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« Ourida, ma petite sœur »
Florence Beaugé. Auteure
Publié dans El Watan le 20 - 09 - 2005

Florence Beaugé, auteure d'Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d'une enquête (éditions Calmann-Lévy) revient pour El Watan, depuis le témoignage de Louisette Ighilahriz, sur cinq ans de recueil de témoignages et de révélations pour le journal le Monde sur la pratique de la torture et des exécutions sommaires par l'armée française pendant la guerre de Libération nationale. Un livre écrit avec sensibilité, honnêteté et sans jugement de valeur.
Pourquoi avoir écrit ce livre ? La publication des enquêtes dans le Monde n'était-elle pas suffisante ?
Des questions importantes m'étaient sans cesse posées : Massu a-t-il réellement eu des regrets ? Pourquoi Aussaresses m'a-t-il parlé ? Pourquoi n'ai-je révélé le passé de Jean-Marie qu'en 2002 alors que je le connaissais bien avant ? Même chose pour le passé du général Schmitt dont j'ai eu connaissance dès décembre 2003. Je n'aurais pas pu dire tout cela dans Le Monde, faute de place. Cela m'a paru susceptible d'être intéressant pour des lecteurs. Il fallait aussi prendre date. Je sentais que ce retour de mémoire en France qui s'était produit à partir en juin 2000 commençait à s'éparpiller et qu'on disait des inexactitudes. Je voulais que dans dix, quinze ans on se souvienne de la chronologie des faits, comment ils se sont enchaînés. L'article sur Louisette Ighilahriz a été un élément déclencheur. La suite de mon travail sur la guerre d'Algérie n'a plus rien eu à voir avec elle. Le livre non plus, pas directement, en tous les cas. Ce travail m'a beaucoup apporté, beaucoup touchée, j'y ai laissé quelques plumes, mais je ne regrette rien.
Votre famille avait-elle un rapport avec la guerre d'Algérie ?
Plusieurs membres de ma famille, oncles et cousins, ont fait la guerre d'Algérie, mais ne m'en ont jamais parlé. En revanche, ils ont suivi avec passion mes enquêtes, et encouragée. C'est mon beau-père, un ancien militaire, qui m'a mise en rapport avec Louisette Ighilahriz. Il avait reçu en 1999 une lettre qui avait mis 20 ans à lui parvenir. Elle avait en fait été envoyée, par erreur, à son frère André qui avait oublié de la lui retransmettre, et quand André est mort, sa veuve a découvert dans un tiroir cette lettre qui venait de Yamina Ighilahriz, la sœur de Louisette. Yamina réclamait à mon beau-père, qu'elle avait connu autrefois au Maroc où il était officier des affaires indigènes, son aide pour essayer de retrouver le sauveur de Louisette, le commandant Richaud.
Comment votre beau-père a reçu ce livre ?
Il est en train de le lire. Je suis sûre qu'il va l'apprécier. Mes enquêtes lui ont cependant fait perdre de nombreux amis qu'il avait gardés dans le milieu militaire. Ces gradés ont pensé qu'il m'inspirait, ce qui était faux. Mon beau-père ne m'a ni inspirée ni demandé quoi que ce soit. Ce que j'ai fait, je l'ai fait de ma propre initiative, avec les encouragements du directeur de la rédaction du Monde Edwy Plenel.
Qu'est-ce qui vous a le plus éprouvée dans le déroulement de vos enquêtes ? Qu'est-ce qui a été le plus difficile ?
Ce qui m'a le plus éprouvée, c'est de découvrir, en Algérie, la souffrance des rescapés, et, en France, de voir à quel point cette souffrance est ignorée et niée, et avec quelle violence on m'a accusée de « salir l'honneur de l'armée française », de me faire « le porte-parole du FLN », d'être « manipulée par le pouvoir algérien », de vouloir « remuer la boue pour rien ». L'expression « pour rien » me scandalisait parce que derrière cette expression il y avait des gens qui, de l'autre côté de la Méditerranée, vivent avec leur souffrance, leurs non-dits. Le sujet reste explosif en France, bien qu'infiniment moins qu'il y a cinq ans.
Et comment votre famille proche a-t-elle réagi ?
J'ai reçu son soutien au début, ensuite du bout des lèvres, et à la fin, je me suis heurtée à une hostilité sourde, je l'avoue dans le livre. Les miens ne m'en voudront pas trop de le dire, puisque mon livre porte sur les dessous d'une enquête. Mes proches ont eu peur pour moi. Pas pour eux. Surtout quand il s'est agi de faire ressurgir le passé de Jean-Marie Le Pen, car alors je m'en prenais à l'extrême droite. Et ensuite, quand il s'est agi de faire ressurgir le passé du général Schmitt, ancien chef d'état major des armées françaises. Les difficultés que j'ai rencontrées se sont donc doublées du fait que ma famille proche ne me soutenait pas, par souci de me protéger.
Cela prenait trop de place dans votre vie de famille...
Cela prenait beaucoup de place certainement dans ma tête ! Ces cinq dernières années, j'ai vécu avec une toile de fond qui était la guerre d'Algérie et les atrocités commises par une partie de l'armée française. Je me réveillais avec ce dossier. Je m'endormais avec lui ! Toute l'armée française n'a pas torturé, mais la quasi-totalité des Algériens qui ont été arrêtés ou interpellés ont été torturés. En France, on a du mal à comprendre cela. De même qu'on a du mal à admettre que la torture n'a pas commencé en Algérie en 1954, mais bien avant. Deux enquêtes m'ont paru encore plus dures que les autres, l'une sur les viols, et l'histoire de Mohamed Garne, ce Français par le crime comme il se définit lui-même, né d'un viol collectif de sa mère quand elle avait quatorze ans, dans l'Ouarsenis. Je n'ai jamais rencontré, contrairement à ce que dit Jean-Marie Le Pen, d'Algériens qui se vantent d'avoir été torturés. C'est vraiment méconnaître les traumatismes physiques ou psychologiques des rescapés. Les faire parler, c'était à la fois les blesser et les rendre presque coupables. Quand vous me demandez si j'ai été éprouvée, il faut toutefois relativiser les choses, je dirai que leur souffrance est devenue la mienne.
Comment expliquez-vous ce silence sur les viols en Algérie, sujet tabou aussi bien en Algérie qu'en France ?
Le tabou n'est pas de même nature en Algérie et en France. En Algérie, les femmes victimes de viol sont considérées finalement comme coupables, alors qu'en France elles sont reconnues comme victimes. Si en France, ceux qui se sont laissés entraîner pendant la guerre d'Algérie dans des viols ne veulent pas en parler, c'est parce que la honte est la plus forte, parce qu'en France le viol est considéré comme l'abomination la plus grande que puisse subir une femme. La souffrance d'une femme, qu'elle soit musulmane ou non, est rigoureusement la même, simplement le regard que la société porte sur elle n'est pas tout à fait le même.
Vous parlez de vos « frères » et « sœurs algériens ». Qu'est-ce qui fonde cette fraternité ?
C'est l'admiration que j'ai pour eux. Cela m'est venue spontanément. Le jour où j'ai écrit le passage sur la mort et les derniers mots de Ben M'hidi, je n'ai pas pu dormir pendant une nuit. Aussaresses m'avait révélé comment cela s'était passé. Je n'ai pas donné beaucoup de détails parce que je trouve que cela ne sert à rien, il fallait réussir à trouver un ton juste, qui ne soit pas malsain, qui ne soit pas voyeuriste. Le paragraphe sur la mort de Ben M'hidi est très bref. Cela se passait dans une ferme de la Mitidja. Ils étaient six parachutistes, Aussaresses compris, dans une salle. Ben M'hidi était dans une pièce à côté. Ils ont répété la scène, ils ont passé une corde autour d'un tuyau de chauffage suspendu au plafond. L'un des paras est monté sur un tabouret, a passé la corde autour de son cou, mimant la scène à venir, et cela a provoqué un fou rire général. Rien que la précision est obscène, mais il fallait la dire. Ensuite, ils ont fait rentrer Ben M'hidi. Ils ont voulu lui bander les yeux. Ben M'hidi a refusé. Le para qui était chargé de lui mettre le bandeau autour des yeux lui a dit : « C'est un ordre. » Et Ben M'hidi a répliqué : « Je sais ce que c'est que les ordres, je suis colonel au sein de l'ALN. » Ce qui voulait dire que l'on peut passer outre les ordres. Aussaresses a maintenu qu'il voulait qu'on lui mette le bandeau. Je pense pour ma part que ce sont eux qui ne supportaient pas de voir son regard. Ils l'ont pendu, la corde s'est cassée. Ils se sont repris une deuxième fois et là, je n'ai pas cherché plus de précisions, j'ai simplement demandé à Aussaresses si Ben M'hidi n'avait plus rien dit jusqu'à la fin. Et, en effet, il n'a plus rien dit. Avant que mon livre ne sorte, je m'étais promise d'appeler la famille Ben M'hidi et lui dire ce qui s'était passé, je ne voulais pas que les proches de Ben M'hidi l'apprennent par le livre. C'est ce que j'ai fait. Je me sens proche de Larbi Ben M'hidi. Il était mon frère. Ali Boumendjel également. C'est ma famille algérienne, ma famille élargie. Ourida Meddad aussi est ma sœur. Ourida est la première personne à laquelle mon livre est dédié. J'ai eu envie que son histoire soit connue en France, qu'en Algérie on sache que des Français ne l'ont pas oubliée. Je veux que sa famille sache qu'elle n'est pas morte pour rien, qu'on la salue.
Qu'est-ce qui vous a émue dans Ourida Meddad ?
Le fait qu'elle soit si jeune, le fait qu'il y ait un doute autour de sa mort. S'est-elle suicidée en se jetant par la fenêtre, ou est-ce qu'on l'a poussée ? Je sais qu'en Algérie, pour sa famille, pour ses amis, ce genre de chose compte, parce que les mémoires sont tellement meurtries qu'elles sont toutes à vif. Pour moi, cela reste un geste héroïque. Si Ourida s'est jetée par la fenêtre, pour moi, c'est exactement comme si on l'avait poussée, cela n'a aucune importance. Cette adolescente a été brûlée au chalumeau, torturée dans une école, sa mère est morte de chagrin six mois plus tard, son père en est mort quelques années plus tard, souhaitant qu'une de ses petites nièces porte le nom de Ourida, ce qui est le cas.
Vous attendiez-vous à découvrir toutes ces horreurs ?
A ce point-là, absolument pas. Je pensais en 2000 qu'il y avait eu des bavures pendant la guerre d'Algérie. Au fur et à mesure, j'ai découvert que cela dépassait ce que j'avais pu imaginer, et que tous ceux qui avaient dénoncé ces exactions à l'époque avaient eu raison, mais c'était le secret des conjurés. L'armée gardait le couvercle sur le chaudron en attendant que le dernier témoin disparaisse. Je suis journaliste, pas historienne, et j'en ai tout à fait conscience, mais au moins depuis juin 2000 on a levé un coin du silence. Il faut dire la vérité pour tirer les leçons du passé. Le devoir de vérité est, à mes yeux, plus important encore que le devoir de mémoire.


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