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Le vieil homme et le pays profond
Publié dans El Watan le 18 - 06 - 2015

En ce mardi 16 juin 2015, la rudesse du trajet, émaillé de travaux interminables en différents endroits depuis La Chiffa, est compensée par un temps idéal à Djelfa où nous attend Hadj Mokhtar qui a accepté de revenir sur son si long chemin, parcouru depuis sa naissance à Had Shari en 1915. On l'écoute avec une curiosité rarement rassasiée.
Parfois, la confession se fait à voix haute relançant une souffrance intime jamais apaisée. La compensation a été le travail, toujours le travail qui garde une place singulière dans le panthéon intime de Hadj Mokhtar.
Cet Algérien «normal» préfère la cohérence des actes aux effets spectaculaires, la pertinence des idées à la banalité des choses. En tout cas, Mokhtar a l'endurance chevillée au corps, une façon de tenir contre le temps les modes et le charivari de la politique.
En écoutant ce jeune homme de 100 ans, toujours alerte, sur le qui-vive, évoquer sa longue marche à travers un siècle tourmenté qui a engendré un autre plein de doutes, on comprend mieux ce qu'endurance signifie. Hadj Mokhtar est le fils de Belaïd venu du village Tahachat dans la daïra des Ouacifs vers 1890, victime d'un exil forcé face à la misère pour s'installer à Had Shari près de Djelfa. Commerçant itinérant à dos de mulet, il vendait des produits hétéroclites et dormait à la zaouia Aklal, dans la commune de Bouirat
Lahdab. C'est peut-être ce goût du travail que Belaïd, mort en 1949, a légué à ses enfants.
Mokhtar en parle avec émotion. Pendant tout l'entretien, à intervalles presque réguliers, Mokhtar demande s'il est nécessaire de mentionner tel ou tel fait. Puis, de s'inquiéter entre deux phrases, de peur de brusquer ou de blesser quiconque. «On n'est pas là pour ça». On comprend rapidement que l'homme est doté d'une solide carapace, où la pudeur et le savoir-vivre tiennent un place prépondérante.
Et lorsqu'une question jugée trop dérangeante ne lui plaît pas ou pourrait ne pas plaire aux «autres», il botte en touche. Mais Mokhtar reste une leçon de modestie une source de motivation qui lui donne toute cette énergie.
Hadj Boussaad Mokhtar est né le 27 mars 1915 à Had Shari, il est le 4e enfant après 3 filles. Ici, près de Djelfa, Mokhtar y a vécu jusqu'à 22 ans, y apprenant le Coran et fréquentant l'école communale où il n' a pu obtenir le certificat. En 1937, il est mobilisé. Il effectue son service militaire à Laghouat, Blida, Bône, puis le sud tunisien jusqu'à novembre 1940.
Il est démobilisé après la signature de l'armistice par le maréchal Petain. Mokhtar réside à Blida où il a été nommé inspecteur de sûreté jusqu'en novembre 1945 : «Je me suis spécialisé dans l'alphabet morse que j'ai perfectionné à Blida, puis à Bône. J'ai exercé à la commune mixte de Aïn Boucif, à la société agricole de prévoyance. A la suite des massacres du 8 Mai 1945, j'ai quitté le corps de la police pour m'installer à Blida où j'ai créé la première auto-école en 1946. J'y suis resté jusqu'en 1963».
Du djurdjura à had shari
A cette date, Mokhtar est sollicité par Me Boumendjel, ministre des Travaux publics, de la construction et des Transports pour occuper le poste de secrétaire général de tous les aéroports d'Algérie, tout en étant directeur général par intérim : «J'y suis resté jusqu'au début 1970. Il fallait boucher les trous et travailler avec les rares ingénieurs coopérants. On a sauvé ce qui pouvait l'être en maintenant en vie l'activité.»
A la fin de cette année 1970, Mokhtar est recruté à Sonatrach comme attaché de direction chargé des transports auprès du DG Sid Ahmed
Ghozali.
Mais il est rappelé à son ancien corps et Bitat, alors ministre des Transports, le nomme directeur du remorquage à la CNAN, où sa mission dure deux ans. Enfin, Sotrawa, une entreprise de la wilaya d'Alger qui l'autorise à prendre sa retraite en 1985 à l'âge de… 70 ans. L'homme est outré lorqu'on évoque avec lui le sort actuel de Sonatrach et de la CNAN «souillées» par des scandales qui continuent à défrayer la chronique judiciaire. «Que voulez-vous que je vous dise ? Tout est lié à une question de bonne gouvernance. Et à l'évidence, ce n'est pas le cas ! On constate, hélas, que nul n'est à sa place !» s'insurge-t-il.
Mauvaise gouvernance
L'inactivité n'est pas en phase avec le caractère trempé de Mokhtar, fou de travail et qui se dit pourquoi ne pas travailler la terre pour laquelle il a un penchant. Avec ses 20 ha, il est agriculteur à Had Shari, son village natal.
Dans cette région semi-désertique, il est fier de ses 1000 oliviers, des 12 ha cultivés, de sa ferme, de ses hangars et de ses bassins… «Ici, au Sud, soutient-il, il n'y a pas autant de pression qu'au Nord où les terres sont très convoitées car moins ingrates ; la terre, c'est le salut de l'économie algérienne, mais, malheureusement, on a transformé un peuple de travailleurs en un peuple de fainéants à cause de leur politique démagogique en titillant hypocritement l'ego des uns et des autres.
Depuis des siècles, l'Algérie était le grenier de l'Europe, elle exportait les blés, les agrumes et les fruits. Aujourd'hui, on importe même les fruits exotiques ! J'ai des statistiques effarantes. En politique, gouverner c'est prévoir, on planifie ; ici on ne sait pas ce qu'on fera le lendemain, on navigue à vue.
C'est un véritable gâchis ! Pourtant, l'Algérie est très riche, il y a le sous-sol et le sol. Une vraie agriculture dans les Hauts-Plateaux les transformerait en de multiples Mitidja…» Puis, Mokhtar d'évoquer sa famille : «J'ai amené mon neveu Saïd Ait Messaoudene, alors qu'il n'avait que 8 ans, à Blida où je résidais.
C'est là qu'il a fait sa scolarité jusqu'en 1951 où il a obtenu son bac. Il était hyper intelligent. Il avait demandé à aller à Rochefort dont je n'avais jamais entendu parler. J'ai contacté un ami correspondant de presse à Blida qui connaissait le chef de la base aérienne de Blida ; il lui a présenté Saïd, âgé de 17 ans. Mais le père de Saïd ne voulait rien entendre, pas question d'envoyer son fils en France. Finalement, c'est moi qui ai signé le document sur un faux.
C'est comme ça que Saïd est parti à Rochefort où il est resté 2 ans à l'école de communication d'Auxerre et l'Ecole nationale de l'air à Salon de Provence. C'était le seul Algérien, de surcroît major de promotion.»
Dès son retour, il est affecté à l'Otan comme lieutenant à Strasbourg, puis détaché au Maroc où il rejoint le FLN. En 1962, il est promu chef de l'Armée de l'air algérienne.
Boussaad a commencé à tâter de la politique en 1946. «Mon premier contact était avec Ferhat Abbas à la création de l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Ce parti était le fils des AML.
Cela s'est passé à Blida, mais celui qui m'a mis le pied à l'étrier, c'est M. Abdelli, un commerçant retraité de Draâ El Mizan qui connaissait bien Ouamrane et Krim. L'UDMA, c'était l'élite algérienne. Abbas, non pas parce que c'était un ami, avait le sens de la politique et de l'Algérie.
N'avait-il pas créé le journal «La République algérienne», alors que ses contempteurs n'osaient même prononcer ce mot ? Et lorsque Abbas a été contacté par Abane en 1955 pour rejoindre la Révolution , il n' a pas hésité. Il a accepté de s'engager totalement avec le FLN en procédant à la dissolution de l'UDMA.
Quant à Messali, il a été victime de son zaïmisme. Il avait les mots qui frappent, mais son parcours s'est terminé en queue de poisson.» Sobre, direct et concis, Mokhtar a su consigner dans sa mémoire le tout venant de la vie, saisir ce qui se passe avec des détails incroyables.
En racontant d'une manière exquise tous les faits qui à ses yeux ont bouleversé son existence, il veut restituer le tout sans jamais rechercher l'éclat, en tous cas sans éblouir… Visiblement, l'épisode de la crise de l'été 1962 agace Mokhtar. «Un tournant raté. Le bout du tunnel commençait à apparaître. Les velléités d'accaparement du pouvoir aussi. avec tout ce qu'elles pouvaient engendrer comme crises et violences. Abbas s'est dignement retiré sans rien demander.
Pis encore, il a été arrêté et mis en prison. Quant au coup d'Etat de 1965, il avait été fomenté déjà à partir du… Caire. Le testament du colonel Lotfi à Abbas est à cet égard très édifiant. Il appréhendait la situation en 1961. L'histoire lui a donné raison.»
Dans son album-souvenir, Mokhtar exhibe une vieille photo où il figure aux côtés de Abderrahmane Fares, Bencherif, Boumediène, Hadj Benalla et SaÏd Ait Messaoudene. «C'était lors du mariage de ce dernier en 1963, à Blida».
En 1965, j'étais le DG des aéroports ; en tant que secrétaire général du gouvernement, Khatib Djelloul dirigeait les opérations. Il y avait le sommet des non-alignés qui devait se tenir au mois de juin de cette année.
Au moins 10 chefs d'Etat avaient atterri à l'aéroport d'Alger sans savoir qu'il y avait coup d'Etat. Vous vous imaginez notre gêne. Gamal Abdel Nasser, qui était au courant, avait délégué le maréchal Amer pour tenter de récupérer… son ami Ben Bella !»
Mokhtar est convaincu que l'Algérie aurait mérité mieux. «Depuis le coup d'Etat contre le GPRA, le culte de la personnalité qui avait commencé depuis Messali a repris de plus belle.
Il n'a cessé de prospérer jusqu'a aujourd'hui.» Notre interlocuteur, qui se défend d'être un historien, estime que l'histoire ne sera pas écrite comme il se doit tant qu'il y a encore des gens qui ont des comptes à régler avec elle. «Moi je lis beacoup, surtout les ouvrages consacrés à l'histoire de l'Algérie. Je suis fier d'avoir les livres de Ferhat Abbas, tous dédicacés. Tous les livres d'Yves Courrière et bien d'autres, je les ai achetés en France quand ils étaient interdits ici. Comme j'étais responsable à l'aéroport, j'avais des facilités pour les faire entrer.»
Ferhat abbas mon ami
Mokhtar se dit très fier d'avoir côtoyé des gens intéressants, notamment à l'UDMA, comme par exemple Aïssa Baiod représentant de ce parti en Libye dès 1946. Mais surtout Ferhat Abbas, qui reste selon lui un homme d'une envergure exceptionnelle ; Aïssa Bisker de Bou Saâda, nommé instituteur à Had Shari en 1927.
Sa fille Hafsa a été une vaillante moudjahida, alors que son fils exerce en tant que médecin à Djelfa. Sa longévité, Mokhtar l'explique par «une vie très réglementée, portée sur le blé, l'orge et le lait que je consomme régulièrement depuis mon enfance à Had Shari. J'ai occupé des postes importants, mais je n'ai jamais été grisé ni par la notoriété, ni par l'alcool ou le tabac.
Je suis un bon musulman. Comme en politique, je suis un homme du milieu, contre tout extrémisme, j'ai grandi à la zaouia Aklil, je visite régulièrement la zaouïa d'El Hamel.
Son chef El Maamoun est mon ami. Je pratique ma religion normalement, sans tambour, ni trompette… Je suis contre l'instrumentalisation de la religion à des fins inavouées, je suis contre la violence d'où qu'elle vienne.» Mokhtar parle de ce siècle qui s'est acharné à démontrer la futilité des choses et que rien ne peut arrêter la furie des hommes. Dans son kaléidoscope surgissent des moments d'émerveillement, d'effroi et de déception.
«A l'indépendance, on avait promis au peuple qu'il allait manger avec des cuillères en or et que tous les biens (vacants) étaient pour lui.
En réalité, tout était faux.
On a besoin d'une autre philosophie de la vie, où le rapport entre gouvernants et gouvernés n'est pas factice.»
Mokhtar, qui aime philosopher, méditer, a-t-il peur de la mort ? «Non, car je n'ai pas fait de mal. Et même si j'en ai fait, je ne l'ai pas fait exprès. J'évite le mal autant que faire se peut, j'ai la conscience tranquille».
Comme on le constate, le récit que Mokhtar fait de ses périples existentiels est à l'image de sa vie faite d'abnégation et surtout d'éthique, car comme on le sait, l'éthique en fin de compte, c'est ce qui résiste à ce qui tire en arrière, à ce qui enferme, à ce qui attriste… En réalité, on a plus peur de ce qui meurt en nous alors que nous sommes toujours vivants …


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