Ozgur a froid. Filiz a froid.
Dans le reflet des lunettes noires qui cachent le regard de Ozgur, on peut voir une cicatrice blanche le long du poignet de la jeune femme. Ce soir-là, elle était seule, quelque temps après la manifestation du 16 février 1969. Victimes nombreuses.
Le sang s'était vite coagulé sur le trottoir à cause de l'été à Istanbul. Filiz était seule, enfouie depuis longtemps dans un fauteuil près de la fenêtre. Criblé de balles, Ali, son mari, s'étalait de tout son long dans le journal ouvert sur ses genoux.
Puis Filiz s'est levée, légèrement prise de vertige, elle a fait le tour de la pièce, exactement comme la cigogne revenue au sommet de son platane. Fatiguée. Incapable de prendre son envol. Doucement caresser la lame de rasoir, lisse sur le journal comme une tache d'encre. Personne n'a vu gicler le sang de Filiz après la mort de Ali, emprisonné, torturé, relâché, assassiné. Mais tout le monde peut voir chaque jour, le même geste recommencé par une jeune folle dans l'atelier de l'hôpital psychiatrique. Sans pinceau. Directement presser les tubes rouges sur la toile. Une silhouette à la tête déformée, le visage prolongé vers le bas, là où le rouge s'épaissit. Un corps nu peut-être. L'espace vide entre la tache et les yeux, elle l'a peint en rouge qui se coagule. Les tortionnaires font bien leur boulot.
Entre leurs mains questionneuses, les victimes, une fois libérées, deviennent des jeunes pacifiques, effacés, craintifs, attablés sous le pont Galata, le cœur et l'Histoire à marée basse.
Nedim Gürsel tire de l'été le meilleur des traitements littéraires, en pervertissant l'effet attendu du bien-être qui nous réchauffe les os. L'écrivain turc en fait la plus maléfique des saisons. Saison estivale.
Vacances d'été, de désarroi, de mort. Ozgur, Filiz, Ali, Métine. Des jeunes Turcs morts ou vivants, des fossiles au bord de l'eau trouble de la Corne d'Or. Le temps, le sang ne se remettront pas à circuler dans les poitrines. L'été à Istanbul est implacable comme Nedim Gürsel. C'est Etiemble qui le dit : «N'attendez pas de cet homme “de gauche” une idéologie qui éructe des oukazes en quelque langue aussi râpeuse que sèche. Mais n'attendez pas de lui la moindre complaisance pour les bourreaux des peuples ou les affameurs des gosses.»
N'attendez de Nedim Gürsel que la sécheresse d'une saison longue pour comprendre le monde et accepter l'anéantissement de l'être sous le coup d'une mort en civil ou en uniforme. On aime. Solitaires et solidaires sous n'importe quel climat, comme de vrais comparatistes.


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