L'exposition et la conférence donnée à Oran par l'historien Michel Pierre sur Corto Maltese, héros de la célèbre BD d'Hugo Pratt, représentent la pierre angulaire de la semaine dédiée au 9e art, inaugurée samedi dernier à l'Institut français. Hugo Pratt est mort en 1995 à l'âge de 68 ans, à la suite d'une grave maladie, mais son héros légendaire a survécu. Preuve en est que, l'année prochaine, à l'occasion du 20e anniversaire de la disparition de l'auteur, un nouvel album sortira chez Casterman avec un nouveau dessinateur et un nouveau scénariste. «A la différence d'autres auteurs de BD ayant créé des personnages célèbres, comme Tintin, Hugo Pratt n'a pas décidé qu'il n'y aura plus de Corto Maltese après sa mort», explique l'historien pour qui l'œuvre de ce «créateur extraordinaire» peut être considérée comme «un condensé ou un résumé de toute la littérature d'aventure européenne». Personnage secondaire au départ, Corto Maltese apparaît en 1967, secouru en pleine mer, dérivant sur un radeau auquel il est attaché comme un crucifié. Les premiers lecteurs le découvrent peu à peu, à mesure que son identité se décline. Résidant à Antigua, une petite île des Caraïbes et originaire de l'île de Malte, un confluent de cultures et de civilisations sous domination britannique à l'époque, il est déjà reconnaissable par un ensemble de signes distinctifs : un look de marin (marine marchande), déserteur ayant fui la marine royale, des pattes larges et une boucle d'oreille. Un peu pirate ou marginal, mais pas trop, Michel Pierre décèle l'influence du cinéma américain avec notamment un clin d'œil au film Le faucon maltais de John Huston (1941) et, accessoirement, à l'acteur Burt Lancaster. L'auteur, dont la famille est originaire de Venise, a vécu 5 ans (entre 11 et 16 ans) en Ethiopie où son père, officier au sein des troupes mussoliniennes, a été envoyé. L'enfant découvre ainsi d'autres civilisations, le mode de vie bédouin et d'autres populations sur lesquelles, plus tard dans ses œuvres, peut-être paradoxalement, il pose un regard d'«empathie», précise Michel Pierre, avant d'évoquer son périple en Argentine où il a essayé de vivre en publiant des récits, des dessins, entre la fin des années 1940 et le début des années 1960, qui marquent son retour en Europe. Quand paraît le premier d'une série de 29 histoires intitulées La balade de la mer salée, Hugo Pratt a 41 ans. Par sa maîtrise du récit graphique avec des influences attribuées au créateur le plus important de la bande dessinée aujourd'hui oublié, Milton Caniff, le héros qu'il a imaginé, pourtant souvent «silencieux, ironique, détaché et à l'écart de tout» commence peu à peu à s'imposer dans l'univers de la bande dessinée. Corto Maltese est tellement détaché qu'il est à chaque fois interpellé comme un individu «louche». «Un héros d'une maîtrise totale de sa destinée et qui n'est soumis à rien d'autre qu'à lui-même», explique l'historien qui illustre ses propos avec les scènes où il défie la mort symbolisée par la faux ou, exprimé plus explicitement, dans un dialogue avec son double maléfique (Raspoutine). «Une atmosphère lunaire dans un univers de légende, de fantaisie, de grand mythe et de songe.» Mais des personnages réels ou ceux jouissant d'une charge historique font aussi irruption dans les planches d'Hugo Pratt, à l'instar de Staline ou alors de Jack London, cet autre grand auteur de romans d'aventures. Hugo Pratt transmet à son héros sa passion des livres en le montrant souvent en train de lire, mais cela ne l'empêche nullement de faire la guerre car la violence est évidemment un des thèmes favoris de la saga avec, en toile de fond, l'âme d'un tueur, même s'il justifie la finalité du passage de vie à trépas par la légitime défense.
