L'expert international dans le domaine de l'énergie, Nordine Aït Laoussine, plante le décor des retombées de la crise causée par la chute des prix du pétrole : «Avec la division par deux des prix du pétrole et la dégringolade de ceux du gaz, les investissements globaux dans le secteur se sont effondrés, marquant une baisse de pas moins de 300 milliards de dollars entre 2014 et 2016, assortis d'une suppression de 350 000 emplois dont 100 000 aux Etats-Unis.» Pour les pays membres de l'Opep, la courbe des revenus des exportations a connu une baisse de 45% en 2015, aggravée de 15% en 2016. Les pertes cumulées depuis l'année 2014 s'élèvent à 1000 milliards de dollars, soit une moyenne de plus 1 milliard par jour. «L'Opep a ainsi connu l'une des plus graves crises de son histoire, plus longue que les précédentes, et semble s'éterniser malgré les baisses de production convenues entre les pays exportateurs qui n'arrivent pas à éponger l'excédent de stock accumulé sans interruption au cours des deux dernières années», indique l'expert, en notant que les pays importateurs de pétrole ont largement bénéficié quant à eux de la baisse des cours de pétrole (baisse des prix du carburant), sans toutefois que cela n'impacte positivement l'économie mondiale. Selon l'AIE, les coûts de production ont baissé de 15%, ainsi que ceux de la production de schiste. M. Aït Laoussine note que les pays de l'Opep ont tous pris conscience du retard accumulé dans le processus de diversification de l'économie et des méfaits de leur dépendance excessive à l'égard de la rente, et l'exemple de l'Arabie Saoudite est édifiant. La monarchie wahhabite n'hésite d'ailleurs pas à ouvrir le capital de sa compagnie pétrolière Aramco. Nordine Aït Laoussine, qui est président de la société de conseil Nalcosa S. A basée à Genève, critique les tergiversations des membres de l'Opep qui se condamnent en ayant que deux options pour gérer le marché, soit en adoptant une stratégie de défense du prix en modulant les niveaux de sa production ou une stratégie de défense de ses parts de marché en acceptant comme l'Arabie Saoudite des baisses des prix imposées. «Les deux stratégies ont montré leurs limites, puisqu'elles ont conduit à des baisses substantielles des revenus des pays membres», estime l'expert en critiquant l'attitude de l'Arabie Saoudite en 2014 qui, embourbée dans un jeu de défense de ses parts de marché, a fait perdre deux ans à la décision de réduction de la production. «L'Opep va-t-elle retenir la leçon ? Je l'espère, mais je crains que ce ne sera pas le cas de l'Arabie Saoudite, qui n'a d'ailleurs pas explicitement admis que la politique prônée en 2014 pour pousser à stopper la production américaine de schiste ait échoué, elle a même contribué à rendre le schiste américain plus compétitif, sa production (schiste américain) a même augmenté de 600 000 barils/jour et va atteindre 1 million de barils en 2018», développe l'orateur en mettant en relief que l'Arabie Saoudite a présenté l'accord de novembre 2016 sur la réduction de la production comme un simple retour temporaire à sa politique de défense des parts de marché qui est momentanément suspendue jusqu'à nouvel ordre. «La question, aujourd'hui, n'est pas de savoir si l'accord de réduction de l'offre de pétrole sera prolongé, mais de savoir sur quelles bases et jusqu'à quand ? La reconduction pure et simple de l'accord pour six mois sans la réintégration du Nigeria et de la Libye dans le système des quotas ne permettra pas la remontée des cours au niveau souhaité de 60 dollars avant l'année prochaine. La liquidation en fin d'année des stocks actuels nécessiterait une réduction supplémentaire de l'ordre de 1,5 mb/j. Tout compte fait, l'Arabie Saoudite entend pratiquer tour à tour, selon les circonstances et son bon vouloir, deux stratégies contradictoires, ce qui placerait de nouveau les pays de l'Opep à la croisée des chemins. En d'autres termes, on n'est pas encore sorti de l'auberge.» L'expert plaide pour une nouvelle stratégie visant à préserver un niveau de revenus pour les pays membres de l'Opep.