Entre autres détournements de sens des réalités que la tragédie nationale tend à faire inscrire dans l'opinion algérienne, on a celui de représenter les Chinois activant en Algérie comme de simples agents d'une fourmilière remportant de fabuleux marchés du bâtiment. Assurant même, ces artisans stakhanovistes, des heures supplémentaires, de nuit, chez des particuliers de notre nouvelle nomenklatura d'argent ou/et de la bureaucratie, des tâches de fignolage de céramique et autres ciselages de finition. Ce que ne dit pas la légende des rumeurs sur nos coopérants - parce qu'ils travaillent infiniment plus qu'ils ne parlent -, c'est qu'ils portent vivace en leur mémoire une philosophie, le taoïsme, dont la sagesse éclaire par exemple : « L'idiot auquel on montre la lune va regarder le doigt. » Ils n'ont pas oublié les camps de rééducation infligés à des dizaines de millions de leurs compatriotes par la dictature maoïste, et sont conscients des affres actuelles du nouveau capitalisme sous la férule du parti communiste. En plus de bâtir des centaines de milliers de logements aux Algériens, on aimerait tant qu'ils éclairent nos foyers de leur sagesse et de leur résistance contre l'adversité qui ne cesse de frapper la nation. Par exemple, ce qu'ils pensent sur le massacre encore de quatorze citoyens, à Larbaâ, aux portes d'Alger, ce début de semaine, le jour même anniversaire du second mandat de M. Bouteflika qui nous assure que le projet d'amnistie générale est comme une fetwa forçant à l'avenir meilleur l'Algérie abritée par nos amis chinois. En attendant, il faut gommer des réalités, et donc de la mémoire, ce « ça » qui crève les yeux : l'événement est la yadjouz dans les agendas des médias audiovisuels gouvernementaux ; et il est filtré dans les colonnes de seulement quelques journaux qui n'ont pas encore baissé la garde. Noyé l'évènement entre de « bonnes » nouvelles de contrats d'hydrocarbures et autres challenges d'Orascom Telecom. Un traitement qui à la longue réduit l'horreur de la barbarie intégriste à son tout petit sens, voire à pas du tout. On ne sait pas encore comment l'amnésie généralisée va indiquer à nos concitoyens du Sahara à montrer du doigt des caravanes sauvages de bolides du prochain rallye Paris-Dakar roulant à infernale vitesse, ni le sens que les Targuis en donneront. Le ministre du Tourisme, M. S. Kara, a jubilé cette semaine en annonçant le retour du cirque. Voilà un bon produit de couverture pour les télés occidentales et nos médias.
