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Contribution : Le mot de l'avenir (*)
Publié dans El Watan le 12 - 11 - 2007

A terme, en effet, la consolidation d'échanges commerciaux interzones, le renforcement de liens économiques régionaux ne peuvent que soulever la question de la stabilité des parités monétaires, de la convertibilité des différentes monnaies et du maintien des systèmes de contrôle des changes. Autant de questions techniques déterminantes mais qui ne sont peut-être pas les plus fondamentales néanmoins. Car n'oublions pas ce qui fonde la valeur de toute monnaie et le rapport des monnaies entre elles : la confiance. C'est cette dernière qui me paraît devoir être considérée en priorité – et la convertibilité avec elle, mais en un sens qui n'est pas strictement monétaire.
Je n'entrerai donc pas ici dans des considérations de politique monétaire. Je me contenterai de demander si les conditions d'une confiance réciproque sont suffisamment réunies, entre les pays du nord et du sud de la Méditerranée, pour qu'une association renforcée puisse véritablement prendre corps. Et si tel n'est pas le cas, quels moyens permettraient de créer ce climat de confiance partagée, sans lequel rien ne peut avoir communément de valeur.
Dès lors, posons d'autres questions. Pourquoi, bien qu'il se développe, le Maghreb paraît-il rester à la traîne par rapport aux autres régions émergentes dans le monde d'aujourd'hui ? Pourquoi la croissance n'y est-elle pas à la même hauteur ? Et pourquoi cette zone est-elle marquée par une si faible convergence entre ses différents pays, ce qui se traduit par un commerce interzones ridiculement faible ? Osons une réponse : c'est là d'abord un problème de confiance ! Un problème que chaque pays de la région vit et affronte à sa façon mais qui les concerne tous également. Et un problème qui se marque en premier lieu par des phénomènes d'évasion. Une évasion des cerveaux d'abord, comme chacun sait, qui tentent de s'employer ailleurs, en Europe, au Canada, aux USA. Une évasion des capitaux ensuite, qu'on mesure moins mais que le présent ouvrage souligne, qui fuient la région pour aller se placer, s'investir ailleurs. Deux phénomènes si massifs qu'un constat s'impose, même s'il fait mal : les Maghrébins n'ont guère confiance dans le Maghreb ! Pas suffisamment, en tout cas, pour éviter que cette région ne souffre d'un manque de ressources, en hommes et en capitaux employés… que pourtant elle produit.
Pour que la confiance, y compris monétaire, s'installe et perdure au sein d'une communauté nationale, quelques conditions doivent être remplies de nos jours et dans le contexte de la mondialisation. Citons en premier lieu : la démocratie, un Etat suffisamment fort pour être le garant des libertés, la formation naturelle d'élites et leur intégration dans l'économie. Même si ces conditions ne sont pas toujours également remplies, elles forment un tout. Liberté, sécurité, excellence, création d'opportunités, ce ne sont pas là les conditions de la croissance économique. La croissance n'en est, au plan économique, que l'expression. Elle n'agrège jamais, en effet, au plan comptable, que les énergies déployées par des individus qui trouvent, dans leur propre pays, l'opportunité d'être pleinement acteurs de leur développement et de leur destin individuel. De nos jours, on fait de la formation la clé de tout développement économique. Or celle-ci est certainement indispensable mais elle ne peut suffire à terme. Les têtes bien faites iront s'employer ailleurs ou ne seront pas employées à la hauteur de leurs talents, si les carrières sont fermées, si elles se jouent sur d'autres critères, si les institutions, à la base, ne reconnaissent pas pleinement aux individus un statut de sujets souverains.
Or que constate-t-on en regard ? L'entrepreneur maghrébin — celui qui nous intéresse au premier chef ici, puisqu'il s'agit de croissance économique — travaille aujourd'hui dans l'instable, dans le court terme. Il ne peut guère se projeter dans l'avenir, en effet, dans la mesure où sa voix compte peu dans la vie de la cité. Accaparés par des castes, les cercles de pouvoirs ne lui sont pas ouverts. A lui de les courtiser plutôt, non tant pour y accéder d'ailleurs que pour s'assurer simplement la «tranquillité» à court terme. Sa réussite n'étant ainsi guère reconnue, il peine à se projeter dans l'avenir. Il craint pour la stabilité de son entreprise. Il n'a pas confiance.
Pourtant, les mots de démocratie, de liberté, de réussite sont dans toutes les bouches. Ils ornent les discours et suscitent d'innombrables déclarations. Dans le Maghreb, comme en bien d'autres endroits, les pouvoirs ont bien compris que ces mots plaisaient aux puissances occidentales, ainsi qu'aux populations locales, largement ouvertes à l'influence occidentale. Duplicité ! Mais du côté occidental ? Combien pèsent ces mots face aux intérêts immédiats : grands contrats, sécurité d'approvisionnement énergétique et l'inévitable crainte qui les accompagne de déstabiliser les systèmes politiques en place ? Duplicité encore. Il n'y a ainsi pas de rejet de l'Europe chez les élites maghrébines. Au contraire. Il y a seulement une défiance par rapport aux discours des Européens sur leur voisinage méditerranéen. Quand l'Ukraine vote, c'est sous l'œil de milliers d'observateurs internationaux, c'est avec la présence des grands médias occidentaux. En regard, les récentes élections en Algérie, en Tunisie, au Maroc et en Egypte ont peu soulevé l'intérêt de la communauté internationale. Et les observateurs seront pour l'essentiel venus des pays de la Ligue arabe ou de l'Organisation des Etats africains, qui ne peuvent guère passer pour des parangons de vertu démocratique.
Qu'on se rassure, notre propos n'est pas de prôner la révolution ! Seulement de constater qu'il n'est pas de croissance sans confiance et que celle-ci ne se bâtit pas sur des faux semblants. En ajoutant que dans le cas particulier du Maghreb, ceux-ci sont immédiatement visibles, du fait de l'extrême porosité culturelle entre les deux rives de la Méditerranée. Dans le Maghreb, on parle français, on regarde la télévision française. On connaît bien la France. Même dans le petit peuple, chacun a un frère, un cousin, un ami qui est installé «là-bas». Nous sommes donc très proches ainsi mais fort différents. Et cela même qui nous rapproche accroit nos différences, car les deux points de vue s'expriment dans la même langue et souvent avec les mêmes références. Dès lors, comment penser un rapprochement, une association renforcée ?
Ici, il faut prendre en considération le passé culturel, tel qu'inscrit dans le temps long de l'histoire par Fernand Braudel.
Le projet de constitution européenne a abouti à une impasse. Est-ce un échec ? Peut-être pas… Peut-être est-ce plutôt, pour les pays européens, l'invitation à une prise de conscience : le modèle européen séculaire d'intégration politique, nationale, par blocs homogènes de populations marquées par un commun héritage culturel, historique et même religieux a ses limites. Dans le contexte de la mondialisation, les rapprochements régionaux doivent désormais composer avec une irréductible diversité. Même la reconnaissance de certains principes politiques et juridiques — ce «patriotisme de la constitution», pour parler comme Jürgen Habermas — n'est pas immédiatement accessible. Il ne définit pas un socle commun sur lequel rallier facilement des pays partageant pourtant la même histoire. Et à cet égard, il est assez piquant de constater que la contestation ne sera pas venue des marges orientales de l'Union mais de certains des Etats – la Hollande, la France – parmi les plus fondateurs de l'identité européenne.
Certes, l'Occident ne rompra pas facilement avec ce modèle d'intégration. D'ailleurs, depuis l'intervention américaine en Irak, les fractures communautaires sont exacerbées au Moyen-Orient. Elles précipiteront peut-être de nouveaux découpages, tant la tentation est forte chez les Occidentaux, à l'heure actuelle, de compter les peuples, de découpler les nations par groupes affinitaires. On va même jusqu'à organiser des couloirs «humanitaires» afin «d'exfiltrer» les chrétiens irakiens et palestiniens, désintégrant ainsi des populations.
Et que sont les problèmes posés par l'immigration maghrébine en Europe, sinon des problèmes d'intégration ? Pourtant, les esprits semblent évoluer : le pluralisme est à l'ordre du jour. Il marque les discours. Alors que dans la réalité, ce qu'on constate c'est le communautarisme, la logique de ghetto qui, à juste titre, inquiète.
A ce stade, la question de l'existence d'une société multiculturelle qui ne soit pas fragmentée demeure entière en Europe – comment exactement conjuguer égalité de droits et reconnaissance des différences ?
Or c'est précisément cette question que pose la perspective d'une association renforcée, d'une union méditerranéenne. Comment surmonter l'altérité très réelle qui existe entre les deux rives de la Méditerranée et que le présent ouvrage reconnaît justement : il y a effectivement rupture entre le Maghreb et l'Europe. Seule certitude, si une communauté de destin doit être marquée au plan euroméditerranéen, elle ne pourra consister ni à convertir ni à intégrer au sens d'une homogénéisation. A cet égard, les immigrations maghrébine et turque en Europe émettent un signal très net : leur installation durable ne coïncide pas du tout avec l'effacement progressif des différences – en fait, on a même l'impression du contraire !
Quel modèle inventer dès lors, que n'inspire pas une logique de domination et qui ne cède pas trop facilement et de manière stérile à la confrontation perpétuelle ? Osons suggérer qu'au vu du temps long de l'histoire, les pays du Maghreb ont peut-être de ce point de vue quelque avance sur les pays européens. ils ont, en tout cas, une plus durable habitude de la diversité – qui est d'ailleurs un legs romain, mieux conservé chez nous, notamment à travers le statut de dhimmi longtemps reconnu aux non-musulmans. Nous qui avons connu de nombreuses invasions, qui avons vu longtemps cohabiter les trois grands monothéismes, nous avons appris qu'une nation pouvait ne pas reposer sur une homogénéité de peuplement, sur la récitation d'un même catéchisme, ni même sur l'adhésion à des valeurs identiques. Pour nous, à la limite, il n'y a pas contradiction à dire qu'une nation peut être conçue comme une terre de brassage. C'est là certainement une considération importante au vu de la logique qui, au-delà des questions de souveraineté nationale, doit désormais conduire les rapprochements régionaux à l'échelle du monde. Cela ne signifie nulle remise en cause des frontières, bien entendu, nulle abdication des Etats. Cela a surtout pour vertu de mettre au premier plan les parcours individuels.
Au fond, la vraie question de l'immigration est là : au-delà des questions de nationalité et dans une logique de chances individuelles, ne faudrait-il pas définir une citoyenneté internationale de passage, un statut de mobilité régionale ? Cela peut être dit sous un autre terme, celui de convertibilité. Au-delà de la gestion des masses migratoires, ne faudrait-il pas, pour assurer la respiration du phénomène, développer la convertibilité des statuts et des acquis personnels ? Pouvoir se former ici et être embauché là, travailler à un moment ici et à un autre moment là, être employé ici et prendre sa retraite là, vivre ici et épargner là. il conviendrait de développer et de garantir la convertibilité d'une valeur première, en somme : celle des hommes.
Aujourd'hui, les politiques d'immigration consistent à réguler des flux entrants. On se demande dès lors comment, dans quelle mesure, on peut, on doit stopper ou ralentir ces flux. Pourquoi ne pas tenter aussi bien de les inverser ? C'est une question de convertibilité. En un sens proprement monétaire cette fois et en premier lieu, pour ce qui regarde l'épargne, la retraite, la cotisation à des assurances personnelles, les investissements, les domiciliations bancaires. Mais c'est aussi bien une question de convertibilité de qualifications, à travers une reconnaissance commune des diplômes, des méthodes de travail, des expériences professionnelles, ou l'instauration de bourses d'em- plois transfrontières, pourquoi pas ? Au fond, il s'agit d'aller au bout de ce constat que tout rapprochement économique se fait autour du travail.
L'immigration a longtemps consisté à importer en Europe une main-d'œuvre très peu qualifiée et tel est encore largement le cas aujourd'hui. Mais ceux qui postulent au départ, désormais, sont de plus en plus diplômés. Ce changement est notable. La fuite des cerveaux, comme celle des capitaux, doit être comprise pour ce qu'elle signifie véritablement : que les pays d'origine ne savent pas accepter leur propre richesse, qu'ils ne parviennent pas à s'en accommoder. On pense rarement le sous-développement en ces termes ! Le problème cependant est bien là. Reconnaissons ainsi pleinement qu'on trouve actuellement plus facilement au Nord qu'au Sud une qualification ou un emploi en rapport avec sa propre qualification. Or il s'agit là d'un acquis surtout pour les pays du Nord et la question est de savoir comment il pourrait également profiter à ceux du Sud – le Nord ayant d'ailleurs tout à y gagner, dans la mesure où une croissance forte au Sud lui bénéficierait en retour. Ainsi que le soulignerait Fukuyama, le processus est irréversible. Ne pas participer à l'enrichissement du Sud, lutter contre sa démocratisation, c'est l'équivalent d'une guerre d'Irak. Le Sud est ainsi invité aujourd'hui à réaliser qu'il dispose au Nord de véritables classes moyennes, d'élites – une richesse qui lui revient s'il sait la réintégrer. Certes, cela ne sera pas facile. Il n'en reste pas moins que nous avons un besoin crucial de ceux qu'on nomme finalement assez justement les «binationaux». La notion de migration qualifiante, exposée ci-dessus, ouvre la réflexion. Et, à cet égard, tout ce qui favorisera la mobilité des hommes, à travers la convertibilité des revenus et des qualifications surtout, sera à même d'apporter — comme de l'extérieur — cette confiance qui, faisant défaut aujourd'hui, oblige trop souvent à une fuite sans vrai retour. Il ne s'agit donc pas d'accélérer une brutale mise à niveau des pays du Sud au plan institutionnel, économique et même au plan des modes de vie. Il s'agit seulement de laisser faire les hommes, de les laisser circuler.
Ce qu'ils ne feront en confiance que s'ils savent garantie la convertibilité de leurs acquis. C'est précisément en cela qu'aujourd'hui le Nord peut aider le Sud, en prenant l'initiative de proposer au Sud de nombreux véhicules de convertibilité. Ainsi le présent ouvrage l'envisage-t-il concrètement pour les transferts des migrants. Sinon, comment réglera-t-on les questions d'émigration et de sécurité ? Sauf à favoriser les mobilités individuelles, l'union méditerranéenne ne pourra qu'être pensée comme une union policière – ce qui ne paraît guère réaliste. Sauf à capitaliser sur la qualification des hommes, l'Europe pourra, pour tenter de constituer un cordon sanitaire sur son flanc sud, y déverser quelques milliards, dont il y a fort à parier cependant qu'ils lui reviendront, intacts, en large partie. Alors, en dernier recours, il faudra élever des murs. Bien entendu, quand les Européens parlent de mettre de l'argent à disposition de leurs voisins moins développés, ils trouvent des interlocuteurs tout prêts à recevoir les fonds et à s'approprier l'explication commode du manque de développement par un manque de moyens financiers. Certes, on trouve au Sud des . populations peu bancarisées, 30 % au plus dans les trois pays du Maghreb, sachant qu'on comptabilise alors le simple versement des traitements des fonctionnaires, ce qui dans bien des cas ne recouvre cependant pas une pleine et entière bancarisation, au sens où on l'entend en Europe. Mais au Maghreb, les banques sont surliquides. Leurs ressources sont bien supérieures à leurs emplois. Le Maghreb dès lors manque-t-il vraiment d'argent ou n'est-ce pas plutôt que l'argent y trouve mal à s'employer ? Nous avons voulu apporter une réponse simple et forcément générale : ce qui manque, ce n'est pas l'argent mais la confiance qui permet de le rendre véritablement productif. Ainsi, pour finir, je voudrais parler en tant que Maghrébin à des Européens, pour leur dire que le problème est que nous n'avons pas confiance en nous chez nous, sans doute en large partie parce que, alors que nous vous connaissons fort bien, nous sentons que vous n'avez pas confiance en nous chez vous. D'une telle situation, il est bien entendu difficile de tirer un commun chemin de croissance. Ce n'est pas que nous ne partageons et n'échangeons pas beaucoup de choses : idées, destins de vie, expériences, émotions. Mais ces valeurs ne passent pas facilement entre les deux rives. Ou alors seulement à sens unIque.
Conclusion
La Méditerranée se trouve à la croisée des chemins. Face au défi que présente l'élargissement, l'alternative se trouve dramatiquement simplifiée. Soit de manière significative, la Méditerranée accentue son intégration économique, et l'Europe et ses «voisins» immédiats conforteront, au rang qui doit être le leur, leur insertion dans l'économie-monde ; soit rien n'est fait de plus qu'aujourd'hui et notre conviction est que, dans ce cas, la Méditerranée insensiblement se fracturera, multipliant ainsi les risques de marginalisation économique et de dérives politiques. Pour faire face à ce défi, dont nous pressentons à la fois l'importance et l'urgence, ce livre s'est efforcé de forger un nouveau concept, celui d'une véritable «union méditerranéenne» telle que l'a tracée à grands traits le président de la République. Cette association économique se doit d'être mise en œuvre au plus vite.
Cette mise en œuvre passe par l'adoption de huit réformes prioritaires.
– 1. L'organisation d'une réunion annuelle des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales du pourtour méditerranéen.
– 2. La création d'un Forum méditerranéen de l'agriculture rassemblant une fois par an l'ensemble des partenaires concernés par ce dossier.
– 3. Le doublement des capitaux alloués au Partenariat euroméditerranéen, les capitaux nouvellement alloués se devant d'être affectés, pour leur totalité, à des projets privés et pour moitié au moins à des projets à caractère régional.
– 4. Dans le cadre d'un «accord méditerranéen de l'investissement», la création d'un Observatoire des investissements directs euroméditerranéens ayant pour mission de retracer les flux croisés de capitaux privés et publics et de mettre en relief les améliorations qui pourraient être apportées dans ce domaine.
– 5. La création d'une banque pour le Développement de la Méditerranée et le triplement des sommes consacrées au capital-risque dans la région, avec en priorité une logique de relocalisation industrielle.
– 6. L'inscription des infrastructures de transport de l'énergie dans le cadre du programme européen des infrastructures prioritaires.
– 7. La création d'une Organisation euroméditerranéenne du textile chargée de définir et de mettre en œuvre les conditions d'une compétitivité renouvelée de l'industrie textile euroméditerranéenne.
– 8. Le lancement d'un plan d'urgence euroméditerranéen consacré aux technologies de l'information.
Notre conviction est que ces réformes ne peuvent être sélectionnées «à la carte». Elles sont interreliées et n'auront, de ce fait, leur pleine efficacité que si elles sont adoptées simultanément. Une fois encore, un électrochoc paraît indispensable si l'on veut faire de la Méditerranée un moteur de la croissance européenne. C'est en marquant la volonté politique de redynamiser le Processus de Barcelone que ce défi pourra être relevé.
– (*) Extrait du livre 5+5=32 Le cercle des économistes
Hubert Védrine, éditions Perrin


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