C'est en ces termes que l'économiste chercheur algérien, Omar Bessaoud, décrit le climat socioéconomique qui plane sur l'Algérie dans cette conjoncture où les couches sociales défavorisées n'ont jamais été aussi marquées par ce sentiment de révolte. Cet état des lieux reflète, en conséquence, les ratages flagrants des politiques de développement menées ces dernières années, notamment depuis le début de la décennie 2000. Des programmes de relance successifs ont été lancés dans tous les secteurs d'activité mais aucun impact satisfaisant sur le quotidien du citoyen n'a suivi. Il y a eu le plan de soutien à la relance économique, puis le programme complémentaire avant de brandir ce fameux plan quinquennal qui promet des dépenses à hauteur de 286 milliards de dollars sur la période 2010-2014. Il y a eu un programme d'un million de logements et de trois millions de postes d'emploi. Autant de formules qui ne servent finalement qu'à donner un caractère flamboyant – mais trompeur – au discours officiel durant ces dix dernières années. Face aux attentes socioéconomiques des populations, le gouvernement ne fait qu'intervenir en pompier avec des mesures d'urgence en mobilisant des dépenses budgétaires supplémentaires mais qui ne servent en définitive qu'à acheter la paix sociale et gagner du temps. En revanche, cette aptitude renseigne plutôt sur l'absence criante de stratégies de développement à long terme qui, dans les économies avancées, servent à encadrer les plans d'action tracés pour les différents secteurs d'activité. Depuis le début de la décennie, l'économie nationale a donné l'impression de naviguer à vue en dépit d'une aisance financière sans précédent, avec des réserves de change dépassant les 150 milliards de dollars, à la faveur du raffermissement historique des cours du pétrole sur le marché international. Mais faute de rationalité dans la réaffectation des budgets et la redistribution des richesses, aucun des objectifs escomptés n'a été atteint et tous les secteurs d'activité se trouvent confrontés à des blocages majeurs. Un climat favorable aux dérapages En se référant à des statistiques officielles, depuis le début de la décennie, les dépenses destinées à la modernisation des infrastructures de base sont estimées à 200 milliards de dollars. Cependant, les résultats n'ont pas été à la hauteur des efforts consentis. Les grands projets financés exclusivement par les recettes tirées des exportations en hydrocarbures s'enlisent dans les retards et les surcoûts. C'est le cas du métro d'Alger, de l'autoroute Est-Ouest, du tramway d'Alger ou des chemins de fer. Les économistes qui se sont penchés sur la politique budgétaire de l'Algérie estiment que «ces projets gigantesques ont été confiés à une administration qui n'était pas préparée pour assurer un bon suivi et une gestion convenable de ces dossiers complexes sur les plans technique et financier». Ceci au moment où, est-il utile de mentionner, tous les mégaprojets lancés durant cette période ne sont pas de nature à enclencher un processus de développement socioéconomique effectif. En effet, les experts en la matière relèvent à l'unanimité la négligence avérée des secteurs créateurs d'emploi et de richesse. Dans le secteur de l'industrie, à l'exception des opérations destinées à absorber l'énorme déficit des entreprises publiques en faillite, aucun programme de soutien à la PME/PMI n'a eu lieu. Les secteurs de tourisme ou de l'agriculture, dont l'Algérie dispose d'un potentiel inestimable, n'ont jamais été dotés de programmes de développement efficaces. Durant toutes ces années, les différents gouvernements qui se sont succédé ont tenté de justifier un dynamisme qu'ils n'ont en réalité qu'à travers des dépenses publiques massives mais irrationnelles et incontrôlées. Laquelle aptitude qui, en conséquence, a fini par ouvrir la voie à toutes sortes de dérapages, corruption, gaspillage et dilapidation des deniers publics. Les scandales de l'autoroute Est-Ouest et de Sonatrach sont encore là pour illustrer cette déroute. Enfin, les errements qui caractérisent les politiques gouvernementales de ces dix dernières années ont porté un coup fatal à la cohésion sociale. Le chercheur Omar Bessaoud illustre parfaitement ce constat en soulignant : «Les inégalités territoriales se sont creusées, les réformes agraires ont été abandonnées au profit d'un modèle capitalistique tourné vers les exportations. On a redonné le pouvoir aux grands propriétaires et les premières victimes ont été les petits paysans qui ont alimenté l'exode vers les villes. Ce sont ceux-là qui sont demandeurs de logement, d'emploi et qui, faute de réponse, manifestent violemment. Cela s'est encore aggravé à la fin des années 2000, avec la flambée du cours mondial des matières premières agricoles, suivie de la crise économique et financière. Les approvisionnements alimentaires ont été très perturbés et le pouvoir d'achat d'une bonne partie de la population s'est érodé. Dans un contexte de dérégulation, l'emprise des clans et des familles sur l'économie s'est renforcée et, tandis que la scolarisation et la démographie poursuivent leur dynamique, les débouchés disparaissent. La seule solution pour les jeunes consiste à partir ou à accepter des petits boulots.»