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Latitudes féminines
Publié dans El Watan le 26 - 06 - 2008

Regard stupéfait du néophyte que j'aime à être devant «Les Femmes» de Choukri Mesli. Me voilà la gorge sèche adorant Eros, que je voudrais voir en un dieu hermaphrodite. Parade de femmes au miroir d'elles-mêmes dans l'étourdissante mise en abîme de la nudité du corps féminin que Mesli, magnifique démiurge, lui offre telle une naissance au monde de la féminité dans la plénitude du jour et de joie exubérante. L'œil boit à cette opulente volupté qu'une intarissable source nourrit.
La couleur gémit sous la caresse de la pupille comme la soie sous les doigts de l'aveugle. Crissement qui vibre à l'oreille, emplit l'iris et l'œil, ébloui, se ferme sur sa propre vision ; l'œil jaloux de ce qu'il saisit, s'enferme dans la durée engendrant d'autres visions. Tout se joue dans cet entre-deux, dans ce champ magnétique d'où surgissent non seulement des formes, mais l'esprit des formes. Le monde devient visible, sa part d'ombre s'estompe, la main du peintre le figure et l'humanise. Je reste encore sous le coup merveilleux de son exposition à Perpignan au début de l'année 2008 où, avec une trentaine d'œuvres (tableaux et dessins aquarellés), l'artiste a donné à voir des postures féminines en mouvement dans l'imaginaire algérien, mais au-dessus des frontières et du temps. Magnifique offrande au public catalan qui était venu très nombreux à ce festin des regards et de la joie. Mesli, présent, avait ainsi accompli un voyage qu'il n'a pas fait il y a de cela une cinquantaine d'années.
Visite de Collioure, village côtier où Picasso, Matisse, Vlaminck, Derain… ont séjourné au début du siècle dernier.
Mesli connaît les légendes orientales et andalouses qui roulent sur le dos crépu et blanc des vagues de la Méditerranée.
Il sait, comme les poètes, qu'un pays qui n'a plus de légendes est condamné à mourir de froid. Il sait qu'il lui faut retrouver la clé de l'Andalousie perdue, ensevelie dans le lointain de l'histoire et dans les plis d'une mémoire aussi lourde et enchevêtrée qu'un paquet d'algues. Mais il refuse les nostalgies soporifiques psalmodiant des gloires d'antan alors que le présent écrase les hommes, noue leurs langues et ligote leurs pensées. Restent les mythes, c'est-à-dire cette parole en attente qu'il faut libérer d'un passé pétrifié et la réinstaller dans la vie. Il ne s'agit pas seulement de ne pas oublier ou de combler le vide, le trou de mémoire. L'important est de questionner et d'inventer ; de désorienter le sens fixé aux choses, aux idées et à l'histoire, de le relancer, de créer un nouveau sens, quitte à provoquer l'étonnement ou le scandale. Nous voilà au cœur de l'art car il n'est d'artiste que celui qui fait trébucher, qui dérange et déroute.
La ville entière résonne de Shéhérazade, la Prométhée orientale, s'est emparée de la parole et de son insoupçonnable pouvoir. Elle a contraint son royal époux à l'insomnie, à l'écouter. Elle n'avait que le verbe pour être sauvée et pour sauver ses semblables. Mesli ressuscite Shéhérazade dans la présence de mille et une femmes. Les voilà nombreuses et attendent du renfort. Elles passent de l'autre côté des Mille et une Nuits et avancent dans la force du jour, parées de signes arrachés aux parois des grottes du Tassili, plateau lunaire où les roches sont des gisants portant la graphie d'une antique histoire d'amour. Ces Femmes aux cimaises ne sont pas orphelines. Elles ont une filiation. Elles sont nées d'un couple mythique. Qaïs et Leila, symbolisent l'amour fou et son impossible consomption. Qaïs n'est fou que de l'absence de Leila. Elsa-Leïla est une mosquée à ma folie, chantera Aragon en reprenant la mélancolie de Qaïs.
Mesli décide de briser le sanctuaire du malheur et de mettre un terme au tragique destin qui sépare et mutile les deux amants. Mesli les réincarne de sa main dans une toile de 1968 et la leur dédicace. Etreinte par dessus les temps. Tyran pacifique, Mesli ramène Qaïs et Leila à portée de notre regard et devant nous, maître de cérémonie, officie à leurs épousailles. Au premier regard, un voyage visionnaire commence et mène à Vienne. Gustav Klimt, peintre sensuel, reçoit les messagers bédouins et ose affronter le sacré originel dans une esthétique de l'exubérance. «Le Baiser de Klimt» cristallise la fusion des êtres sur un cercle du temps qui recommence. Une allégorie de l'érotisme. L'art rehausse l'amour charnel à la spiritualité. Femme et homme sont debout sur un tapis végétal, jardin de l'Eden. Les ornements sont comme des tatouages sur les deux corps électrisés, et, décidés à rompre le pacte céleste, Adam et Eve, les amants bibliques s'unissent. «Les Femmes» de Mesli portent sur leur nudité les signes d'une géométrie magique, des tatouages : losanges, points, cercles, étoiles, croix, lignes brisées, bandes rectangulaires, faisceaux de flèches et calligraphie palimpseste d'un alphabet archaïque.
Le modelé est net ; le dessin est mis en volume plutôt que creusé. Le peintre connaît l'aphorisme de Jean-Dominique Ingres : «Le dessin est la probité de la peinture». Taille étroite cylindrique, poitrine fuselée, arrogante et gonflée de sa sève vitale, bassin large, hanches triomphales bordant les vallonnements qui s'achèvent sur l'isthme invisible, sur la toison d'or à laquelle rêve tout Jason de passage. Sur l'arrondi du ventre, au point du nombril, une étoile appelle le baiser. Le nombril du monde est à Delphes et, ici, sur la peau des Femmes auxquelles Mesli déclare : «Je vous aime».
Le regard glisse sur la surface illimitée et sa modulation chromatique s'accroche à l'anse d'un bras, au galbe d'un mamelon turgescent soutenu par un trait incarnat, à une cambrure de reins, à l'arc du ventre, à la flexion d'une hanche qui ombre le bassin où la chair épanouie du lys se cache. Mesli joue du mystère ou alors il prône l'inachèvement de l'œuvre. Ses «Femmes» n'ont pas de visage, donc pas d'yeux ni de bouche. Un croissant lunaire, une coupole, un bulbe, un dôme, un cercle… prolongent un cou oblong. Le pigment de la peau est une coulée de miel cuit ; la carnation est poudrée d'écailles d'or, de grains de sable, d'éclats nacrés et la poussière terreuse lui donne cette matité où le lumineux est atténué par le gris argenté de l'antimoine.
Etrange sensation qui met la rétine dans une espèce d'ébriété optique. Le regard vacille entre lucidité et hypnose, entre joie et, déjà, le regret anticipé de la séparation. Pour ne pas sombrer dans le sommeil de l'anesthésié, l'œil s'accroche aux voluptés des corps de femmes qui dansent au-dessus de l'espace et du temps. Parce que aériennes, les formes évoquent une danse de Matisse. Les rythmes, les couleurs et les signes renvoient au plus lointain des paysages, à l'ancêtre graveur du Tassili qui de ses mains nues a créé un des premiers mondes humains.
Les tableaux de Mesli sont aussi des louhat, ces planches sur lesquelles l'apprenant du Coran calligraphie, dessine et psalmodie. L'encre de suif trace les lettres sur le bois d'olivier apprêté d'argile et le jaune d'œuf enlumine les bordures de signes cabalistiques. L'élève Mesli a appris la leçon dans l'enfance de l'art et du silence vigilant de Mohamed Racim. Devenu maître, le peintre efface l'anecdote, affronte le grand format de l'imaginaire du monde.
Sa palette est un chaos de couleurs qui défie l'artiste d'humaniser le monde, de résorber ce qu'il a en lui de particulier dans l'humanité tout entière. Mesli libère les Femmes des gynécées et des hammams pour vierges promises à des mariages négociés ; il ouvre les portes du harem, fait sortir les Femmes de leurs appartements d'Alger et les guérit de cette «tristesse insondable» que Baudelaire voyait dans le tableau de Delacroix. «Les Femmes» de Mesli abandonnent le ciel de la narration biblique qu'illustre un Rembrandt fasciné, comme l'a été le roi David, par une Bethsabée aux chairs généreuses, laiteuses et encore chaudes des ruissellements de l'eau du bain; elles quittent celui des récits mythologiques sur lesquels règnent les peintres amants de Vénus. La Vénus à sa toilette et son corps d'ivoire chaud et La Vénus d'Urbino, aux seins pommelés et la main posée sur le sexe, deux toiles du Titien ; puis «La naissance de Vénus» de Botticelli et encore «La Vénus au miroir» de Velázquez, et toujours «La Naissance de Venus» d'Odilon Redon qui la fait renaître, somptueuse et fantastique.
Vénus obsédante qui fait dire à Malraux qu'elle est la première déesse devenue femme. Les Femmes de Mesli ne sont pas celles des salons des élégantes libertines de Watteau, de Fragonard, de Boucher, d'Ingres et se refusent à être l'objet désiré, allongé sur le divan d'un Eden onirique aux côtés d'une sœur jumelle qui aurait pour nom Sultane et pour père, Edouard Manet.
Qui êtes-vous Femmes devant nos yeux ? Le monde de Mesli dans lequel vous habitez serait-il un monde clôt, gardé par un maître jaloux ?
Etes-vous issues de la même Origine du monde dont Gustave Courbet a figuré la cosmogonie en une représentation elliptique qui laisse nous chancelant ? Le miracle de la peinture de Mesli est de générer d'autres épiphanies. Interroger l'œuvre revient à rechercher la matière de nos songes, de nos mythes ; c'est scruter l'inattendu de la représentation, explorer ce qui se montre et se cache.
Le regard-sentir ne se retient pas d'extrapoler, de voyager dans le monde sans mesure de la peinture. Etes-vous cousines des geishas nues en cérémonie dansée à leur propre gloire ? Geishas qui déambulent en petits pas hachés, scandés par le pli des genoux et se mouvant dans un espace qui s'imprègne de leurs formes et de leurs ombres. Etes-vous Polynésiennes honorées par Gauguin ou guerrières Massaï du Kenya, gardant la dernière boucle du Nil ? Qui êtes-vous, vous qui n'êtes ni vestales, ni houris, ni odalisques, ni sultanes… vous qui n'êtes sorties d'aucun front d'un Zeus orientaliste, vous qui faites surgir dans le regard autant d'étonnement que de désir ; vous qui jamais ne faites courir sur l'échine de ceux qui vous regardent un irrésistible frisson libidinal ? Si Choukri Mesli avait deux frères aînés, l'un s'appellerait Nicolas de Staël et l'autre Manessier.
Ses cousins seraient Signac et Redon, Matta et Matisse.
Denis Martinez son frère cadet et Baya, une sœur jumelle décidée à rompre d'avec tous les tuteurs. Khadda, Issiakhem, Louaïl, Yellès… des jumeaux, piliers de la grande Tribu des tatoueurs de l'espace. «Algérie en flammes» et «La Fête», cette série de tableaux de Mesli montre la fraternité esthétique entre lui et De Staël.
Ils auraient pu se rencontrer à Etretat ou au Tassili et mettre en commun leurs palettes devant les falaises écrasées de lumière crue ou devant les paysages lunaires du plateau tassilien. Mais il est connu que Mesli, sans renier sa filiation, est un héritier rebelle. Son ancêtre lui est contemporain ; il l'accompagne et lui fait signe de toutes les cimaises du monde. Il est en quelque sorte son ombre ou son double. L'ancêtre de Mesli vit au présent ; parfois le précède dans le monde opaque de la peinture où la boussole n'est qu'un éclair. La lumière vient de la foudre.
La foudre éclaire, brûle et calcine. Hartung, rescapé de l'enfer, le savait bien. Il s'acharnait à vouloir la saisir et la peindre. Alors, il zébrait la toile, la griffait en un seul mouvement comme chez l'antique graveur du Tassili, qui d'une incision sur une paroi, donnait forme, rythme et sens à la vie. La vie en son commencement, exubérante et dramatique, éphémère et joyeuse.


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