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Fernand Iveton, mort pour raison d'Etat
Publié dans El Watan le 01 - 03 - 2018

L'explosion était prévue après la fin du travail, à 19h30, pour ne blesser personne. Le sort en avait décidé autrement, un contremaître avait vu Iveton entrer, dans l'après-midi, dans le local avec un sac et en ressortir les mains vides.
Il s'empressa d'avertir la police. Iveton est arrêté, torturé et condamné à la peine capitale le 24 novembre 1956. Raison d'Etat. Fernand Iveton est guillotiné le 11 février 1957 dans la cour de la prison Serkadji, à Alger, aux côtés de Mohamed Ouenouri et Mohamed Lakhnèche. Il est mort pour l'exemple.
Avant d'être suppliciés, les trois hommes s'embrassent et Iveton s'écrie: «L'Algérie libre vivra !»Une histoire occultée pendant trente ans. Il a fallu qu'un homme, Jean-Luc Einaudi fasse une première enquête, «Fernand Iveton. Mort pour l'exemple» (Editions L'Harmattan, 1986).
Trente ans après, Joseph Andras en fait un roman, De nos frères blessés (L'Harmattan, 2016) et en 2018 une pièce de théâtre, créée, jouée et produite par le Collectif Satori, actuellement au théâtre Les Déchargeurs (Paris 1) .
L'idéalisme d'un homme, Fernand Iveton, qui rêvait de liberté pour tous et qui a payé le prix de la raison d'Etat.
Quatre acteurs transmettent l'histoire comme un conte, convoquant une assemblée populaire, comme autour d'un arbre à palabre. Comme un rituel. On se réunit, là, dans le noir, pour raconter.
Les comédiens, François Copin, Clémentine Haro, Vincent Pouderoux, Thomas Rosendes jouent depuis vendredi 20 février jusqu'au 10 mars au théâtre Les déchargeurs (Paris) De nos frères blessés, l'histoire de Fernand Iveton mise en scène par Fabrice Henry. Ils sont jeunes, moins de la trentaine, tout comme l'auteur du roman, Joseph Andras, dont est reprise la pièce de théâtre.
Ils n'ont pas connu la guerre pour l'indépendance de l'Algérie, mais ils ont voulu se saisir et sortir de l'oubli cette séquence de l'histoire algéro-française. De nos frères blessés, le roman de Joseph Andras retrace l'arrestation d'Iveton et sa condamnation ; sa jeunesse, sa rencontre avec sa femme, Hélène ; la formation de ses convictions politiques.
La pièce, fidèle au roman reprend l'arrestation de Fernand Iveton, la cure en France pour traiter une tuberculose des années plus tôt, l'interrogatoire et les séances de torture ; la rencontre avec la Polonaise Hélène qu'il épousera ; le procès, les semaines d'emprisonnement à Barberousse en attendant le résultat du pourvoi en cassation interjeté à sa condamnation à la peine capitale ; la guillotine, au petit matin.
Le récit est construit par couches successives par des comédiens-narrateurs. «La narration casse la chronologie, ce qui donne du rythme à la trame. Le tout aboutissant à l'esquisse d'un portrait multiple, simplement humain d'Iveton : sa vie, ses rêves, ses espoirs, sa foi en l'humanité.
Sur scène, une communauté, celle des acteurs auxquels se joignent des spectateurs, réunie pour raconter le parcours de Fernand Iveton», précise la note d'intention du metteur en scène.
«Tu meurs à cause de l'opinion publique»
Exemples : 1956 à Alger, en novembre, il pleut. Une pluie chiche, masquée… Fernand attend à deux mètres, sous un arbre. Deux feuillets par bombe, il attend les consignes. Une femme descend d'une voiture, lui remet deux feuillets, les indications… Il glisse les feuillets dans son bleu de travail.
Il marche vers un local désaffecté qu'il avait repéré trois semaines avant. Pas de morts, surtout pas de morts. Il devait ensuite rejoindre une cache à La Casbah pour partir ensuite au maquis.
16h, il est interpellé par des flics, quatre ou cinq. Plus loin, le contremaître Auriol sourit… Le corps de Fernand est presqu'entièrement brûlé. La torture continue… Paul Teitgen (ndlr : secrétaire général de la préfecture d'Alger chargé de la Police.
Dans sa lettre de démission datée du 24 mars 1957, adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie dans laquelle il avertit que «la France risque de perdre son âme», il dénonce la pratique de la torture.
Dans ce courrier, Paul Teitgen, résistant de la Seconde Guerre mondiale, déporté à Dachau, écrit : «Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si je n'avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices qu'il y a 14 ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo à Nancy.»
Et Paul Teitgen pointe la «confusion des pouvoirs [entre le civil et le militaire] et l'arbitraire qui en découle»), deux heures avant, avait interdit qu'on le touche . Lui le déporté. Il arrivait de métropole trois mois avant.
Le commissaire : «Faites ce qu'il faut, je vous couvre»
Devant les sept juges en tenue militaire, Fernand Iveton soutient : «Oui je suis communiste… J'ai décidé cela, car je me considère comme Algérien… Je ne suis pas indifférent à la lutte du peuple algérien… Oui, j'aime la France mais je n'aime pas les colonialistes… Je voulais prouver que tous les Européens d'Algérie ne sont pas contre les Arabes…On m'a torturé. J'en porte les traces.»
Et sans attendre de réponse, il déboutonne son pantalon . Albert Smadja, avocat (stagiaire de troisième année commis d'office, ndlr) : «Le bâtonnier pense que vous allez vous en sortir avec une peine de prison.» «Tout le monde la veut, votre tête»… «Ce climat délétère n'est pas propice au procès».
Sa femme, Hélène (qu'il avait rencontrée en 1953 à Paris alors qu'il se soignait d'une tuberculose, ndlr), a du mal à le reconnaître : «Dans quel état ils l'ont mis.» Visage osseux, bouche déformée.
Le procureur : «tuer ou pas, le crime est le même»
Une semaine après son arrestation, on lui apprend qu'il sera jugé par un tribunal militaire dans quatre jours. Il est transféré à Barberousse (aujourd'hui Serkadji, ndlr) sous le numéro d'écrou 6101. Fernand Iveton est condamné à la peine capitale. Le 3 décembre 1956, le pourvoi en cassation est rejeté.
L'avocat Joe Nordmann est envoyé de Paris par la CGT pour le défendre. Smadja au condamné : «Il faut que l'opinion en France se saisisse de votre sort… Le problème c'est que les communistes sont divisés.» Hélène reçoit une lettre anonyme : «Sœur, tu peux aller où tu veux, tu es protégée. Lis cette lettre et déchire-là.»
Fernand apprend en prison la mort de son frère Maillot. Il est écrasé de douleur
L'aube. Il est bientôt cinq heures. Il est tiré de sa cellule. Mitterrand et les autres ont refusé sa grâce. «Tahia El Djazaïr !» Des voix et des chants lui répondent.
Le greffier lui demande s'il a quelque chose à dire : «Ce qui compte c'est l'Algérie, l'avenir, l'Algérie sera libre demain, et l'amitié franco-algérienne.» Les femmes hurlent à leurs fenêtres, soutenant les détenus. Youyous, chants patriotiques. Les avocats sont là : «Tu meurs à cause de l'opinion publique», lui dit l'avocat Lainné. Il est 5h10, ce 11 février 1957, lorsque la tête de Fernand Iveton, n° d'écrou 6101, 30 ans, tombe.
Fabrice Henry : «Iveton était en avance sur son temps»
«On a découvert le roman de Joseph Andras et l'histoire de Fernand Iveton alors qu'on travaillait sur une autre pièce. Jusque-là on ignorait tout de l'affaire Iveton. On est entré dans la guerre d'Algérie par le roman de Joseph Andras.
A l'école, on ne nous a pas parlé de cette guerre ou si peu», nous a affirmé le jeune metteur en scène. Et d'ajouter : «J'ai 28 ans, à peu près l'âge de Joseph Andras et de Fernand Iveton au moment où il est exécuté, un homme qui portait un idéal, cette idée qu'Européens et musulmans puissent vivre ensemble sur une même terre.
Pour lui, qui était né dans un quartier populaire d'Alger, c'était normal. Iveton était en avance sur son temps. Aujourd'hui, un fossé se creuse en France mais aussi en Algérie.» Et aussi : «Cette histoire nous pose un questionnement sur ce qu'on peut faire pour changer la société. Quel moyen nous reste-t-il ? Les moyens d'action se réduisent.
On est dans une mentalité où c'est chacun pour soi.» Fabrice Henry reprend une phrase de Fernand Iveton qui le «marque beaucoup», celle par laquelle il dit que la mort c'est une chose, l'humiliation entre profondément sous la peau. «Cela raconte toute l'histoire des peuples opprimés là où ils se trouvent.
Les humiliations sont présentes au quotidien en France.» Et de nous dire aussi que «par notre théâtre, nous voulons dire que nous ne devons pas oublier ces gens qui ont lutté pour un idéal d'humanisme, de tolérance et de fraternité». «Nous aspirons à lever les clichés, les préjugés, les méfiances et les cloisonnements».
Le collectif Satori, créé il y a trois ans (lire ci-contre), travaille en effet à ce que son théâtre puisse se jouer partout, être vu, entendu de tous. C'est en ce sens que ses membres souhaitent de tout cœur pouvoir jouer la pièce en Algérie. Et nous aussi. Elle raconte aussi l'histoire des Algériens.
Les Algériens, particulièrement les jeunes, sauront ainsi que le combat pour l'indépendance de l'Algérie était aussi porté, bien qu'en minorité, par des Européens et des juifs d'Algérie — à l'exemple de Daniel Timsit, pour ne citer que cet Algérien, mort avec l'Algérie chevillée au corps et au cœur —, qui, tous rêvaient d'une Algérie plurielle fraternelle.
L'affaire Iveton est une leçon d'humanité, d'ouverture sur l'autre et de tolérance. Un exemple.

* De nos frères blessés, tirée du roman de Joseph Andras (2016), mise en scène de Fabrice Henry, production Collectif Satori. 15 dates du 20 février au 10 mars 2018, du mardi au samedi à 19h au théâtre des déchargeurs (Paris).


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