– D'abord, comment se porte le MaMa trois ans après sa création, M. Djehiche ? Le MaMa a été inauguré le 1er décembre 2007 et je peux dire qu'en trois ans d'existence, le musée a acquis une visibilité certaine. Il commence même à avoir une visibilité internationale de par la qualité des expositions qui s'y tiennent. Le MaMa été ouvert au moment où l'Algérie accueillait la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», ce qui a permis d'avoir beaucoup d'expositions. Aussitôt cette manifestation terminée, nous avons accueilli le Festival panafricain. Dans la foulée, nous avons organisé le 1er Festival international d'art contemporain (FIAC). Donc, toutes ces manifestations nous ont fait un bien fou et ont permis au MaMa de décoller sur les chapeaux de roues bien que le musée ne soit pas terminé. – Qu'est-ce qui manque pour que le MaMa soit un musée à part entière ? Ce qui manque, ce sont tous les services attenants qui vont avec un musée. Il manque également les collections, aussi avons-nous commencé à constituer des collections grâce à des acquisitions, grâce à des dons aussi. Nous avons un Issiakhem, nous avons des Louaïl, Bourdine, Hakkar, Djemaï, Zoubir, nous avons pas mal de photos aussi ainsi que des œuvres d'artistes français et latino-américains. Donc le fonds est en train de se former. – Peut-on avoir une idée du budget du MaMa ? Cela dépend de l'ampleur que doit prendre une manifestation que nous organisons. Pour vous donner un ordre de grandeur pour une exposition d'un niveau international, en incluant le coût de la scénographie, le prêt des œuvres, l'assurance, le catalogue, les affiches et aussi la durée de l'expo qui est en général de deux mois, eh bien cela nécessite entre 20 et 40 millions de dinars par exposition.
– Et pour le Panaf', les expos ont coûté combien ? Je n'ai pas de chiffre exact, mais elles ont coûté dans cet ordre de prix par exposition. Et il faut dire que le public était à chaque fois au rendez-vous. Je pense que le public existe, il suffit juste de savoir le séduire. Justement, le constat est que le public ne va pas massivement aux musées. D'après vous, ce sont les Algériens qui boudent les musées ou bien ce sont plutôt les musées qui ne savent pas aller le chercher, ce public potentiellement disponible ? Je vais jouer un peu le rôle de l'ONU dans ce débat (rires). Pour moi, les deux parties sont responsables. Pourquoi les musées ne font pas suffisamment d'animation? La vérité est que ce n'est pas vraiment de leur faute. Une exposition nécessite des moyens colossaux. Si on veut séduire le public, un musée se doit de préparer au moins une grande exposition par an, de manière à drainer les foules. Après, il y a un travail de communication et de marketing culturel à faire. Mais tout cela a un coût, et cela demande de l'argent, le nerf de la guerre. Je l'ai dit tout à l'heure, j'ai une chance au niveau du MaMa d'avoir eu plusieurs festivals qui ont fait que ça a démarré très fort pour nous. Nous sommes pour le moment en train de fidéliser un public, et nous avons «des» publics. Ça va de la grand-mère qui vient visiter le musée avec ses petits-enfants au chômeur qui vient, qui s'assoit et regarde. J'ai même vu des gens venir s'installer dans l'atrium en bas et lire tranquillement le journal. C'est ça un musée. Le musée doit être un lieu de délectation et de plaisir où les gens se sentent à l'aise, se comportent naturellement et regardent les œuvres au moment où ils le désirent. Moi, je ne demande pas à ce que les gens se mettent au garde-à-vous devant les œuvres et s'extasient en disant : «C'est beau ! C'est magnifique !» Il faut que les publics s'approprient d'une manière différente le musée. – Y a-t-il un travail spécifique en direction des écoliers ? Un partenariat avec l'éducation nationale ? Hélas, ça ne marche pas. A qui jeter la pierre ? Je ne sais pas. Il y a eu des tentatives entre le ministère de la Culture et celui de l'Education nationale, mais cela n'a rien donné. En fait, tout dépend des responsables des établissements scolaires. Je comprends leurs difficultés. C'est une décision qu'il faut prendre à un très haut niveau. Nous, nous sommes prêts à recevoir à n'importe quel moment les établissements scolaires. Je reçois quelques établissements publics, des écoles qui viennent notamment de Kabylie, mais paradoxalement aucune des écoles les plus proches. Je comprends la préoccupation des chefs d'établissement, car si vous sortez les élèves durant les heures de cours, le directeur est responsable. Il doit prévoir les accompagnements, les assurances, puisque l'enfant n'est plus à l'intérieur, mais à l'extérieur de l'établissement. Donc, il faut alléger tout ça. On a tendance à penser que l'art est élitiste par essence, et que pour cette raison, les musées d'art ne peuvent pas être «grand public»… Cela exclut même des pays entiers, pas que des individus ou des publics. Cela dit, il faut savoir attirer les gens. Il suffit de trouver les bonnes stratégies de communication et de marketing. Je vous donne un exemple : une maison japonaise s'est offert un tableau, «Les Iris» de Van Gogh, pour la bagatelle de 50 millions de dollars. Pour elle, c'est un investissement. Cette maison japonaise, qui connaît très bien les lois en vigueur au Japon, savait pertinemment qu'elle allait bénéficier d'un dégrèvement d'impôts, car une loi nippone dit que tout Japonais qui fait rentrer une œuvre d'art universelle bénéficie d'un dégrèvement d'impôts équivalent à la valeur de l'acquisition. Par ailleurs, l'événement a fait un tel «buzz» que la maison l'a exposé dans le hall de la société et il y avait une queue incroyable pour voir le tableau. Et il fallait payer pour le voir, si bien que, rien qu'avec la billetterie, le tableau a été remboursé. – Qu'y a-t-il lieu de faire, en définitive, pour une meilleure animation de nos musées ? Il faudrait d'abord recruter des cadres spécialisés, particulièrement dans la communication culturelle. Malheureusement, on ne forme pas dans le management culturel. Le ministère de la Culture vient juste de créer l'Agence algérienne pour le rayonnement de la culture qui va prendre en charge ce volet et former des gens dans ce domaine. Mais nous n'en sommes qu'aux balbutiements. On est en train de découvrir le monde. Il ne faut pas oublier que pendant les années de terrorisme, nous nous sommes complètement refermés sur nous-mêmes. Aujourd'hui, par manque de moyens, le conservateur de musée est obligé de tout faire : commissaire d'expo, éditeur, gestionnaire, tout. Vous savez, une exposition est un spectacle grandiose qui nécessite toute une machinerie et un travail lourd de préparation dont les gens ne s'aperçoivent pas. Beaucoup pensent qu'une exposition d'arts visuels c'est venir, prendre la toile et l'accrocher. La conception des musées est en train de changer. Ce n'est plus l'espace fermé du XIXe siècle où l'objet est emprisonné dans une vitrine ou sur un socle. Le musée devient un espace en mouvement. Moi, je rêve d'accueillir un orchestre de musique ou une troupe théâtrale. Un musée doit être un espace vivant dans lequel les gens ne s'ennuient pas.