On ne refait pas l'histoire, mais on peut la faire revivre », disait le directeur du Centre des Archives nationales, jeudi lors du débat de la troisième et dernière journée du colloque international sur la Suisse et l'Algérie colonisée. A elle seule, cette phrase résume parfaitement l'esprit des intervenants qui ont partagé avec l'assistance les sentiments et les émotions vécus pendant la guerre d'Algérie. Parmi ces témoignages, celui d'un imprimeur suisse, Henri Comaz. Sa sympathie pour la cause algérienne a débuté avec l'édition de documents durant la guerre, avant d'accueillir des combattants grâce à son épouse. « Elle était prête à ouvrir sa porte pour accueillir ceux qui se battaient pour leur indépendance et nous avions décidé de ne plus fermer à clé la porte de notre appartement », précise l'imprimeur. A son épouse et à toutes les femmes, il rend un vibrant hommage : « Si les hommes ont pu faire un travail efficace, c'est grâce à leurs sœurs, leurs femmes, leurs mères... », et d'ajouter un « merci les femmes », fort applaudi par l'assistance. Jean Mayerat intervient à son tour pour raconter ce qu'il a ressenti durant cette lutte et comment il y a participé. Il était passeur de journaux. C'est ainsi qu'il a apporté une pierre à l'édifice en permettant à des Algériens, loin de leur pays, de lire El Moudjahid. Il a été arrêté un jour qu'il transportait 700 exemplaires camouflés dans du matériel de camping, accompagné de son épouse et de ses enfants. Ce grand ami de la famille de Ali Boumendjel s'est retrouvé emprisonné à Besançon, avec des militants algériens. Non pas des intellectuels et des dirigeants, mais des ouvriers. Ce qui attire l'attention de Mayerat, en premier lieu, c'est leur parfaite organisation. « Ils avaient une attitude de citoyens, par la force de conviction de leur lutte et de son issue ». Dès le premier matin, il est invité à participer à une cérémonie, en hommage aux combattants et victimes de la guerre d'indépendance. Il écoute Qassamen avec une grande émotion. Il se souvient aussi du petit tribunal qui gérait les conflits entre prisonniers, où pour une insulte, la sentence se résumait à une gifle. L'unité n'était jamais en faille. « La pression historique et le projet du peuple algérien ont permis au FLN d'avoir une unité exemplaire et une telle conscience », dit-il avant de préciser que dans cette prison, on ne parlait jamais de religion. « On envisageait une Algérie sociale et laïque, la religion étant une affaire personnelle », explique-t-il avant de préciser que cette lutte visait une liberté totale. D'où, selon lui, la nécessité de faire triompher ce qui est favorable au peuple, mettre de côté l'individualisme égoïste. Mais « il faudra beaucoup de temps pour que les travers de l'homme disparaissent et pour qu'on réalise les idéaux pour lesquels on s'est battu », conclut-il. Le témoignage de Baya Laribi est certainement le plus émouvant de tous. En quelques mots, elle raconte son parcours d'activiste à Alger, comment elle est montée au maquis, a subi la torture et a fait une formation de sage-femme en Suisse. Mais ce qu'elle garde comme souvenir vivace, c'est le courage des femmes campagnardes, leur tendresse et leur dévouement pour la lutte. Baya El Kahla, comme on l'appelait au maquis, a connu l'Algérie, région par région, à travers ses camps et ses prisons. Elle se souvient encore des visages de ses bourreaux et de chacune de leurs paroles. Elle refuse de leur pardonner leurs atrocités, mais elle semble ne rien regretter de son long et difficile parcours. Elle insiste, cependant, pour que les jeunes d'aujourd'hui aillent vers les combattants d'hier, les vivants, notamment les campagnardes, pour que la mémoire soit reconstituée. A cet effet, le directeur du Centre des archives nationales lance un appel à tous ceux qui ont en leur possession des documents historiques. « Qu'ils nous permettent d'y accéder, sinon la mémoire restera incomplète », dira-t-il.