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La mémoire «hors la loi»
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Publié dans El Watan le 07 - 10 - 2010

«Wo der Anteil sich verliert, verliert sich auch das Gedächtnis» (Une partie se perd et c'est toute la mémoire qui est perdue)
Johann Wolfgang von Goethe
L 'occasion de la projection du film de Rachid Bouchareb, dans plusieurs salles de cinéma en France, El Watan, du 23 septembre 2010, titrait en grosse manchette : «Hors-la-loi, le film qui dérange». Il continue donc de déranger, des mois après la clôture du Festival de Cannes. Pourtant, le film retrace l'histoire romancée d'une famille algérienne à travers le destin de trois frères, et non pas l'histoire de la guerre d'Algérie, comme le laissent supposer les contestataires qui avouent, en même temps, qu'ils ne l'ont même pas vu. Alors pourquoi ce film déchaîne-t-il les passions ? Sur les 2 heures 17 minutes de son long métrage, l'auteur consacre à peine 6 minutes à un fead-back de cadrage historique sur les évènements de Sétif.
Cela a suffi pour lancer 1500 manifestants, essentiellement du Front national, ralliés par quelques pieds-noirs et harkis, sur les pavés de Cannes où il était nominé. Du jamais vu. Une surpolitisation outrancière d'un évènement artistique aussi prestigieux que le Festival de Cannes. C'est la première fois que l'Etat et la politique (l'armée française, le Secrétariat aux anciens combattants, le ministère de la Culture, le Parlement,…) sont saisis, et réagissent, directement ou indirectement, autour d'une activité jusque-là réservée aux seuls patrons de l'illustre festival. En fin de compte, le film a eu la publicité que son auteur lui-même n'aurait jamais osé espérer. C'est le plus grand prix qu'un cinéaste puisse rêver pour son film hors des murs du festival.
Le gain ne va pas seulement à l'auteur, en bénéfices financiers et moraux surtout, il va aussi à l'Algérie, dont l'histoire et le combat passé s'imposent de nouveau sur la scène internationale après une éclipse et l'image négative qui lui ont été imposées par les douloureux évènements de l'avant-dernière décennie. A leur insu, les prétendants victimaires, qui ont manifesté contre le film, ont suscité la curiosité du monde du cinéma sur les évènements de Sétif, Guelma, Kherrata de 1945 ; cela d'autant que cette date correspond exactement à celle qui est célébrée par le monde libre dans sa totalité, à commencer par l'Occident et l'Asie, en passant par l'ex-Europe de l'Est. Tout le monde s'intéresse à cette date, parce que tout le monde a souffert de la Seconde Grande Guerre, sauf le colonialisme qui a fait souffrir son monde.
Les Algériens en ont souffert, dans leur chair et dans leur âme, pendant près d'un siècle et demi. Le petit peuple des pieds-noirs en a souffert lors de la guerre et lors de la tragédie du «rapatriement» mal accueilli en France. Le peuple français de Métropole, épris d'humanisme progressiste, aussi en a souffert de voir ses enfants mourir pour une cause qui n'était pas la sienne. Les quelques minutes d'histoire, dans le film, sont venues à contre-sens du nouveau climat négationniste instauré par les «nostalgériques» de la loi du 23 février 2005. Le bref rappel d'une histoire douloureuse, aussi furtif soit-il, dérange les consciences qui se sont assoupies sur une réécriture idéologique et politique de l'histoire. «Cachez-moi ces massacres que je ne saurais voir», semble dire le député de l'UMP des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca, meneur de la campagne. Aux dernières nouvelles, Bouchareb «risquerait» d'être poursuivi pour plagiat de scénario par deux plaignants.
Les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata
Les historiens sont unanimes aujourd'hui. La manifestation de la victoire sur le nazisme, organisée par les Algériens un peu partout, à l'instar des autres peuples, et qui a allumé la mèche à Sétif, était autorisée. Les manifestants «indigènes» étaient pacifiques et sans armes, arborant plusieurs pancartes glorifiant la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe, mêlées à d'autres où l'on pouvait lire : «Libérez Messali», «Nous voulons être vos égaux» ou «A bas le colonialisme» et «Vive l'Algérie libre et indépendante». Une revendication légitime, dans la suite logique de la promesse faite à Ferhat Abbas. On lui avait assuré que les musulmans entrés en guerre ne resteraient pas «privés des droits et des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants de ce pays». L'accusation colonialiste de pronazi, lancée contre les Algériens après les évènements, ne pouvait pas tenir, d'autant que Messali El Hadj, malgré son exil, soutenait le Front populaire en France et la République en Espagne, même pendant l'ère de Vichy.
Au fond, c'est le drapeau aux couleurs vert et blanc frappées d'un rouge croissant étoilé, au milieu de ceux des Alliés, celui de la France compris, que le colonialisme ne pouvait tolérer. Les Algériens le savaient, mais ils étaient rassurés. Le choix messaliste des «petits pas» leur évitait la confrontation trop brutale, pensaient-ils ; et ils en avaient la preuve. Quelques jours auparavant, à l'occasion du 1er Mai, le PPA avait organisé des manifestations pacifiques, sans armes, dans tout le pays, en brandissant pour la première fois le drapeau algérien. Grosso modo, les manifestations s'étaient passées dans le calme, sauf à Oran et Alger où il y eut affrontements avec la police suivis d'une répression brutale faisant plusieurs morts.
Malgré cela, les manifestants, ce jour-là, n'avaient même pas envisagé un plan de retraite ou des caches pour se protéger en cas de besoin et encore moins d'armes pour se défendre. Ils étaient dans l'ambiance de la liesse mondiale. A la vue du drapeau algérien, le commissaire Olivieri tente vainement de l'arracher des mains de Aïssa Cheraga, le chef de patrouille des Scouts musulmans d'Algérie qui le tenait haut hissé. Pour éviter qu'il ne tombe par terre, après l'intervention musclée du commissaire, le jeune Bouzid Saâl s'empare alors de l'étendard pour le hisser encore plus haut. C'est à ce moment qu'un policier tire son arme et l'abat à bout portant, sans somation, un geste que seuls le matraquage colonialiste et la haine qu'il vouait aux «indigènes» pouvait expliquer. S'en suivent des tirs d'autres policiers, et c'est le début des massacres et de la confusion.
En réaction, quelques manifestants, en colère, s'en prennent à des Européens dont on sait que le nombre de victimes, blessées plus que mortes, était nettement inférieur à celui des Algériens tombés la matinée. Au lieu de rétablir l'ordre en contenant les deux parties, les autorités, civiles comme militaires, ont opté pour une réponse que tout le monde condamne chez les Alliés présents en ce moment en Algérie, et partout dans le monde, là où les faits ont été rapportés. Et même en France, aujourd'hui, enfin. Toute la puissance de feu de l'armée coloniale sera mise à contribution : aviation, marine, blindés, tirailleurs, légion étrangère, gendarmerie, police. Parmi la communauté des pieds-noirs, des milices ont été levées, armées et lâchées contre des Algériens, manifestants ou non, qui n'avaient même pas prévu ce cas de figure pour se protéger et encore moins se défendre.
Les instincts barbares les plus enfouis dans l'humanité, qui rappellent les tentatives génocidaires du début de la colonisation, ressurgissent. C'est l'horreur indicible perpétrée par le pays des droits de l'homme contre une population infra humanisée, dominée, asservie et sans armes. Le bilan officiel s'élève, côté colons, à 102 morts et 110 blessés. Côté algérien, pour les morts seulement, le chiffre dépasse certainement les quarante mille (40 000), contenus dans le rapport du Consul général américain en poste à Alger, à l'époque, qui n'avait pas tous les moyens pour évaluer exactement les massacres aux allures exterminatoires perpétrés sans relâche par l'une des armées les plus puissantes du monde contre une population complètement démunie, vivant uniquement du rationnement, pendant près de deux mois, à travers tout le Constantinois jusqu'en Kabylie.
Et pour couronner leur «haut fait d'armes», les autorités coloniales organisaient, à chaque fois que possible, des cérémonies d'humiliation où les Algériens devaient se prosterner et leurs notables baiser les bottes du général sur la place publique, à Constantine, en guise de soumission. Le colonialisme venait de montrer le seul chemin qui restait au peuple algérien pour arracher son indépendance. Ferhat Abbas, le plus modéré des modérés qui a failli être exécuté à cause des évènements, n'aura plus d'illusion désormais. Le PPA, deux ans plus tard, fera de l'organisation spéciale (OS), créée en 1944 et confinée jusque-là dans la collecte de fonds, une organisation paramilitaire. Elle enfantera le glorieux FLN/ALN historique qui, contraint, s'est radicalisé à la hauteur de la radicalisation coloniale, quitte à forcer la main au père du nationalisme algérien Si El Hadj (Messali).
Certains historiens pensent que ces évènements ont marqué le début de la guerre d'indépendance, en précisant qu'ils ont installé les deux communautés dans la peur et la violence. Il serait plus juste de parler de reprise de la guerre, car si cette dernière semble avoir été gagnée en faveur de l'occupant sur les premières résistances, elle n'a jamais réellement quitté les cœurs, des deux côtés. Avant la peur, il y eut la haine, l'humiliation, l'asservissement, le viol, la spoliation, cultivés sur plus d'un siècle. Avant les évènements, la peur était dans un seul camp, celui des «indigènes», après les évènements, elle s'est progressivement étendue à l'autre camp.
Deux approches françaises contradictoires se profilent ?
Ce ne sont certainement pas les scènes du film Hors-la-loi qui ont fait courir les manifestants contre le film, puisqu'ils ne l'avaient pas encore vu, ni un discours ou insinuations antifrançaises qu'il dégagerait parce qu'il n'en comporte guère. Les animateurs, officiels comme le député Luca, ou officieux moins médiatiques, de l'évènement qui n'en fut pas un, auraient fait rire par leur ignorance de l'histoire, n'était la gravité du sujet. Leurs arguments se résumaient à la prétention que Bouchareb aurait indûment accusée l'armée et la police française d'exactions exagérées, en même temps qu'il aurait escamoté les victimes du côté européen et la sauvagerie du FLN. Or, les évènements de Sétif se sont déroulés en mai 1945, neuf ans (9 ans) avant le lancement de la lutte armée.
Par contre, les activités de l'OS, qui lui donnera naissance plus tard et qui jusque-là s'occupait de collecte de fonds seulement, seront étendues à la collecte d'armes en préparation à d'éventuelles actions futures. Les évènements tragiques ont convaincu les Algériens, y compris ceux qui vivaient en familles partagées et avaient des enfants mixtes et qui pouvaient donc légitimement rêver d'un futur réconciliateur, qu'il n'y avait vraiment rien à attendre du colonialisme. En dépit de la tragédie, une telle décision n'interviendra qu'en 1947. Sur ce sujet, les victimaires ont beau multiplier les stratagèmes, l'histoire est devenue chaque jour un peu plus transparente.
L'attitude de ce mouvement victimaire est symptomatique de la peur de la vérité. Que la vérité se sache, voilà qui pourrait entraver la politique néocolonialiste actuelle. Sa peur est grandissante à mesure que la pression sur la France augmente. Les arguments, qui consistent à dire que la grandeur passée de la France et son rôle civilisateur est incompatible avec la repentance qu'on lui exige, expriment en fait la peur des coupables de la colonisation de la véritable grandeur de la France des droits de l'homme, de la démocratie et de la décolonisation, parce qu'ils perdront à mesure que cette France-là s'affirme. La France, qui a reconnu les affres de Vichy, saura assumer le colonialisme de peuplement, et l'Algérie victorieuse saura pardonner.
Des nations, avant elles et non des moindres, USA, Allemagne, Italie, Japon, Canada, Australie et d'autres encore, ont présenté humblement leurs excuses à leurs victimes de l'histoire. Elles s'en sont sorties grandies et plus fortes. Leurs ennemis d'hier sont devenus leurs meilleurs partenaires. La France a entamé, elle aussi, le chemin, timidement. Le 27 février 2005, lors d'une visite à Sétif, Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France à Alger, qualifie les «massacres du 8 Mai 1945» de «tragédie inexcusable». Son successeur, Bernard Bajolet, a déclaré à Guelma, en avril 2008, devant les étudiants de l'université du 8 Mai 1945 que le «temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie est terminé. Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé».
Voilà qui augure de belles perspectives de reconnaissance pour une réconciliation mémorielle. Les Algériens ont eu la patience de supporter le joug colonial pendant près d'un siècle et demi avant de s'en débarrasser le moment venu. La reconnaissance des méfaits de ce même colonialisme par l'Etat français ne saurait tarder autant. Entre-temps, les affaires ne sauraient en pâtir pour les intérêts mutuels des deux Etats méditerranéens souverains.


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