Y a-t-il un musulman standard ? L'Islam est-il uniforme ? L'historien Houari Touati, directeur d'études à l'Ecole des hautes études des sciences sociales (EHESS), répond par la négative : « Il n'y a pas qu'une seule manière d'être musulman. » Invité hier des Débats d'El Watan sur les sources de l'Islam, M. Touati insiste sur la variation des lectures du Saint Coran et l'absence d'uniformisation de l'Islam. « Pour aller au Paradis, certains disent qu'il suffit de dire avant sa mort ‘j'atteste qu'il n'y a pas de Dieu sauf Allah et Mohammed est Son messager'. » Une opinion qui existe dans les sociétés musulmanes mais contredite par des savants et exégètes qui attestent qu'un musulman se définit par « ses paroles et ses actes ». Pour le conférencier, ces deux points de vue sont valables : « On ne peut pas dire que telle opinion est fausse et l'autre juste. C'est le consensus de la communauté savante et les traditions qui valorisent une opinion sur une autre. » M. Touati explique, ainsi, que pour comprendre l'Islam, il faut remonter à sa substance historique faite essentiellement du Coran et de la Sunna. Sur ce plan, des camps s'affrontent. « La place de la Sunna est discutée souvent d'âpres polémiques » et l'enjeu des confrontations était la « scripturalisation » de la Tradition, « c'est-à-dire son affirmation comme source de l'autorité religieuse ». Cela bien entendu à côté du Coran. Certains savants musulmans étaient contre la transcription des hadiths de la Sunna, comme l'explique encore le conférencier, parce qu'« ils craignaient qu'un autre livre vienne concurrencer le Coran ». Cela au moment où d'autres religieux considéraient la Sunna comme une introduction au Saint Coran dans le sens où elle est composée essentiellement de hadiths du Prophète Mohammed. Ce courant religieux s'est développé au fil des temps avant de se diviser en deux, souligne M. Touati, en précisant qu'il y a ceux qui voulaient classer la Sunna sinon supérieure du moins égale au Coran. Parmi eux aussi, il y a ceux qui confèrent à la Sunna le droit d'abroger le Coran, arguant que le Prophète « connaît mieux ce qu'il y a dans le Coran vu qu'il est le Messager d'Allah ». Les adeptes de l'autre courant selon lequel le Coran est l'unique Livre religieux expliquaient l'essence des hadiths qui sont les produits de la raison et de la sagesse humaine. Ce sont des transmissions de paroles, d'actes et d'approbations du Prophète Mohammed. Citant plusieurs textes et des références religieuses, le conférencier affirme qu'« Allah n'a pas donné la sagesse qu'à un seul de ses Prophètes ; au témoignage du Coran. Il l'avait apprise à d'autres Prophètes tels que David et Jésus ». Si le Coran est un Livre purement religieux, la Sunna est le fruit à la fois de la raison et de la sagesse. D'ailleurs, la Sunna a changé plusieurs fois de visage et l'autorité religieuse n'a cessé de revêtir des formes tout aussi historiquement déterminées. « Révélation venue d'Allah, l'Islam s'est inscrit dans le temps de l'histoire pour apporter à ses fidèles une réponse à l'énigme de l'existence. Mais il ne l'a pas fait sans épouser ses vicissitudes. Aussi bien en tant que système d'explication des sociétés par le temps, la discipline historique reste son principe d'intelligibilité majeur. Mieux encore, une instance tierce qui protège des interprétations furieuses et qui empêche le collage à sa référence », précise M. Touati, qui insiste sur le fait qu'il ne faut jamais utiliser « la menace de l'enfer » pour convaincre les musulmans du bien-fondé d'un tel ou tel courant. « Plus on sait comment les choses se sont faites historiquement, mieux on est à l'aise avec la foi », assure-t-il.
