La malchance, autant que le désespoir, est pourvoyeuse d'une incroyable énergie… Cela commence par un retard de 40 minutes. Prévue à 19 h, samedi 30 octobre, à la salle Sierra Maestra à Alger, la générale du monologue Djaâffar Bouzahroune de Mohamed Badawi n'a pas débuté à l'heure. Le spectacle commence par une étrange lumière bleue. L'ambiance est jazzy. Djaâfar Bouzahroun, ou «Jeff la chance », interprété par Abdelkrim Benkharfallah, sort de nulle part. Il a le langage algérois et la démarche algérienne.Il ne cesse de se plaindre et de pleurer sur sa malchance. Cela commence à l'école avec les enseignants qui refusent de le voir. Il aurait voulu être come Réda Einstein, le génie du quartier, mais n'a pas tous les moyens intellectuels. Il aurait voulu être Omar Tinganga, mais ne possède pas le courage nécessaire. Alors, il tente de se faire une raison de vivre et danse avec les rythmes de Stayin' alive des Bee Gees. Il aurait fallu qu'il danse avec les airs, tout aussi célèbres, comme I will survive (je survivrai) de Gloria Gaynor. Pas de chance, pas de courage.Il est fait son service militaire, alors qu'il ne le voulait pas, comme la plupart des jeunes Algériens. «Ils m'ont dit : pour que tu deviennes un homme. Mais qui vous a dit que je veux être un homme ?», crie-t-il suscitant des éclats de rires. Bouzahroun ne veut pas du «garde-à-vous» ni du «à plat ventre». Mais il s'amuse comme un fou avec ce symbole phallique qu'est l'arme à feu. Et, il tire partout. Après l'armée, il papillonne entre plusieurs petit métiers «classiques» : serveur de café, porteur, apprenti mécanicien. Il échoue. Il veut devenir riche en tentant une carrière sportive. Et pourquoi pas footballeur ? Les joueurs de la balle ronde ne sont-ils pas plus riches que les meilleurs des universitaires algériens ? « Mais, j'ai deux pieds gauches en équipe nationale ; ils aiment bien les gens comme moi », lance-t-il.Cela, bien sûr, plaît aux présents. Au fil du temps, tout le monde aura remarqué que les Verts portent bien la bonne couleur ! «Le sachet sur la tête» Djaâfar tente alors la boxe. The eye of the tiger, la célèbre bande originale de Rocky III, envahit la scène. Mais là aussi, ça ne marche pas. Avoir un visa ? Djaâfar aura maille à partir avec un chien, ou peut-être plusieurs chiens. «Mais ils resteront des chiens !», crie-t-il. Djaâfar est embauché dans une entreprise où il tente de travailler sérieusement. Cela est mal vu par le directeur. Dans un pays où la paresse est presque une doctrine, cela est inévitable. Djaâfar sera, en raison d'un accrochage verbal avec son chef, embarqué dans une voiture noire par des inconnus. «Ils m'ont mis un sachet sur la tête et m'ont traité de petit oiseau. Je leur ai dit que je suis Djaâfar, pas le petit oiseau. Ils m'ont frappé…», se plaint-il. Les arrestations arbitraires… Plus loin, Djaâfar découvrira que la réalité n'est pas vraiment cela.D'un humour parfois vif et parfois gras, le monologue de Mohamed Badawi est trop long, au point de devenir à un moment donné ennuyeux. La gestuelle de Abdelkrim Benkharfallah est lourde et la diction est à parfaire. Le comédien est moins convaincant que dans Madame derbouka et le macho, l'autre pièce de Mohamed Badawi. Si les intermèdes musicaux donnent du tonus au spectacle ; ils sont trop nombreux, alourdissant la démarche globale du monologue. Autre chose : Djaffar Bouzahroun tombe, de temps à temps, dans le piège des «lieux communs» comme cette scène dans laquelle le comédien célèbre «el koursi», la chaise, ou cette autre dans laquelle il écrase les œufs dans un panier d'une vieille passagère de bus. Bref, Mohamed Badawi et Abdelkrim Benkharfallah peuvent faire mieux. Ils en ont tout le talent.