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Dockers : Les nouveaux esclaves du port d'Alger
Publié dans El Watan le 17 - 07 - 2009

Parce qu'ils ont voulu protester contre les conditions d'hygiène, de sécurité et de travail, 300 dockers du port d'Alger se sont retrouvés sans travail. Après négociations, la DP World, à qui l'Entreprise portuaire d'Alger a cédé la gestion depuis le mois de mars, a accepté d'en reprendre 220. Les autres sont restés sur le carreau. Furieux et humiliés, ils racontent leur quotidien derrière les grilles bleues. Un autre monde. Celui des nouveaux maîtres du port, les Emiratis.
Pas de youyous pour Abdou. Ce grand gaillard en baskets, habillé d'un tee-shirt aux couleurs de l'équipe de foot de Birmigham, a annulé son mariage, prévu pour l'été. Il n'est plus autorisé à entrer au port d'Alger où il travaille comme docker depuis douze ans. A la fin du mois, il ne touchera donc pas ses quelque 30 000 DA de salaire. Il y a trois semaines, 300 dockers de Dubaï Port World, nouveau partenaire (à 50%) de l'Entreprise portuaire d'Alger (Epal) depuis le mois de mars, ont arrêté le travail. Protestant contre « l'absence totale de sécurité et d'hygiène, le changement des rythmes de travail, les promesses non tenues relatives aux augmentations de salaire » du nouveau gestionnaire et exploitant du port à conteneurs, les travailleurs réclamaient leur réintégration collective à l'entreprise-mère. Mais leur grève, entamée sans préavis, n'a pas été du goût de la DP World qui leur a fermé l'accès au port pour « abandon de poste ». Après intervention du président de la coordination des ports d'Algérie, les responsables syndicaux ont alors demandé aux dockers de reprendre le travail. « Ils nous ont assuré que personne ne sera exclu, témoigne Adel, 31 ans, conducteur d'engins depuis 8 ans. Mais sur les 300, seuls 220 ont été repris. » Abdou, Nordine, Mohamed, Yacine et les autres sont restés sur le carreau.
Dans la moiteur des couloirs du syndica où ils se retrouvent tous les jours, Nordine, 52 ans, lui aussi en tee-shirt de footballeur, mais de Chelsea, docker depuis huit ans, explique : « Depuis que nous avons été transférés de l'Epal à DP World, nous vivons l'enfer ! Nous sommes réduits à l'esclavage dans notre propre pays ! » A côté de lui, Mohamed, 46 ans, docker depuis 22 ans, ne peut pas contenir sa colère. « A la première assemblée, DP World nous avait promis des salaires de 75 000 DA ! Mais on n'a rien vu ! On n'a rien eu et quelles que soient nos années d'expérience, on reste à 30 000 DA ! » Pour Abdou, dont le salaire perfuse directement une famille de dix personnes, le coup est dur. « Le transfert à la DP World m'a augmenté la paye de 1000 DA !, s'énerve-t-il. Je fais quoi avec ça ? Il suffit que j'aille au café et pffft, je n'ai plus rien. » Yacine, 29 ans, marié et père d'un enfant, a commencé sa carrière de conducteur de grue à l'âge de 18 ans, comme journalier. « Une journée avec l'Epal me rapportait 1200 DA, confie-t-il. Un mois à DP World revient à 34 000 DA. Faites le compte… »
Mais plus que les salaires, ce sont les modalités du nouveau programme de travail qui révoltent les dockers algérois. Ce que Mohamed El Khadar, directeur général de la société DP World Djazaïr, présente comme un « nouveau système » garantissant « un niveau de professionnalisme permettant de travailler selon les régimes et les normes internationaux » et de faire du port d'Alger « un des pôles de concurrence du bassin méditerranéen ». Du côté des dockers, la réaction est brutale. « Un nouveau système d'esclavage, oui !, s'énerve Yacine, DP World a fait venir des Pakistanais, des Indiens, des Djiboutiens, qu'ils paient évidemment moins que nous et dont certains n'ont même pas de permis de travail ! » Entre les travailleurs, un téléphone portable circule. On y voit une vidéo destinée à ceux qui ne les croiraient pas. Le film présente un engin suspendu à une grue servant à attraper les conteneurs. Sur une sorte de plateforme accrochée à la grue et circulant dans les airs, des dockers se déplacent. « Ils sont à 30 m de hauteur, explique le docker qui a filmé. Vous voyez ? Ils n'ont aucune cage de sécurité. Ils peuvent tomber d'un instant à l'autre ! » Et Nordine d'insister : « La DP World veut se conformer aux normes internationales mais pour cela, il faut du matériel ! Nous prenons un maximum de risques, nous grimpons sur les conteneurs à mains nues, sans casque, dans la poussière et le bruit, par tous les temps ! De certains conteneurs abandonnés, coulent des substances bizarres. On voit bien que ce sont des produits chimiques. La plupart d'entre nous sommes malades des poumons. On n'a même pas de boîte à pharmacie ! », relève-t-il, en montrant son index dans lequel une entaille de vingt-cinq jours n'a toujours pas cicatrisé.
Les anecdotes ne manquent pas : les grutiers qui se retrouvent tous seuls, le transport qui n'est plus assuré entre les zones du port, le manque de protection contre les incendies... Adel, le conducteur d'engins, fait le décompte : « Récemment, des dockers se sont retrouvés projetés hors de navires, un grutier a été récemment grièvement blessé après une chute de 15 m et un conteneur de 40 pieds rempli de lait en poudre s'est cassé en deux. La direction nous avait pourtant promis que nous allions progresser, que nous aurions du matériel… Mais ça ne suit pas. Et au port non plus ça ne suit pas », ironise-t-il d'un mouvement de tête en direction du port où, depuis plusieurs jours, plus de trente bateaux restent en rade. Mohamed El Khadar estime quant à lui dans un communiqué « pouvoir diminuer de 100% le phénomène de navires en rade dans les trois ou quatre mois à venir » et « continuer d'investir et de développer les infrastructures, le système informatique, les ressources humaines, la sûreté, la sécurité ». « Et les sanitaires ?, rétorquent les dockers. Depuis que la DP World s'occupe du port, nous n'avons plus ni douches ni WC. On rentre chez nous avec la crasse des conteneurs qui arrivent de tous les continents. Vous imaginez un peu les risques de maladie ? Les marins qui viennent régulièrement à Alger nous disent que nous travaillons dans les mêmes conditions que les dockers de Djibouti ou des Philippines ! »
Sur sa chaise, en marcel blanc et bleu de Chine, Nabil, 42 ans, soulève un autre problème : « Et pendant le Ramadhan ? Comment ceux qui travaillent la nuit, de 19h à 7h, vont pouvoir s'organiser ? Nous n'avons même plus de salle de prière. Avec l'Epal, nous avions le choix. Maintenant, on ne discute pas. Chacun doit faire cinq nuits consécutives et enchaîner avec une semaine de 13h à 19h ou une semaine de 7h à 13h. Sans récupération. Et la nuit n'est pas payée plus cher… » Quand il est « de matinée », Nordine se lève tous les jours à 4h. Il ne sait pas bien ce qui ne tourne pas rond dans son emploi du temps mais pour lui, le nouveau système ne l'avantage pas. « En clair, on travaille 160 heures par mois au lieu de 144 à l'époque de l'Epal », précise Adel. « Selon les normes internationales, un docker devrait travailler 6 heures et 40 minutes, ajoute un collègue. Mais en réalité, on fait au moins 8 heures la journée et 13 heures la nuit. » A la direction générale, les méthodes de calcul ne sont visiblement pas les mêmes : « Ce nouveau système fera bénéficier l'employé de 152 heures de travail par mois sans compter les heures supplémentaires (8 heures par jour), ce qui est beaucoup moins que la durée de travail fixée par la loi algérienne. »
Du côté du syndicat, Kamel Zergane, secrétaire général, dans sa chemise bleu très chic, temporise : « Que les dockers reprennent le travail, voilà mon souhait le plus ardent, assure-t-il devant les dockers. Le directeur de DP World a promis que si nous faisions un pas, il en ferait dix. Nous l'avons cru mais fermer la porte au nez des dockers qui voulaient reprendre le travail a créé une situation dangereuse. Un huissier est venu sur place pour constater les faits. Maintenant, des discussions vont avoir lieu, nous verrons ce que cela va donner. » Brouhaha. Les dockers s'agitent. Le ton monte. « Ils nous méprisent, s'énerve Yacine. On ne demande qu'à discuter, mais la direction a placardé une affiche disant qu'un docker n'a pas le droit de monter à la direction ! » Nordine répond : « Depuis trois semaines, on se présente à la porte et on attend en plein soleil pour parler au directeur, mais aucun responsable ne veut nous parler ! » Pire, la police se charge de les chasser. « On ne les croit pas tous ces syndicalistes, marmonne un docker de mauvaise humeur. Même à l'UGTA, on nous a dit qu'ils étaient dépassés par le problème ! » En l'absence de convention collective et peu au fait de leurs droits, les dockers ont peu de cartes dans leur jeu. La DP World, qui résume le mouvement de contestation à « une opposition de certaines minorités » le sait bien. Dans une note interne du mois de juin, l'administration prévient clairement que la productivité du mois de mai doit être maintenue et que les dockers n'ont pas à décider de leur propre plan de travail. Et qu'en l'absence de rendement, des sanctions seront appliquées.
Nous avons cherché à approcher des dockers en poste à l'entrée du port. Parmi les chômeurs qui attendent du travail à la journée, personne n'en connaît. Pour parler sans craindre de voir arriver la police, il faut traverser l'autoroute et prendre la passerelle direction Belouizdad. Au café Crampel, un docker qui part au travail accepte de nous accompagner jusqu'à la sortie du tunnel pour nous orienter vers les grévistes, en nous demandant toutefois de ne pas traverser l'autoroute avec lui, de peur d'être surpris en pleine discussion avec des journalistes. « La seule chose que nous voulons, c'est réintégrer notre poste », soupire Yacine. Ou partir dans un autre port ? « Pourquoi ? On était bien à l'Epal. Avant, on était heureux de se lever le matin pour aller travailler. Pourquoi je partirais ? » Derrière sa moustache poivre et sel, Nordine semble sourire en écoutant le jeune. « C'est là que nous nous sommes formés, que nous avons construit nos vies, répète-t-il. On nous a forcés à aller à DP World. Mais nous avons notre dignité. »


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