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Claudine Chaulet ou la citoyenneté chevillée à la terre
Publié dans El Watan le 21 - 05 - 2011

Aux bras de son éternel Pierre, elle reçoit une avalanche de louanges, de témoignages et autres marques d'affection à tour de bras, si bien que le petit amphithéâtre du Cerist se révéla bien exigu pour contenir tant d'émotion et d'éloges. D'illustres figures historiques, convient-il de le souligner, ont fait le déplacement pour honorer les Chaulet : Abdelhamid Mehri, Réda Malek, les moudjahidates Louisette Ighilahriz, Annie Steiner, Salima Bouaziz, Alice Cherki, Evelyne Lavalette, pour ne citer qu'elles. Signalons également la présence de Mohammed Mechati, du commandant Azzeddine et de Mohamed Harbi qui donnera une conférence à l'occasion (lire encadré). Et comme les organisateurs de cette excellente initiative, à savoir le Cerist, le Crasc et le Cread, voulaient faire les choses en grand, l'hommage a été conçu d'abord comme une journée du savoir, avec toute la rigueur qui sied à l'accoucheuse de sociologues qu'est le professeur Chaulet.
Pas moins de dix communications ont été prévues à cet effet, avec un riche panel à la clé, des professeurs de renom se succédant à la tribune, et rivalisant de sollicitude à l'endroit de celle qui fut et qui restera à jamais leur mentor et leur bienveillante «matriarche». Loin d'être un cérémonial mondain et guindé, cela prenait les accents d'une fête familiale tant les présents semblaient former une grande famille. Une «famille élective» comme dirait Madjid Merdaci. D'abord celle des anciens compagnons de lutte des Chaulet. Et puis, les collègues et les disciples de l'infatigable arpenteuse des plaines de la Mitidja qui ont hérité de sa passion du monde rural, et en compagnie de qui elle a défraîchi «épistémologiquement» tant et tant de campagnes, redonnant sa dignité à une paysannerie bafouée et réduite à l'état de bourgades informes et sans histoire(s) ensevelies sous une tonne de clichés.
éloge de la paysannerie
Sous le titre générique Claudine Chaulet et la conquête de la citoyenneté, le colloque est charpenté en trois séances. En guise d'introduction, le professeur Nouria Benghabrit-Remaoun du Crasc (Oran) a, notamment, souligné la pertinence des interrogations posées par Claudine Chaulet dans ses travaux, et qui ont constitué autant de jalons pour la recherche anthropologique et sociologique dans notre pays. La première séance, intitulée : Claudine Chaulet et la production du savoir, présidée par Slimane Bedrani, verra les interventions de Fatma Oussedik et de sa collègue Cherifa Hadjidj. Fatma Oussedik se penchera sur «les structures familiales, comme lieux de résistance des acteurs sociaux». Evoquant sa grande complicité avec celle qui fut sa directrice de recherche au Cread, Fatma Oussedik dira : «Claudine vous reçoit chez elle, elle met sa bibliothèque à votre disposition. Non seulement elle transmettait mais elle partageait aussi, et toute sa famille partageait avec elle.» Et de poursuivre : «Claudine m'a appris à regarder l'Algérie, les campagnes algériennes. Le monde rural, ce n'était plus seulement ce lieu où s'exécutaient les stratégies définies à Alger mais un espace où se réalisaient leurs stratégies à eux (les fellahs).
Claudine a cherché les paysans sur le terrain, là où ne les définissent pas les textes.» La sociologue met l'accent sur l'importance accordée aux acteurs et leur singularité dans l'élaboration de stratégies de vie pour parer aux politiques arrêtées en haut lieu. Elle insistera en l'occurrence sur la famille comme lieu de convergence des solidarités sociales face aux défaillances de l'Etat. Fatma Oussedik prévient néanmoins que «la famille ne peut plus continuer à porter les fardeaux de la société». Elle constate au passage un affaiblissement du patriarcat, une nucléarisation accrue de la structure familiale, une progression de la mobilité, «y compris sur le mode harraga», et un morcellement du patrimoine familial. Etablissant un lien «tellurique» entre paysannerie et citoyenneté à la suite de Claudine Chaulet, Fatma Oussedik dira : «Claudine Chaulet nous a appris comment ce qui paraît spontané peut être découpé, observé et analysé. Comment passer d'un rapport d'identité à un rapport de citoyenneté en partant de la terre. Car en déconstruisant ce lieu, on peut aller vers la citoyenneté en révélant les forces particulières qui y sont à l'œuvre. C'est une citoyenneté construite au plus près du sol.»
L'enquête comme viatique
Pour sa part, Chérifa Hadjidj enchaîne par une enquête fort intéressante sur les modèles de consommation des Algériens, un sujet non loin du terrain de recherche de Claudine Chaulet dans la mesure où cela nous renvoie à «l'alimen/terre». Pour Chérifa Hadjidj, le modèle culinaire algérien est loin d'avoir rompu avec la cuisine traditionnelle, même si la cuisine fast-food et autres «McM'hadjeb» ont envahi massivement nos palais. Elle note chez la femme algérienne qui préside traditionnellement aux fourneaux, trois moments gastronomiques : «La cuisine d'où elle vient, la cuisine de la ville où elle habite, et la cuisine contemporaine ». La 2e séance réunira un panel de quatre intervenants autour de Nouria Benghabrit-Remaoun sous le thème : «Claudine Chaulet : encadrement et transmission des savoirs». Nadji Safir rendra grâce à Mme Chaulet de l'avoir initié au métier de sociologue. «Je lui dois en particulier de m'avoir inculqué l'importance de l'enquête de terrain. C'est ainsi qu'à l'été 1968, j'ai sillonné la Mitidja sous sa direction», témoigne-t-il.
Chérif Benguergoura abondera dans le même sens en insistant sur «le primat du terrain, pas seulement pour s'informer sur une population mais aussi pour se mettre à sa place» Madjid Merdaci qui étrenne son intervention par deux beaux vers de la poésie populaire (malouf ?), s'appesantira sur le charisme de Claudine Chaulet : «Sa présence, appuie-t-il, était dans le regard, la posture, elle portait sur vous un regard comme pour vous élire à une famille dont on ne connaissait pas les contours, une famille élective, et cela vous installait dans une certaine empathie.» «Nous, nous voulions changer le monde. On était imprégnés du mythe de la paysannerie porteuse de la Révolution algérienne. Mais le réel, il fallait l'analyser, il fallait enquêter sur le terrain.» Submergé par l'émotion au moment d'évoquer le rôle de Claudine Chaulet comme figure emblématique de l'implication des intellectuels dans la Révolution algérienne, ses yeux s'embuent, son débit s'arrête net.
La salle, «contaminée», le lui rend d'une salve d'applaudissements. Tayeb Kennouche, enseignant et chercheur au Cread, abordera, lui, l'expérience de la «thaoura ezziraîtya» non sans truffer son exposé de force envolées lyriques, toujours en hommage à Mme Chaulet. Il faut dire que la révolution agraire, si chère à Boumediène, constitue un matériau de choix dans le corpus de l'experte en sociologie rurale qu'est Claudine Chaulet. «Nous étions animés d'un même idéal socialiste. Mais grâce à sa vigilance, nous avons rassemblé avec la ténacité des fourmis, une information riche mais qui ne sera malheureusement jamais exploitée totalement», regrette Tayeb Kennouche qui déplore, en passant, la dissolution en 1975 du Centre de recherche en sociologie rurale créé par Mme Chaulet. La troisième et dernière session de ce colloque-hommage, présidée par l'économiste Naceur Bourenane, sera dédiée à la question de la citoyenneté proprement dite, dans la vie et l'œuvre de Claudine Chaulet. Gauthier Devilllers, sociologue belge qui enseigna à l'université d'Alger de 1969 à 1972, s'intéresse au «Pouvoir politique et la question agraire». Le conférencier fera remarquer d'emblée l'importance que prendra la question paysanne dans le contexte de la guerre de Libération nationale : «Par l'ampleur de l'expropriation foncière, la colonisation fait de la question agraire un enjeu majeur de l'émancipation nationale», dit-il. Il relèvera à son tour que «la révolution agraire est une réforme par le haut purement étatique sans aucune consultation de la paysannerie». «Pour Boumediène, le véritable développement agricole ne précède pas l'industrie mais procède de l'industrie», résume Gauthier Devillers.
Les militants européens : une ingratitude d'État
L'historien Daho Djerbal prend le relais avec un exposé fort pertinent : «Nation et société : appartenance et appropriation». Il mettra ainsi le doigt sur une terrible ingratitude d'Etat : le code de la nationalité de 1963 qui montre si peu de reconnaissance envers les «moudjahidine européens» qui ont farouchement combattu pour l'indépendance de notre pays, et qui eurent tout le mal du monde à se faire reconnaître comme Algériens. «D'ailleurs, j'ai été frappé tout à l'heure de voir l'agent de sécurité dire de notre amie Evelyne Lavalette «hadhik el gaouriya» (cette Française)», confie Daho Djerbal. Passant en revue l'évolution des concepts de «citoyenneté» et de «nationalité» depuis le Congrès musulman de 1936 jusqu'à l'indépendance, l'historien s'attarde sur la position des ulémas ainsi que celle de Ferhat Abbas et du PPA-MTLD. Il note que dans la charte de la Soummam, le sujet est frontalement abordé en s'interrogeant sur le statut à accorder à celles et ceux qui se sont engagés dans le combat libérateur sans être «génétiquement» algériens. Daho Djerbal s'indigne dans la foulée sur le terrible sort qui est fait à un militant de la première heure comme Félix Collosi : «Félix Collosi était un compagnon d'armes de Fernand Yveton. Il a été arrêté en novembre 1956 et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il ne sera libéré que le 26 mai 1962. Le 11 novembre 1962, le gouvernement l'envoie en Bulgarie avec d'autres étudiants.
Le 19 juin 1965, l'UNEA à laquelle il appartenait a pris position contre le coup d'Etat. L'ambassadeur d'Algérie à Sofia l'a alors déchu de sa nationalité», rapporte le conférencier. «Il faut noter que conformément au code de la nationalité, les militants d'origine européenne devaient faire une demande d'acquisition de la nationalité, et ils pouvaient en être déchus à n'importe quel moment.
Pourtant, quand ils se sont engagés dans la Révolution, on ne leur a pas exigé de demande spécifique. Felix Collosi a ainsi été dépossédé de sa nationalité en 1968 et il n'a pas été réhabilité à ce jour. Quand un responsable lui a demandé de lui restituer sa carte d'identité et son passeport algériens, il a refusé en rétorquant : «Ces documents, je les ai gagnés avec mon sang. Il est hors de question que je vous les remette !»
L'homme sera divorcé de sa femme, renié par sa famille. Il a épousé une Algérienne et malgré cela, il est toujours privé de sa nationalité algérienne !» A la fin du colloque, Pierre Chaulet a rejoint la tribune pour renouveler son pacte d'amour à son éternelle Claudine. «Je suis son étudiant depuis 56 ans», lance-t-il avec son humour pétillant. Avant d'ajouter : «Ce qu'elle m'a appris dans la pratique, c'est la parité. Une parité réelle, de tous les jours, et une complicité complète. Cette parité dans les ménages, c'est la base de la citoyenneté. Il faut qu'on apprenne dans les ménages algériens à considérer les femmes. Après, les enfants seront élevés sur une bonne base. Les nôtres, nous les avons élevés dans la liberté. C'est important pour la formation du citoyen.»


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