Rompant le silence qu'il s'est imposé depuis sa dernière sortie publique l'automne dernier, le chef de file des réformateurs a plaidé, lors d'une conférence-débat organisée à Alger par la Confédération des cadres de la finance et de la comptabilité (CCFC), sous le thème « Privatisations, préalable et/ou conséquences de la mondialisation » pour « un modèle global de modernisation » pour l'Algérie. Critique envers les politiques suivies jusque-là depuis son départ de la tête de l'Exécutif, Mouloud Hamrouche est formel : « Il faut qu'on cesse de mentir à soi et à se voiler les yeux. » « L'Algérie, dit-il, n'est pas en mesure d'entamer sa marche vers une économie de marché. » Et d'ajouter : « Beaucoup d'intérêts inavoués se sont ligués contre toute réforme. Nous avons perdu beaucoup de temps. L'ouverture a été pervertie faisant de l'Algérie un pays hors réforme et hors globalisation. » Pour le conférencier, le manque d'instruments de régulation économique et sociale et les passe-droits annihilent toutes les initiatives. La quête d'investissements étrangers devient un leurre », dit-il, alors que les privatisations, de son avis, « n'ont jamais été un choix idéologique ou politique, mais un choix managérial pour que les entreprises soient plus performantes ». « Il faut les mettre hors des intérêts mal acquis », a-t-il martelé. Alors que les compétences nationales s'expatrient vers des économies dynamiques, selon M. Hamrouche, l'Algérie est devenue « un pays de non-système où toute démarche est combattue ». Pour l'ancien chef du gouvernement, la loi sur la monnaie et le crédit, votée début 1990, « était inscrite dans une logique d'ouverture économique et a institué le contrôle ». « Après le départ de mon gouvernement, a-t-il indiqué, le pays a commencé à retrouver les pratiques informelles. » Si pour Hamrouche, la réorganisation des banques publiques visait à leur donner plus d'autonomie, les pratiques de non-droit ont, selon lui, « accéléré leur déliquescence ». Et d'enchaîner : « C'est ainsi que des banques privées ont étés créées, gérées puis liquidées en dehors de cette loi (90-10). » Plus incisif, il assène : « Les banques algériennes ne sont pas des banques. Si à l'époque, elles étaient ligotées politiquement, actuellement, elles sont sous une tutelle encore plus féroce ! » A propos de la convertibilité du dinar, M. Hamrouche trouve la question « déplacée » dans un pays où, selon ses dires, le système financier n'existe pas. Et d'ironiser : « Pour savoir la valeur de notre monnaie, il faut aller aux places boursières de Port-Saïd, Sétif, etc. » allusion au marché informel de la devise. A propos de l'informel - ou trabendo -, M. Hamrouche a indiqué que son équipe avait proposé à l'époque son intégration dans le formel. Interrogé sur le programme complémentaire de soutien à la relance économique de 55 milliards de dollars, Mouloud Hamrouche a repris à son compte les réserves émises par l'ambassadeur de l'Union européenne à Alger, Lucio Guerrato, qui s'est exprimé peu auparavant au même endroit, en ajoutant : « C'est une enveloppe importante qui donne l'impression que le pays redémarre, alors que c'est faux ! » Et de conclure : « Le système ne fait qu'exporter l'épargne des Algériens et les recettes pétrolières du pays. » Mouloud Hamrouche trouve, par ailleurs, peu importante la question relative à la privatisation, ou non, de Sonatrach, « dans un environnement, dit-il, qui ne reconnaît pas la compétition » et « face à un pouvoir qui est dans l'informel ». Sur sa lancée, il a estimé que l'adhésion de l'Algérie à l'OMC n'apportera rien de nouveau. « Dans 15 ans, la situation du pays, dans les conditions actuelles, ne sera pas meilleure, pour ne pas dire autre chose », a-t-il lâché. Interrogé sur la question du pouvoir en Algérie et ce qui est appelé communément « la guerre des clans », Hamrouche a eu une réplique imagée : « L'Algérie est le pays de Cervantès et son mythique homme qui se bat contre des invisibles, ainsi que par un autre mythe, celui de Sisyphe et son rocher. » « Nous sommes dans un mouvement éternel », a-t-il signifié.