Vous avez séjourné à Oran pour la première fois de votre vie, dans le cadre du Festival international du film arabe. Connaissez-vous ce cinéma ? Avez-vous rencontré des cinéastes arabes ? Moi, je suis un peu énervée car je dis qu'on devrait faire plus de coproductions. En France, on voit surtout des films américains, et c'est ça qui m'énerve, car moi j'aimerais bien voir le cinéma du monde entier. Il y a très longtemps de cela, j'ai fait un film, Les ceinturions (Mark Robson, 1966), où je jouais le rôle d'Aïcha, une révolutionnaire algérienne, avec Alain Delon. C'était un film incroyable, car je jouais le rôle d'une révolutionnaire, il y avait la guerre d'Algérie et Alain Delon tombait amoureux de moi ; donc, les deux ennemis tombaient amoureux. A ce propos, il me semble que votre première apparition dans le cinéma, c'est dans un court-métrage de René Vautier, un grand ami de l'Algérie… Oui, c'était dans Les Anneaux d'or (ndlr : 1955). Mais il faut que je vous dise que pendant le Festival (ndlr : du film arabe), j'étais un peu en colère, car sa fille était présente, elle était assise à côté de moi. Elle a déclaré : «Ils m'ont dit qu'ils allaient rendre hommage à mon papa, finalement ils ne l'ont pas fait.» Même moi d'ailleurs elle a été étonnée qu'on m'ait choisi comme invitée d'honneur et qu'on ne m'ait même fait monter sur scène. J'étais invitée pour Les Anneaux d'or, où je jouais le rôle d'une jeune femme arabe, et Goha le simple de Jacques Baratier avec Omar Sharif, où là aussi je jouais le rôle d'une femme arabe. Je suis désolée, mais il y en a beaucoup qui ont été déçus, car ils pensaient qu'on allait voir un peu mieux… La moindre des choses, une petite rétrospective, ou la projection de ces deux courts métrages… C'est ce qu'on m'avait dit, mais finalement il n'en a rien été. La raison serait que l'organisatrice initiale a été éliminée (ndlr : du festival). Enfin, c'est ce qu'on m'a dit. Car si on t'invite, c'est pour un motif, non ? Moi, j'étais assise dans la salle et c'est tout ! Votre filmographie compte plus d'une centaine de films, avec beaucoup de grands chefs-d'œuvre. Lequel est votre préféré ? Pour être précise, c'est 152 films. Mais pour répondre à votre question, c'est un peu compliqué parce que j'ai fait des films un peu partout. Quand j'étais jeune, je voulais être exploratrice, et je crois que j'ai réussi puisque j'ai tourné dans le monde entier : de l'Australie à la Russie en passant par l'Amérique du Sud, du Nord, l'Amazonie, partout. Donc, j'ai réussi à faire ce que je voulais : visiter le monde ! (rires) Est-il vrai que c'est Le Pigeon de Monicelli (1958) qui vous a vraiment lancée ? Gassman a reconnu que ce film a marqué un tournant dans sa carrière… Oui, c'est le premier film que j'avais fait en arrivant en Italie avec de grands acteurs comme Mastroiani, Gassman et tous les autres. Et la chose incroyable est qu'à cette époque, moi je ne parlais pas un mot d'italien. Ma langue était le français (étant née en Tunisie, qui était sous protectorat français). Il a fallu attendre le tournage de Huit et demi pour que Fellini me donne ma voix, car avant, comme je parlais mal l'italien, je me faisais doubler. Et puis, vous savez, avec ma voix basse, ils me doublaient avec des voix que je ne reconnaissais même pas ! (rires) Est-ce que ça a été une frustration pour vous, ou est-ce que c'est cela qui vous a poussée à apprendre l'italien ? Oui, après j'ai pris des leçons d'italien, et le premier film que j'ai tourné sans être doublée a été Huit et demi. Le plus marrant, c'est quand j'ai revu le film récemment, avec le son direct, pendant l'hommage au festival de Cannes à Fellini, j'ai remarqué que quand je parlais italien, j'avais un petit accent français (rires). Pour parler plus spécifiquement du cinéma italien, vous savez qu'il a plusieurs facettes : il y a les bonnes vieilles comédies italiennes à la Monicelli, Risi, Scola, etc., et il y a des films plus durs, comme ceux de Visconti et, enfin, des films assez spéciaux de Fellini où parfois il n'y a même pas de scénario. Vous avez joué dans ces trois genres ; lequel préférez-vous, ou tout au moins dans lequel vous êtes-vous le plus amusée ? Oui, d'ailleurs la comédie italienne est née avec Le Pigeon, et moi j'ai eu la chance d'arriver dans la magie du cinéma italien. Et ce qui est incroyable, c'est que j'ai tourné à la fois Le Guépard de Visconti et Huit et demi de Fellini. Avec Visconti (avec qui j'ai fait 4 films), c'était comme faire du théâtre, on répétait beaucoup, tandis qu'avec Fellini, c'était tout dans l'improvisation. En tous cas, il y en a plusieurs que j'ai aimé faire, comme La fille à la valise de Valerio Zurlini, Le bel Antonio de Mauro Bolognini, etc. (D'ailleurs, dans ce dernier film, Marcello Mastroiani est tellement amoureux de moi qu'il devient impuissant, et il n'ose pas sortir de l'hôtel, car ça se passe en Sicile, et tout le monde dit : «Un Sicilien impuissant, ça n'existe pas !» (rires), et puis il y a eu Cartouche avec Belmondo, Les Professionnels aux Etats-Unis avec Richard Brooks, et tant d'autres encore… Mais disons que la plus belle aventure, c'était Fitzcarraldo de Werner Herzog (1982). Le tournage s'est fait en Amazonie… On était en pleine forêt, il n'y avait rien à manger et les singes nous sautaient dessus. Ça a été la plus folle aventure de ma vie ! J'ai aussi tourné Les Pétroleuses avec Brigitte Bardo, le fameux film de «B. B. et C. C.». D'ailleurs, j'avais vu avec elle Sur les quais de Marlon Brando. Quand il l'a su, il est venu jusqu'à mon hôtel pour essayer de me séduire, mais finalement il n'a pas pu. Il est reparti en disant : «Tu es bélier comme moi, donc tu ne te laisses pas avoir.» Mais quand il était parti, j'ai regretté de l'avoir repoussé (rires). Vous représentiez l'icône du cinéma italien Oui, mais moi je me trouvais moche. Ils ont insisté beaucoup pour que je fasse du cinéma, moi je disais : «Non ! non et non !» «J'ai une sœur très belle, blonde aux yeux bleus, c'est elle qui voulait faire du cinéma, pas moi !» Mais finalement… Le destin ? Oui, c'est le destin qui a voulu que ce soit ainsi, «el mektoub», comme on dit ! Beaucoup de cinéphiles algériens constatent des similitudes étranges entre les Italiens de cette époque (ndlr : du néoréalisme) et une partie de la société algérienne, ou plus globalement maghrébine. Cela se voit par exemple dans le personnage du Sicilien dans Le Pigeon qui séquestre sa sœur (en l'occurrence vous) pour qu'elle ne rencontre pas des hommes. Ou alors dans Séduite et abandonnée de Pietro Germi, où ça parle de déshonneur. Quel est votre point de vue ? Oui, c'est absolument vrai. D'ailleurs, vous savez, pendant longtemps en Italie, dans la région de Sicile, beaucoup de femmes sortaient seulement si elles portaient un voile. Et moi, à chaque fois que je vais en Tunisie, je remarque que beaucoup de Tunisiens savent parler italien et adorent l'Italie. Comment se fait-il que le cinéma italien d'aujourd'hui ne soit plus comme avant, ou tout au moins qu'il ait perdu de son prestige d'antan ? Le cinéma italien a vraiment marqué beaucoup de monde. Vous savez, des gens comme Martin Scorsese et Woody Allen m'ont avoué qu'ils se sont beaucoup inspirés du cinéma italien pour faire leurs films. Mais pour revenir à aujourd'hui, vous savez, je crois que le seul problème, c'est qu'il n'y a pas assez de financement. En France, par exemple, ils ont le CNC, et les cinéastes ont beaucoup de financements pour réaliser leurs films. Sans financement, comment voulez-vous que les jeunes puissent se lancer dans le cinéma ? Moi, je tourne beaucoup avec de jeunes cinéastes qui font leur premier film, une manière pour moi de les aider à démarrer leur carrière. Comptez-vous revenir en Algérie ? Oui, je l'espère !