Les magistrats exerçant à la cour de Béjaïa ne s'impliqueront ni dans la préparation, ni dans le déroulement des élections présidentielles du 4 juillet prochain, dont les chances de la tenue s'amenuisent considérablement. Ils l'ont fait savoir la matinée de ce mercredi 17 avril à travers une déclaration lue par un de leurs représentants dans la cour même de l'institution judiciaire en présence de dizaines d'avocats qui observaient un rassemblement. «Si la situation demeure dans son état actuel, nous n'encadrerons pas les élections présidentielles prévues pour le 4 juillet et nous boycotterons toutes les tâches en relation avec elles jusqu'à ce que la volonté du peuple soit respectée» a déclaré Bouklida Mouloud, le magistrat qui, l'avant-veille, avait refusé de présider une commission administrative chargée de l'ouverture de la révision exceptionnelle des listes électorales au niveau d'une des communes de la wilaya. «J'ai refusé cela clairement» informe-t-il, confirmant l'inconfortable position des autorités qui n'arrivent pas à installer ces commissions communales, boycottées aussi par les maires, et à assurer les opérations de révision et de préparation du scrutin contesté du 4 juillet. «S'il est dans l'intention de certains d'instrumentaliser la justice pour qu'elle donne au monde extérieur une certaine vision et des impressions par le fait que les élections sont organisées sous l'égide de la justice, alors ils se trompent» dénonce le magistrat qui s'est exprimé au nom de ses collègues dont il ne donne pas le nombre. Mais l'on sait que le 11 mars dernier, certains hommes et femmes de la justice se revendiquant du Club des magistrats ont rejeté publiquement l'élection prévue une première fois pour le 18 avril avant qu'elle ne soit reportée. «Nous sommes les juges de la République, enfants de ce peuple, dont nous prononçons des jugements en son nom. Nous nous exprimons aujourd'hui pour le soutenir. Il est temps que nous prenons une position franche en sa direction. Il est temps d'activer sur le terrain la maxime qui dit «Au nom du peuple», pour qu'elle ne reste pas de l'encre sur du papier. Il est temps d'activer le rôle du juge dans la société» a clamé le juge qui a appelé le reste de ses collègues sur le territoire national à un sursaut d'orgueil, à être «courageux» et à briser leur silence. Pour lui, il s'agit d'aller au-delà du «mur du silence» avec cette métaphore qui traduit un état d'esprit perceptible dans ces moments de rébellion, ou d'affranchissement de la tutelle : «je transperce le mur du silence comme transperce un avion de combat le mur du son». «Où êtes-vous magistrats de la Cour suprême et du Conseil de l'Etat ? » «Aujourd'hui, il n'y a aucune utilité pour le devoir de réserve, il ne lui reste aucun sens face à notre peur du devenir du pays. L'Algérie attend aujourd'hui de chacun de nous une position honorable, dont l'objectif est seulement l'intérêt du pays» dit-il. Le message est destiné à tous les magistrats, dans la diversité de leurs rangs : «De la capitale de la Soummam et des Hammadites, je vous interpelle là où vous êtes, mes chers collègues magistrats à travers toutes les cours de justice du pays, y compris nos collègues de l'administration centrale au ministère de la Justice sans exception. Je vous invite à intervenir pour le triomphe de la justice et du droit et ne prêter oreille qu'à la volonté du peuple algérien. Où êtes vous juges de la Cour suprême et du Conseil de l'Etat, l'Algérie a besoin de vous ? Il nous faut écouter le cri de nos consciences, soyez courageux. D'ici, je vous dis, et l'histoire témoignera de ce jour, que l'intérêt du pays est en dessus de toute considération». Le monde de la magistrature vit sa propre révolution dans le sillage du mouvement populaire qui fait vibrer pacifiquement la rue. La famille des magistrats prend conscience de l'importance de se mettre au diapason de la rue et de ne pas rater ce «virage historique». «Notre sortie aujourd'hui n'a pas été facile» confie le juge la matinée de ce mercredi. Convaincu que le peuple «est le maître de la décision», il assure que «nous devons lui laisser la chance de pratiquer sa souveraineté sur les institutions». «Le peuple a décidé de récupérer sa souveraineté à travers un référendum populaire qui a eu lieu dans la rue, sous le regard du monde entier. Je suis tranquillisé sur l'avenir du pays tant que son peuple tient à son unité et prêt pour la servir. Que tout le monde sache que le juge est la voix du peuple et que sa robe est celle du peuple» considère-t-il. En se rebiffant de la sorte, les magistrats de Béjaïa revendiquent leur indépendance, qui est garante de l'indépendance de la justice, et réclament «un Haut conseil à la magistrature qui soit au niveau qu'il faut». «Nous voulons jouir d'une magistrature indépendante et intègre en laquelle tout le monde aura confiance. Nous voulons la séparation entre les pouvoirs, une Algérie libre, indépendante et démocratique, un Etat où le droit soit souverain» revendiquent-ils par la voix de leur représentant.