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Le ciment, la cocaïne de l'Ouest
Publié dans El Watan le 10 - 07 - 2009

Fabricants, entrepreneurs, responsables… De leur aveu même, ils y seraient tous trempés jusqu'au cou. Derrière la pénurie et la spéculation, les barons mènent la danse. El Watan Vendredi s'est infiltré parmi eux, de Aïn Témouchent à Maghnia, pour comprendre comment s'articule un des trafics les plus juteux et les plus en vogue du moment : celui du ciment.
« Je vous fais un prix : 670 DA le sac ! » Un camionneur garé près de la cimenterie de Beni Saf s'apprête à entrer dans l'usine pour récupérer son quota. Notre proposition de lui acheter directement des sacs ne lui fait pas peur. « Je vous propose 650 DA le sac si vous prenez une grande quantité », surenchérit un autre camionneur. Bienvenue dans le far-west algérien. Là où tout se vend et tout s'achète. Où petits commerçants et grands barons du ciment négocient à ciel ouvert quotas, prix des matériaux et routes. Alors que l'Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) a exhorté lundi dernier les pouvoirs publics à procéder « en urgence » à une régulation du marché du ciment pour remédier à son « déséquilibre » actuel, que l'Etat envisage d'en importer un million de tonnes pour mettre fin à la spéculation, nous nous sommes infiltrés dans les filières du trafic de ciment. Pour comprendre comment le marché en est arrivé à une telle tension et qui profite de ce marché juteux. Dans le village voisin, Sidi Safi, les habitants, volubiles quand il s'agit de nous orienter vers les plages, se referment à l'évocation du mot « ciment ».
A Aïn Témouchent-ville, les langues se délient un peu. « Je ne trouve plus de ciment !, s'insurge Abderrahmane, fonctionnaire. Je suis en train de retaper ma maison, j'ai fait ma commande il y a de cela plus de trois mois, et aujourd'hui je me retrouve obligé d'arrêter les travaux », nous raconte-t-il. Des notables nous conseillent de « ne pas trop fouiner », d'autres assurent « ne pas être concernés », mais certains nous recommandent de retourner à Béni Saf, centre de gravité de la plaque tournante du trafic. La Mecque des barons du ciment. Entre les deux villes, la route sinue sur une quarantaine de kilomètres entre plaines et collines, jusqu'à ce qu'apparaisse au loin la mer et… le complexe géant de la cimenterie. Une file interminable de camions y sont stationnés, attendant chacun son tour, un bon à la main. Le bon en question est le document nécessaire afin de sortir son quota de ciment de l'usine. Suite à la dénonciation de responsables de la cimenterie de Beni Saf pour trafic et corruption dans la gestion des quotas, la direction a installé un système de télésurveillance et procédé à la nomination d'un nouveau directeur commercial, de nationalité pakistanaise. « Le problème, comme le souligne un employé, c'est que le trafic ne se fait pas à l'intérieur de l'usine, mais aux alentours de la cimenterie ou bien au niveau de l'administration locale, grâce à la complicité de quelques agents corruptibles de l'administration. »
Nous avons tenté de prendre attache avec la direction du complexe. La réponse d'un responsable fut sans appel : « Il nous est interdit de communiquer, prenez contact avec la direction du groupe à Oran. » Nous réussissons à approcher un autre cadre de l'entreprise, qui, à force d'insistance de notre part, accepte de nous rencontrer en secret dans un café en plein centre de Béni Saf. L'ambiance est à la joie, la télé diffusant des images du défilé après la victoire de l'Algérie sur l'Egypte. Notre interlocuteur nous confie que de hauts gradés sont impliqués dans le trafic de bons correspondant à la quantité allouée à chaque entrepreneur. La priorité étant donnée à quelques entrepreneurs bénéficiaires des marchés publics de construction. « Ils alimentent la spéculation, bénéficient parfois de quotas supérieurs à leur demande puis écoulent le surplus sur le marché noir », assure-t-il. Pour nous, bien sûr, aucun moyen de vérifier. Nous laissons tomber cette piste.
Le souk du ciment
Retour à l'usine. Là, nous rencontrons Mourad, Belkacem et Djilali, marchands de matériaux de construction, respectivement d'Adrar, El Bayadh et Relizane (autre plaque tournante du trafic de ciment). « Nous attendons notre tour pour récupérer notre quota et éventuellement prospecter sur place et trouver les meilleurs prix », expliquent-ils. « Ici, on achète et on vend sur place, tous ces camionneurs travaillent pour le compte de personnes connues dans la région, c'est leur business, personne n'osera les déranger, nous, nous ne sommes que des petits bricoleurs soumis à leur diktat. » D'après leurs témoignages, pour les grandes transactions, les barons se déplaceraient pour superviser les opérations. L'un d'entre eux serait là. Alors rapidement, on nous demande de quitter les lieux. Mais où partent ces sacs de ciment ? « Des quantités importantes sont transférées au Maroc », atteste un marchand de matériaux. Nous essayons de suivre cette piste. Le commerçant nous met en contact avec une entraîneuse de cabaret, la trentaine. Narimane nous donne rendez-vous dans un bar à El Maleh, jadis « la localité la plus riche de l'Algérie de l'époque coloniale », à 20 km de Aïn Témouchent. Nous nous faisons passer pour des clients fortunés, intéressés par l'achat de drogue et d'or.
Narimane nous fixe un second rendez-vous le lendemain sur une plage à 40 km au nord-est du chef-lieu de wilaya afin de rencontrer un grand baron dénommé El Maroki. « N'en concluez pas pour autant qu'il soit Marocain, nous précise-t-on. Ici, beaucoup de personnes se font passer pour des Marocains sans l'être. » Le baron en question est un homme d'une cinquantaine d'années, avenant et charmant. Comme on se l'imagine après avoir vu les trafiquants dans les soaps égyptiens. Serein et confiant, il nous lance : « Je suis intouchable ; ici, vous êtes en sécurité. » Des heures durant, notre baron nous raconte sa vie, ses liens supposés avec l'administration et son influence dans tout l'Ouest du pays, interrompu de temps en temps par des appels téléphoniques, à l'occasion desquels, tel un trader en Bourse, il intime des « Oui ! Livrez, c'est bon ! » El Maroki sourit et nous lance, blagueur : « Vous voyez, je dirige tout de là où je suis, tahia etelephoune ! » Puis nous entamons les négociations pour l'achat de drogue et d'or, sous le regard bienveillant de Narimane. Nous devons lui inspirer confiance, il nous propose brutalement de le suivre pour voir la marchandise.
Nous embarquons dans une berline appartenant à un taxi clandestin, destination une ferme accessible par une piste accidentée. Sur place, nous trouvons des milliers de sacs de ciment entassés à côté de kemia (drogue), de bijoux en or et de faux billets. Intrigués, nous posons la question à El Maroki : « Qu'est-ce que vous faites avec autant de ciment ? » « Je l'envoie au Maroc, où je vends le sac l'équivalent de 1000 dinars algériens. » Au cours de la discussion, il nous révèle jusqu'au procédé. « J'achète la route pour acheminer la drogue, puis j'achète la route inverse, comme je fais pour la drogue, confie-t-il. Le ciment et le sable sont la cocaïne des Marocains… », ironise-t-il. Smaïl, un gendarme, connaît bien les subterfuges des barons. « Les localités sont séparées d'une quarantaine de kilomètres. Ces régions sont très difficiles à contrôler. Les trafiquants prennent des détours sur des pistes accidentées et agissent surtout la nuit. C'est la même route empruntée pour l'acheminement de la drogue, on n'y peut rien, des agents acceptent la tchipa, impossible de les dénoncer, car ils sont protégés… » Notre périple s'arrêtera à Maghnia, surnommée la « ville du parpaing ». Une appellation plus élogieuse pour cette place forte plus connue pour ses trafics en tous genres.
A peine attablé à un café, un jeune homme nous aborde en nous proposant ses services : « Vous voulez acheter de la kemia (drogue) ? J'ai de tout, bakaya (pleureuse), mouata (mortelle)… Pour les harga, 80 000 DA, départ dans trois jours de Ghazaouet. » Au loin, quelques camions commencent leur route vers le Maroc. Jibril, un Nigérien qui travaille au noir dans une des fabriques de parpaing de la ville, explique : « La nuit tombée, l'activité commence… Le passage à la frontière, de 100 000 DA pour les camions, est de 2000 DA pour les particuliers. » Jibril devra travailler quelques jours et quelques nuits dans la fabrique pour se payer la traversée. Car le ciment n'alimente pas seulement le marché de la construction. Il fait aussi vivre les filières des harraga. La nuit venue, en attendant son tour, Jibril regarde le ciment partir de l'autre côté de la frontière. Oujda est à moins de 30 kilomètres.
750 DA le sac sur le marché informel
L'Algérie produit actuellement quelque 20 millions de tonnes de ciment par an, dont 13 millions de tonnes sont produites par des cimenteries publiques, le reste étant assuré par des entreprises privées. L'écart des prix entre le ciment produit par les entreprises publiques et privées reste important, puisqu'un sac de ciment de 50 kilos se vendrait entre 230 et 290 DA sortie usine publique alors que le prix de ce même sac atteindrait presque le double à 450 DA sortie usine privée. Ces prix frôlent actuellement les 750 DA le sac sur le marché informel en raison de la spéculation sur ce produit, dont la demande augmente en été, période propice au lancement de nombreux chantiers de construction.
Territoires : Le deal des barons
La région de l'Ouest, de Chlef à Maghnia, est découpée en zones d'influence entre barons. Ainsi, le réseau dit El Maghrabi s'étendrait de Maghnia jusqu'à Relizane. A partir de Relizane, d'autres barons contrôleraient le trafic et tiendraient la production de la cimenterie de Chlef, une des plus importantes en Algérie. D'après un gendarme, pour qu'ils puissent acheminer leur ciment jusqu'au Maroc, « ils doivent s'allier aux barons de Aïn Témouchent, la zone intermédiaire entre la leur et la frontière, explique-t-il. Mais en retour, les barons de Aïn Témouchent doivent aussi rester en bons termes avec eux s'ils veulent acheminer leur drogue par exemple jusqu'à Alger. »
Tous les prénoms ont été changés pour protéger l'identité de nos interlocuteurs.


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