Les bureaux de sondage, à la sortie des urnes, donnent Kaïs Saïed nouveau président de la Tunisie. Il devancerait largement l'autre candidat Nabil Karoui. Le taux de participation définitif a dépassé les 50%. La Tunisie connaîtra officiellement, aujourd'hui, en fin de journée, ou demain matin, son nouveau Président. Selon les sondages hier à la sortie des urnes, c'est l'universitaire indépendant Kaïs Saïed qui est le grand vainqueur de cette élection âprement disputée. La ferveur citoyenne a été, cette fois, plus sensible que lors du 1er tour et des législatives. «Les Tunisiens accordent toujours beaucoup d'importance au poste de président de la République, malgré le régime politique, plutôt parlementaire», souligne le député réélu, Mustapha Ben Ahmed. Le taux de participation était déjà à 39% à 15h30, 10 points de plus que les législatives de dimanche dernier, à la même heure. Le boucher, le marchand de légumes et le concierge parlent de leur évaluation des deux candidats à la présidentielle et des perspectives politiques en Tunisie. De telles réactions se sont désormais renforcées et traduisent que ces citoyens sont convaincus de la liberté d'expression et de l'importance de leur voix. Cette évolution a, surtout, marqué la période post 15 septembre 2019, date du 1er tour de l'élection présidentielle. Le peuple avait alors compris, de manière tangible, que ses choix comptaient ; les tenants du pouvoir ont perdu, aussi bien les islamistes d'Ennahdha que le chef du gouvernement Youssef Chahed. Hier, et contre toute attente, les citoyens sont sortis nombreux pour choisir le résident de leur République. Ils ont voulu, semble-t-il, affirmer davantage le choix exprimé lors du 1er tour. Ferveur populaire Et alors que les électeurs étaient nombreux dans les bureaux de vote, ce sont les observateurs qui ont manqué à leur tâche. Ainsi, alors que l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) assure avoir délivré 34 000 badges d'observation pour les représentants des deux candidats, 19 000 pour Saïed et 15 000 pour Karoui, les appels ont fusé, de toutes les régions, concernant l'absence d'observateurs. L'ISIE assure, par ailleurs, avoir délivré plus de 10 000 badges aux observateurs de la société civile, notamment l'UGTT, I Watch, Mourakiboun et Atide. La membre de l'ISIE, Hasna Ben Slimane, a expliqué que «la présence de ces observateurs ne dépend pas de l'ISIE mais des organismes desquels ils dépendent». Les Tunisiens avaient hier à faire le dernier choix entre deux finalistes, à savoir l'universitaire Kaïs Saïed et le magnat des médias Nabil Karoui. Le gros du contingent populaire semble se diriger vers Kaïs Saïed. Côté évaluation des deux candidats, diverses interviews et, surtout, leur face-à-face de vendredi soir ont déjà donné des aperçus clairs sur les deux personnalités. Ainsi, le psychiatre, le Dr Soufiane Zeribi, développe cette lecture de la personnalité du fort probable président, Kaïs Saïed. Il le connaît de très près. «Kaïs part de l'hypothèse que la loi, imposée par le haut, a peu de chance d'être respectée, à l'opposition d'une loi, qui émane de la base, à la manière du Contrat social de Rousseau.» Le Dr Zeribi ajoute que «Kaïs sera, probablement, le premier président tunisien qui demandera au peuple tunisien de réfléchir à son avenir et qu'il est là pour l'aider.» Concernant le penchant politique de Kaïs Saïed, le Dr Zeribi assure que Saïed n'est «ni un salafiste ni un nahdhaoui, mais juste un musulman respectueux de la religion, sans excès ni fanatisme». Le Dr Zeribi conclut en disant : «Kaïs Saïed est un homme foncièrement honnête, cultivé, lecteur assidu et ouvert à tous. Il parle à tous, sans exception. Ce n'est ni un dictateur en germination, ni un extrémiste de la pensée, ni un néo-agitateur de gauche.» Avis partagés Le candidat Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounes, est un magnat des médias. Nabil Karoui se dit lésé par son arrestation, depuis le 25 août dernier, pour une affaire de blanchiment d'argent et de fraude fiscale. Il n'a été libéré que mercredi dernier, 9 octobre. Deux chaînes de télé, Nessma TV et El Hiwar, ont, néanmoins, défendu Karoui, tous ongles dehors. Selon le journaliste Noureddine Hlioui, «l'élection de Nabil Karoui protégerait le processus démocratique en Tunisie, puisque il dispose d'un bloc parlementaire de 38 députés et il va s'entourer d'une équipe de technocrates de haute facture». Hlioui insiste, surtout, sur «la protection de la modernité en Tunisie», sous une éventuelle présidence de Karoui, qui va sûrement œuvrer dans le processus de formation du prochain gouvernement. Au-delà du résultat, le processus démocratique en Tunisie évolue et les Tunisiens sont désormais conscients de l'importance de leur voix pour décider de l'avenir de leur pays. Résultats des législatives : 70 recours déposés Quelque 70 recours ont été déposés contre les résultats préliminaires officiels des élections législatives du 6 octobre en Tunisie, a indiqué le président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Nabil Baffoun, lors d'une conférence de presse tenue hier à Tunis, rappelant qu'aujourd'hui est le dernier jour pour l'introduction des recours. S'exprimant par la même occasion au sujet du rapport des observateurs de l'UGTT sur les législatives, dévoilant plusieurs cas de distribution d'argent aux électeurs, de viol du silence électoral, mais aussi les appartenances politiques des membres de plusieurs bureaux des instances régionales de l'ISIE, M. Baffoun a affirmé que l'Instance a réagi de la manière requise. «L'ISIE se réfère, dans ses activités, aux rapports préparés par 1200 agents assermentés, chargés de contrôler le déroulement de l'opération électorale. Elle a pris plusieurs décisions sur la base de ces rapports, dont le transfert de dossiers au ministère public et l'application des dispositions de l'article 143 de la loi organique relative aux élections et aux référendums, pour annuler totalement ou partiellement des listes lors des élections législatives», a t-il souligné. R. I.
