Des travaux du sociologue Abdelmalek Sayad sur l'immigration, on connaît essentiellement Un Nanterre algérien, terre de bidonville et L'immigration ou les paradoxes de l'altérité. On retrouve les caractéristiques et le cadrage, les axes et les orientations au travers desquels Sayad a affiné ses recherches et travaux dans sa publication posthume, La double absence, préfacée par Pierre Bourdieu. Nous empruntons à Aïssa Kadri les extraits suivants de sa communication « L'histoire des bidonvilles » : « Ce qu'il (Sayad) apporte de nouveau, c'est particulièrement l'idée que l'objet immigration est un objet dominé qui correspond à un statut scientifique dominé, mineur. De ce point de vue, je le cite de mémoire : “La recherche sur l'immigration ne vaut que ce que valent les immigrés.” Cela exprime bien cette idée centrale de la domination dans laquelle lui-même était, qu'il vivait tant du point de vue de la construction de son objet immigration que de ses rapports institutionnels. Ses recherches sur le sujet montrent plusieurs choses et aboutissent à des conclusions incontournables pour penser les faits migratoires. Elles partent d'un constat qui paraît aller de soi aujourd'hui mais qui n'avait pas été outre mesure pris en compte, à savoir qu'on ne peut étudier l'immigration si l'on n'étudie pas l'émigration, c'est-à-dire les conditions sociales, économiques, culturelles, politiques, du contexte propre aux différents groupes sociaux qui prévalent dans la décision de s'expatrier. L'autre idée importante, c'est d'étudier l'immigration algérienne comme une “immigration exemplaire” et il faut relire le texte et son explication de l'exemplarité entendue comme “exemplarité, non pas au sens d'exemple donné à toutes les autres immigrations, mais à nulle autre pareille”, comme il le précise. Je dirais, pour le reprendre, une immigration atypique, exceptionnelle, qui sort de l'ordinaire, mais qui contient la variété de toutes les autres. Il étudie cette immigration à travers sa genèse, en montrant très bien les différences entre ces moments générationnels de l'immigration et, en premier lieu, les caractéristiques sociologique de la “noria” ; l'immigration générationnelle comme mode de génération, mais aussi comme diversité des itinéraires et des trajectoires sociales, rapportés aux transformations dans les sociétés rurales de départ. Il construit ainsi sa sociologie des trois âges de l'immigration en approfondissant chaque question que l'immigration pose : celle des papiers et de la résidence, de la naturalisation, du logement, de la maladie, du troisième âge, du nationalisme, de la politique et de l'Etat... » Aïssa Kadri témoigne que Abdelmalek Sayad « avait une façon exceptionnelle de dire l'immigration algérienne, une observation très fine et très nuancée de l'intérieur. On aurait pu croire qu'il vivait quotidiennement avec les personnes dont il rendait compte, qu'il connaissait comme des membres de sa propre famille. Il avait le projet, me disait-il à un moment, d'écrire quasiment un roman sur le modèle d'Oscar Lewis dans Les Enfants de Sanchez, une saga familiale de migrants. Il a apporté beaucoup à une sociologie et à une compréhension de l'immigration de l'intérieur mais qui ne sacrifiait pas à l'objectivation. Proche des gens, disponible pour les étudiants, il était extrêmement sensible à la fois à cette évolution algérienne et au regard politique porté sur l'immigration, regard qui se durcissait dans les décennies quatre-vingt et quatre-vingt dix ». Pour sa part, l'historienne Laure Pitti relève que « l'absence des ouvriers algériens dans le champ de l'histoire contraste avec la voie ouverte par Abdelmalek Sayad dans celui de la sociologie, notamment avec le rapport de recherche qu'il consacra aux OS immigrés de Renault en 1986, recherche de fait plus particulièrement centrée sur les OS algériens, comme en témoignent les entretiens qu'Abdelmalek Sayad reproduit dans son rapport ». Ce rapport s'intitule « Condition d'immigré et condition d'OS : les effets mutuels de l'une sur l'autre et leurs effets mutuels sur la relation au travail ». Dans ce rapport, Sayad constate combien « l'histoire de l'immigration algérienne en France », « l'histoire du travail dans l'industrie de la construction des automobiles » et celle « du recours à la main-d'œuvre immigrée » sont liées.
