Claude Simon est mort cet été (sa saison préférée) en juillet. Claude Simon ? Qui est-ce ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Qui connaît Claude Simon ? Très peu de gens. C'est-à-dire les vrais fanatiques de la vraie littérature (la vraie vie, selon Proust) complexe, charnelle, physique et dont la structure suit les méandres de l'histoire, de la mémoire qui s'enroule et se déroule sur elle-même d'abord, mais qui nous engloutit ensuite d'une façon terrifiante tel un boa qui s'enroule autour de sa victime. En fait, très peu de gens connaissent cet auteur prodigieux. Et il m'est souvent arrivé dans les universités françaises de découvrir que les étudiants en post-graduation ne connaissent même pas son nom... En effet, Claude Simon est français ! Il m'est aussi souvent arrivé de constater dans les universités américaines que des étudiants en P.H.D. ou des thésards ne connaissent même pas le nom de Faulkner. Edifiant mais vrai. Et si je cite Faulkner à propos d'un article concernant Claude Simon, c'est que la parenté entre les deux hommes est fondamentale. Claude Simon est né en 1913 à Tananarive (Madagascar), presque par hasard. Après des études d'ingénieur à Paris, il est tout de suite happé par la Deuxième Guerre mondiale qu'il vivra comme un cauchemard et une horreur. Très vite arrêté par les Allemands pendant la débâcle française, il subira une autre horreur : les camps des prisonniers de guerre. C'est cette guerre qui fera de Claude Simon un écrivain. Un écrivain qui mettra au centre de son œuvre, l'histoire. Ce sera en fait son seul personnage : versatile. Implacable. Logique. Illogique. Folle. Rigoureuse, Dès sa libération en 1944, il s'installe à Salses dans les Pyrénées Orientales où il va gérer un petit vignoble hérité de son père. Mais passionné d'art, de littérature, de peinture et de photographie (il était un excellent photographe et exposa très peu de fois, surtout à l'étranger ; et c'est un éditeur d'art allemand qui publiera en 1988 son album de photographies. Il s'agit de la maison Rommerskirchen Verlag. L'album de photos sera publié avec ce titre modeste qui ressemble tant à Claude Simon : Album d'un amateur ; c'est à cette époque qu'il achète un petit appartement Place Monge à Paris où il passera régulièrement la moitié de l'année. La modestie. C'est là le mot-clé qui aura guidé Claude Simon et son œuvre durant toute sa vie. Immense écrivain devant Dieu et d'une culture énorme, il sera toujours un élément actif dans la Cité. La Cité des hommes qui l' ont tellement ému. Dès 1936 (il a 23 ans), il s'engage dans la guerre d'Espagne du côté des républicains espagnols en lutte contre le coup d'Etat de Franco. Dès le début de la guerre d'Algérie, il signe le manifeste des 121, virulemment pour l'indépendance de notre pays et contre la guerre coloniale. (avec Sartre, mais pas avec Camus !) Et il en fera de même là où il y a une guerre injuste (les massacres de Madagascar, son pays natal, ceux du 8 Mai 1945 en Algérie, les guerres de Corée et du Vietnam), là où les hommes souffrent. Homme discret. Timide. Effacé. Il était d'une beauté hors du commun. Avec ses immenses yeux bleus toujours humides, il portait le malheur du monde sur ses épaules et dans ses livres. Il ne parlait pas. Il murmurait. Il chuchotait... Malgré son œuvre aussi prolixe que prodigieuse, il était haï par les médias français, à quelques exceptions près. Il les méprisait et méprisait les petits cercles vicieux et viciés du milieu parisien. Médiocre. Sagouin. Corrompu. Ignare. C'est ainsi qu'à la parution des Georgiques (1981) œuvre aussi monumentale que géniale, un écrivain plumitif, médiocre et certainement jaloux, publiera un article venimeux intitulé : « L'idiot du village ». Allusion au fait que faisant partie du groupe du Nouveau Roman, publié aux éditions de Minuit, avec Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et tant d'autres, Claude Simon était considéré comme l'écrivain le plus taré du groupe. Parce que génial ! (A suivre)
