L'affaire a pris l'allure d'un scandale et suscité non seulement la réaction du ministère des Affaires étrangères, mais surtout celle du Premier ministre. Qu'en est-il au juste ? Tout a commencé il y a deux semaines, à l'aéroport international d'Alger, lorsqu'un diplomate américain sur le point de prendre un vol à destination de Paris a fait l'objet d'une fouille au corps par deux agents des Douanes, qui lui avaient demandé de les suivre loin des caméras de surveillance. Sur les 6000 euros qu'ils ont trouvé sur lui, ils en ont pris 3000, qu'ils se partagent avant de le laisser partir. Craignant le décollage immédiat du vol Alger-Paris, l'Américain s'empresse d'embarquer, mais une fois à Paris, il se dirige droit vers son ambassade pour faire état de ce vol caractérisé. Une lettre de dénonciation est adressée à la direction générale des Douanes qui ouvre une enquête, dont la conclusion confirme le témoignage de l'Américain. Les deux agents sont identifiés puis suspendus de leur poste, après leur avoir exigé le remboursement de la somme de 3000 euros. Une somme que l'Américain a refusé de reprendre, mais qui a été remise aux représentants de son ambassade à Alger. L'affaire aurait pu s'arrêter à ce niveau sans faire de bruit, si ce n'est la réaction du Premier ministre qui, dans un courrier adressé au premier responsable de l'administration douanière, a réclamé un dépôt de plainte contre les auteurs de cette bavure, qui ne semble pas être un cas isolé. En effet, la semaine écoulée, alors que l'affaire de l'Américain était encore sous enquête, deux autres plaintes pour vol arrivent au ministère des Affaires étrangères. La première émane d'un ressortissant yéménite qui affirme avoir été délesté par deux agents des Douanes d'une somme de 9000 dollars, sans aucun procès-verbal. Les mêmes propos sont tenus par une femme de nationalité saoudienne qui accuse les douaniers de lui avoir confisqué 8000 dollars. Des faits extrêmement graves qui ont suscité la réaction du ministère des Affaires étrangères, lequel a saisi le directeur général des Douanes pour l'ouverture d'une enquête et le dépôt d'une plainte. Les faits se transforment en véritable scandale et bousculent le premier responsable de l'institution douanière, lequel ordonne une autre enquête plus approfondie qui devrait toucher tous les agents du service voyageurs de l'aéroport d'Alger, qui fait l'objet de graves accusations. Avérées ou non, celles-ci ne sont pas nouvelles. Depuis quelques années, de nombreux étrangers, notamment chinois, syriens et turcs, affirment avoir fait l'objet de ce genre de pratiques condamnables, mais disent n'avoir pas osé dénoncer, pour «éviter des démêlés avec la justice». Contactée, une source douanière proche du dossier confirme les plaintes déposées par les trois ressortissants, américain, yéménite et saoudienne, en précisant qu'une enquête a été ouverte et des sanctions engagées contre les mis en cause. «Il est vrai que depuis quelques années, il y a une déliquescence avérée au niveau de l'aéroport, notamment le service passagers contre lequel les voyageurs ne cessent de se plaindre. Les victimes sont souvent des ressortissants étrangers qui ne connaissent pas la législation algérienne, mais aussi des Algériens. Les douaniers indélicats commencent par les menacer de poursuites judiciaires, histoire de leur faire peur, avant de leur confisquer leur argent et de les laisser partir sans leur délivrer un quelconque procès-verbal ou document officiel. La loi est très claire. Au-delà de 7000 euros, les douaniers sont sommés d'établir un procès-verbal de confiscation et n'ont aucun droit d'agir dans le cas où la somme est inférieure ou égale à 7000 euros. Il est important de signaler que ces pratiques ne sont pas systématiques. Néanmoins, elles existent et tendent à prendre de l'ampleur ces derniers temps. Ce qui nécessite une réaction à la hauteur de la gravité des faits. Il est peut-être temps de se pencher sur les critères de choix des nominations aux postes de contrôle aux frontières, car il y va de l'image et de la crédibilité non pas de l'administration douanière seulement, mais surtout du pays…», explique notre source, qui a tenu à garder l'anonymat de peur de représailles. Du côté de l'administration douanière, rien n'a filtré. Tous nos efforts d'entrer en contact avec les responsables se sont avérés vains. Ces derniers étaient injoignables. En tout état de cause, cette affaire risque de faire boule de neige en raison des nombreuses victimes qui, encouragées par les plaintes des trois voyageurs étrangers, vont dénoncer ce qu'elles qualifient «de vols caractérisés» opérés par des agents qui, par leurs actes, donnent une piètre image de l'Etat et de l'administration douanière en particulier. Il suffit de quitter l'enceinte et de discuter avec les chauffeurs de taxi qui travaillent à l'aéroport d'Alger pour se rendre compte que ces pratiques honteuses gangrènent l'institution et sont en train de s'installer dans la durée. Il est donc urgent que les autorités prennent les mesures nécessaires pour y mettre fin.