Le compte à rebours est lancé. Plus que 5 semaines avant le début des épreuves du bac. Un bac sous un climat de révolution populaire inédit. Depuis le 22 février, le soulèvement populaire contre le système en place ne faiblit pas. Blocage des routes, pluie, chaleur, Ramadhan… rien ne décourage les manifestants. C'est donc rythmée par le hirak que se dérouleront les épreuves du baccalauréat 2019, prévues du dimanche 16 au jeudi 20 juin, soit entre la 17e et la 18e semaines consécutives de marches pacifiques. Une situation inédite qui a d'ailleurs poussé les parents d'élèves à demander à ce que les examens du 3e trimestre soient décalés, et ce, pour les trois cycles. Une requête à laquelle le ministère de l'Education nationale a répondu favorablement. Selon Abdelouahab Guelil, chef de cabinet dudit ministre, cette décision a été prise suite à la demande des parents d'élèves ainsi que dans un souci de mieux organiser les épreuves du 3e trimestre et celles de fin d'année. Ainsi, le premier jour du baccalauréat blanc aura finalement lieu dimanche prochain. L'ultime chance pour tenter de remonter sa moyenne. Celle du 2e trimestre n'étant, pour beaucoup, pas très encourageante. C'est le cas de Redouane, 16 ans, candidat au bac : «Lors du 1er trimestre, j'ai à peine eu la moyenne. Malheureusement, je n'ai pas réussi à l'avoir pour le second. J'ai essayé de faire des efforts et suivre des cours particuliers, mais cela n'a pas porté ses fruits.» Idem pour Nazim, son camarade : «Il faut avouer que je n'ai pas beaucoup forcé pour le second trimestre. Ce qui me rassure et me pénalise en même temps est de me dire que seuls les résultats de l'examen final comptent.» Redouane et Nazim ne sont pas des cas isolés. Ils sont nombreux à ne pas avoir atteint la moyenne escomptée. Et chacun a ses raisons. Samira, une maman de 40 ans, confie : «Ma fille passe son bac bientôt. Il est vrai que jusque-là, j'étais à cheval sur ses révisions. Mais depuis quelque temps, et vu la situation que traverse le pays, je suis très distraite. J'ai donc lâché prise. Cela s'est répercuté sur les résultats scolaires de ma fille.» Constat : les résultats du 2e trimestre sont donc globalement non satisfaisants pour un grand nombre d'élèves. Comment peut-on expliquer cela ? Pour Meziane Meriane, coordinateur national du Cnapest, cette baisse de moyenne peut avoir plusieurs causes, dont le manque d'assimilation des leçons qui peut résulter d'une mauvaise transmission des connaissances. D'ailleurs, cela expliquerait la demande grandissante pour les cours particuliers. Nombreux sont ceux qui ont recours à ces cours car ils n'assimilent pas les leçons en classe. Mais la responsabilité est partagée entre élèves, en manque d'intérêt pour les études, et enseignants. Selon Bachir Hakem, enseignant et syndicaliste, les enseignants sont eux-mêmes non motivés car leur statut ne leur permet pas de progresser, en plus du fait que beaucoup manquent de formation. Le syndicaliste pointe également du doigt les parents. Selon lui, beaucoup sont démissionnaires vis-à-vis de leurs devoirs pédagogique et éducatif, les résumant à payer des cours particuliers à leurs enfants. Autre raison évoquée par Meziane Meriane : les méthodes d'évaluation utilisées lors des différents contrôles. Bachir Hakem ajoute que les programmes posent également problème. Ces derniers n'étant pas adaptés au niveau des élèves. La surcharge dans les classes constitue également une cause non négligeable. Les autorités ont d'ailleurs été interpellées à de nombreuses reprises sur la question, mais le problème persiste. Même les chalets mis en place dans plusieurs établissements n'ont pas arrangé la situation. Au contraire, cela a provoqué un tollé auprès des élèves et leurs parents, jugeant cette solution de «bricolage». De son côté, Habib Tiliouine, professeur-chercheur à la faculté des sciences sociales de l'université d'Oran 2 et directeur du Laboratoire Processus éducatifs et contexte social (Labo-PECS), explique que cette baisse de moyenne pourrait être liée à la quantité des apprentissages que les élèves sont appelés à assimiler durant cette période. «En plus, le 2e trimestre est plus court que le 1er. C'est aussi la période de l'hiver où les conditions climatiques sont plus difficiles. Surtout dans les Hauts-Plateaux et les lieux où les moyens de transport et les classes adéquates manquent», ajoute-t-il. Selon lui, des évaluations scientifiques plus pertinentes restent à accomplir pour mieux cerner cette situation. Si le compte à rebours est lancé à presque un mois de l'examen final, de nombreux parents sont perplexes quant aux résultats de leurs enfants. Souad, maman d'un jeune lycéen, témoigne : «Jusque-là, j'étais apolitique. Ce domaine ne m'intéressait pas. Mais depuis le début du soulèvement populaire, je suis H24 branchée sur les infos. Je guette les news sur les réseaux sociaux. C'est également le cas de mon mari et de mes enfants. Je suis donc moins derrière de mon fils en ce qui concerne ses révisions. Lui, constatant mon laisser-aller, ne fait pas plus d'efforts. Et cela ne présage rien de bon.» En effet, si les étudiants sont très impliqués dans le hirak, les adolescents, notamment les futurs bacheliers, ne sont pas en reste. Chaque vendredi, ils sont des milliers à sortir dans la rue, exigeant, comme leurs aînés, le départ du système. Mais concrètement, est-il possible, pour les candidats au bac notamment, de concilier révisions et implication dans le hirak ? Meziane Meriane souligne : «Ce qu'il est important de mentionner est que la marche du vendredi se prépare au préalable. Ces enfants vivent dans des cités et des villages et sont donc automatiquement plongés dans le bain. Il y a tout un mouvement d'ensemble pour préparer les vendredis. Entre banderoles et discussions concernant les slogans, tout cela prend du temps. L'étudiant peut se le permettre contrairement à l'adolescent.» Pour le syndicaliste, c'est là que les parents ainsi que les psychologues des lycées entrent en jeu afin d'avoir un rôle prépondérant dans la préparation du baccalauréat. Pour lui, l'enfant doit être sensibilisé sur l'examen de fin d'année afin de lui faire comprendre que l'obtention de son bac est prioritaire. Une fois à l'université, il pourra faire de la politique à sa guise. De son côté, Nabil Ferguinis, porte-parole du Satef de Béjaïa, fait une analyse assez précise de la situation. Selon lui, l'école algérienne n'étant déjà pas attractive pour les élèves, ces derniers ne ratent aucune occasion pour la fuir, a fortiori quand il s'agit d'actions d'«utilité publique» comme l'actuelle mobilisation populaire que connaît le pays, pour laquelle même les plus âgés souhaitent, en leur for intérieur, la participation massive des citoyens, donc des jeunes et des adolescents. «Ces derniers s'investissent dans cette lutte, parfois au détriment de leurs devoirs scolaires», assure-t-il. Pour lui, les parents ont donc un rôle essentiel à jouer pour que leurs progénitures axent beaucoup plus leur attention sur leurs études sans pour cela les empêcher de participer aux marches, par exemple. «En conclusion, disons que la conciliation serait sans dommages avec une participation très mesurée au hirak», soutient-il. Un avis partagé par Bachir Hakem qui estime que la révolution est devenue l'espoir de tous les Algériens et a permis aux élèves d'être conscients de leurs droits et cherchent tous à être acteurs de cette nouvelle Algérie en marche. «Le hirak se fait le vendredi, jour de repos pour les élèves. Au final, beaucoup s'absentent du cours particulier du vendredi après-midi, ce qui n'est pas très grave étant donné que de nombreux enseignants se sont adaptés en changeant leurs horaires. Donc, le hirak est beaucoup plus un stimulant pour les élèves qu'un handicap», soutient-il. Même avis pour Habib Tiliouine, qui fait la comparaison entre universitaires et candidats au bac. Le chercheur explique que malgré le fait que beaucoup d'étudiants universitaires ont préféré poursuivre leurs cours normalement et réserver les vendredis et les mardis aux actions du hirak, d'autres trouvent dans le hirak et le Ramadhan l'occasion pour déserter l'université. «Ces derniers préfèrent (pour éviter l'année blanche) peut-être réserver une partie de juillet ou septembre pour les cours de rattrapage», explique-t-il. Mais cela ne s'applique évidemment pas aux candidats du bac, car ils sont tenus de respecter strictement les échéanciers des examens, des concours, des inscriptions universitaires, etc. Donc ces jeunes doivent, selon le chercheur, rester concentrés sur leurs études, car toute perte de temps peut mener à la déperdition. «Les adultes qui entourent ces jeunes doivent être vigilants et doivent soutenir et écouter ces enfants sans les réprimer. Ils peuvent par exemple les impliquer dans le hirak en rédigeant des slogans, des caricatures, et même s'ils insistent, les accompagner aux marches du vendredi après-midi», conclut-il. Quel est l'impact de cette situation sur le rendement des élèves ? Sachant que la qualité de l'apprentissage scolaire, connu dans le jargon scientifique sous l'appellation «acquisition scolaire» est intimement lié aux conditions dans lesquelles se déroule l'action pédagogique. A cet effet, Habib Tiliouine estime qu'un climat de stabilité, de sérénité et de confiance aidera mieux les apprenants à se concentrer sur les tâches scolaires et gardent leur moral élevé pour favoriser une meilleure réussite scolaire. «Dans cette perspective, les événements récents que vit le pays créent un climat peu favorable à une bonne scolarité», explique-t-il. Ces événements peuvent, selon le chercheur, désorienter tous les membres de la famille éducationnelle : parents, enseignants, gestionnaires et pas que ! Ces événements peuvent également réduire le temps scolaire ainsi que le niveau opportun de motivation requis pour la réussite aux examens. Ceci est accompagné d'un climat d'incertitude, de rumeurs, de désinformation, qui d'habitude caractérise le développement de toute situation sociopolitique. Pour le chercheur, il faut surtout que l'administration scolaire crée un organisme de veille qui réponde à toute action de désinformation. Finalement, le chercheur recommande d'accompagner les élèves et éviter de semer le désespoir. Selon lui, ces événements doivent être compris comme des lueurs d'espoir pour bâtir une Algérie forte qui respecte l'intelligence de sa jeunesse. Vu la situation exceptionnelle que vit le pays, un seuil des cours est-il envisageable ? Pour Meziane Meriane, il n'y a pas lieu de revenir à l'ancienne méthode de seuil de cours. «Que l'on laisse nos enfants réviser toutes les leçons étudiées afin d'avoir un bon bagage de connaissance pour l'université», exige-t-il. Que tout le monde se rassure, étant donné qu'il n'y a pas eu beaucoup d'arrêt, les heures ratées peuvent être rapidement compensées. Selon Nabil Ferguenis, et à en croire le témoignage de plusieurs enseignants, les programmes ne connaissent pas de retard notable, «quoique les grèves initiées par les élèves précédemment ont un peu freiné la progression dans les cours. Retard rattrapé depuis», assure-t-il. De plus, le hirak n'a pas de rapport direct avec l'avancement des programmes, puisque les marches ont lieu le vendredi après-midi. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées contre le nouveau gouvernement de Bedoui, le jugeant illégitime. Le ministère de l'Education, à sa tête un nouveau ministre, est-il apte à organiser les épreuves du baccalauréat ? Pour Bachir Hakem, le nouveau ministre, qui a accepté ce poste malgré la non-reconnaissance de toute la population, a perdu toute crédibilité, même vis-à-vis des syndicats. «Le bac de 2019 est le bac de tous les risques si une solution n'est pas trouvé à la crise», assure-t-il. Selon lui, la décision d'avancer la date du bac blanc n'est pas logique. «Celle-ci ne s'explique pas et prouve que tout le gouvernement veut se débarrasser le plus tôt possible des élèves et cela a un rapport direct avec le hirak», ajoute-t-il. Un avis partagé par Nabil Ferguinis qui explique que lorsque tout un peuple exige le départ inconditionnel de tout le système politique en place, on ne peut guère parler de légitimité. Il explique : «La raison veut que le baccalauréat ne soit pas organisé par le ministère de l'Education avec à sa tête un homme faisant partie d'un gouvernement rejeté par le peuple. Mais alors dans ce cas, il faudrait aussi refuser de passer les examens universitaires, ceux d'entrée dans des écoles supérieures, ceux de magistrats, ceux d'ingénieurs des mines, et j'en passe, au motif qu'ils sont organisés par des secteurs chapeautés par des ministres illégitimes.» Pour le syndicaliste, cela reste du ressort du peuple car il est dangereux, immoral et inopportun de se détacher de lui. «Peut-être que cette initiative de boycotter les examens sera une carte de plus à jouer par ce mouvement citoyen pour contribuer à faire tomber ce régime», conclut Nabil Ferguinis. Meziane Meriane a un tout autre avis sur la question. A cet effet, il souligne : «Le ministre de Education était le secrétaire général de ce même ministère. Séparons donc la légitimité de la préparation du baccalauréat.» Selon lui, on peut ne pas être légitime, du fait que le mouvement réclame la dissolution de tout le gouvernement du Premier ministre installé par une dictature, mais avoir les capacités et l'expérience pour organiser le baccalauréat, et c'est peut-être le cas pour le secteur de l'éducation.