Ce papier intervient à la lumière des recommandations émises par le Conseil national économique et social, lors des Premiers Etats généraux de la Société civile tenus au Club des Pins (du 14 au 16 juin 2011) à l'endroit de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, appelant, grosso modo, à une réforme dans le but d'élever le niveau de l'enseignement, à l'école et à l'université, tel qu'on peut en prendre connaissance dans le quotidien L'Expression, dans son édition du 14 juillet 2011. C'est le «traitement des problèmes pédagogiques» qui a retenu toute mon attention et pour lequel j'ai réfléchi depuis une vingtaine d'années déjà, c'est-à-dire depuis ma participation à un stage de sensibilisation organisé par le Centre d'études pédagogiques pour l'expérimentation et le conseil (Cepec International) de Lyon, durant l'été 1991, qui a invité une trentaine de maîtres de conférences algériens pour les édifier sur les grands changements de l'heure et sur les nouveaux comportements à adopter, en matière de pédagogie.Je livre ici les grandes lignes de ma réflexion. En matière de formation, à un moment ou à un autre, il devient primordial de sortir des sentiers battus. La transmission du savoir, et surtout le transfert des compétences, par les méthodes traditionnelles s'est révélée assez médiocre, étant donné les maigres performances obtenues ici et là, quel que soit le chemin parcouru, qu'il s'agisse de suivre un cursus pluriannuel ou, simplement, de lire un ouvrage. Il y a de fait un défaut de communication qui cause ce résultat, par manque de transparence (involontaire). Il est clair que la pédagogie est arrivée à son crépuscule et la profession concernée doit, sans délai, opter pour d'autres méthodes d'enseignement plus communicatives et adopter une autre façon d'écrire les ouvrages scientifiques, en vue de les présenter mieux documentés et plus directifs. En effet, les enseignements n'évoluent guère qu'avec les connaissances à transmettre et les méthodes pédagogiques changent très peu, tandis que presque tous les livres n'atteignent de la part de leurs lecteurs qu'une compréhension partielle de leurs contenus ainsi qu'un faible retour, à moyen et long terme, de la matière qu'ils enseignent. La raison en est simple, et pour se rendre compte de ce dont il s'agit, mettons-nous tout d'abord dans la peau d'un nouveau bachelier qui vient d'être admis dans une école d'ingénieurs, et qui va, à cet effet, tenter d'acquérir un portefeuille de compétences. Par compétence, il faut comprendre un savoir-faire complet qui permet de démarrer, de dépanner ou de remettre en marche une structure donnée (on peut distinguer, à l'école, la lecture, l'écriture, le calcul, et à l'université, un service de comptabilité, une unité de modélisation macroéconomique, et dans un établissement de formation professionnelle, un atelier de mécanique…) Cet étudiant peut réussir brillamment chaque période pédagogique et recevoir son diplôme d'ingénieur en qualité de major de sa promotion et, paradoxalement, ignorer de façon formelle toutes les compétences acquises le long de sa scolarité, dans la mesure où rien n'a été entrepris à temps pour les lui insuffler en toute connivence et les fixer ainsi dans son esprit. En effet, même si ces compétences ont été réellement acquises par cet élève, le fait de ne pas les lui avoir révélées par anticipation et de ne pas avoir ainsi déclenché un système de vigilance qui aurait stimulé durablement sa mémoire, il s'en est suivi une sorte d'amnésie. En vérité, toutes ces compétences resteraient «enfouies quelque part dans son subconscient... ». Il faut, donc, appliquer une mesure préliminaire. En effet, le résultat serait tout autre, si, dès la première année, juste avant le début des enseignements et en guise de phase préparatoire, on affichait aux étudiants les compétences visées et leur imbrication ainsi que le programme détaillé de leur acquisition. Ce stratagème servirait non seulement à mettre l'élève-ingénieur en situation de veille pour qu'il s'assure de l'acquisition de ces compétences durant les différentes périodes pédagogiques que comporte son cursus d'ingénieur, mais encore de rappeler, si besoin est, à son administration que telle ou telle compétence n'a pas été transférée dans les règles de l'art. Cette nouvelle technique pédagogique interviendrait dès la détermination des profils de formation. Pour mieux comprendre, considérons une grande école de management qui vise deux profils de formation. Le premier s'adresserait à l'efficacité du cadre économique (le management de l'entreprise) et tandis que le second serait axé sur la performance du cadre administratif (le management public). S'agissant, pour le premier profil, de la formation de grands décideurs dans l'entreprise, il faut savoir que la décision porte sur trois volets : - opératoire : qui consiste en la sélection des niveaux opératoires de l'entreprise (comptabilisation des ressources dans les domaines fonctionnels principaux, planification de l'utilisation des ressources et de leur transformation, prix et niveaux de production, niveaux des stocks, politique de ventes). - administratif : qui consiste en l'établissement de la structure et de la forme de l'entreprise [structurer les ressources de l'entreprise pour les résultats optimaux, acquisition et développement des ressources, problèmes d'organisation (structure de l'information, autorité et circuits des responsabilités), circuit du travail, système de distribution, emplacement des unités de production/vente, financement…]. - stratégique : qui comprend l'établissement de la relation de l'entreprise à son environnement [allocation des ressources totales aux possibilités de l'ensemble produits-marchés, stratégie de diversification, stratégie d'expansion, stratégie administrative et financière, politique de croissance). L'élève suivant le profil (management de l'entreprise) doit savoir, en fin de parcours, intégrer et relier les trois volets, opératoire, administratif et stratégique de la décision en entreprise. Comme pour le profil précédent, l'élaboration du programme de formation en management public doit prendre en considération le fait que l'Etat poursuit trois finalités : - L'Etat organise son cadre institutionnel (fonctionnement de l'Etat, mécanismes de l'économie nationale, réformes administratives…). - L'Etat organise, planifie et régule l'économie nationale (sauvegarde des équilibres macroéconomiques, problèmes de planification, élaboration des indicateurs permettant l'évolution de l'économie et l'estimation des modèles utilisés à des prévisionnels et de simulation de politiques économiques). - L'Etat doit veiller à assurer une plus grande intégration économique et sociale des secteurs et des agents ainsi que de l'économie nationale à l'environnement international (élaboration de politiques sectorielles, évolution à long terme des secteurs et des agents, mise en évidence des données de structure des logiques de comportement des différents acteurs sociaux, tant au niveau de la production et de la circulation que de la consommation des agents, améliorer le mode d'intégration de l'économie nationale à l'environnement international). Cela dit, la mise en œuvre réelle du schéma général (défini en partie par les volets ou les finalités et par l'ensemble des pré-requis que nécessite l'acquisition des différentes compétences) devant être traduit en portefeuille de compétences pour obtenir les profils idoines suppose plus d'investigations de la part des équipes pédagogiques aguerries. Elle nécessite également la collaboration des administrations et des entreprises pour évoquer les situations critiques ou les situations-problèmes de travail et répondre aux compétences exigées, pour assurer la meilleure progression possible des enseignements et coller au plus près avec les débouchés offerts aux sortants.«Il va sans dire que ce qui posera problème, dans cette construction, est la mise en évidence de ces fameuses compétences et de leurs définitions ainsi que la façon de les acquérir.Il devrait en être de même pour la confection de tout ouvrage. Un ouvrage scientifique à vocation appliquée doit désormais recourir à une nouvelle technique pédagogique. Il s'agit, tout d'abord, d'informer les lecteurs de toutes les compétences (préalablement identifiées et largement définies) qu'ils vont devoir acquérir, une fois l'ensemble de l'ouvrage minutieusement étudié et tous les exercices et cas d'applications solutionnés (de façon autonome). A cet effet, la pédagogie empruntée, ici, ne se limite pas seulement à l'exposé théorique des différentes parties qui composent la matière de ce cursus, comme cela peut être observé un peu partout dans les institutions de formation, mais surtout de pousser au contact des situations-problèmes ou situations critiques, préalablement repérées, notamment en privilégiant l'étude de quelques cas qu'il s'agira de théoriser. Elle devra ainsi parvenir à une remontée du contenu théorique et proposer de résoudre une séquence de cas pour guider les lecteurs vers un début de pratique. Cela leur permettra de se familiariser avec les principaux problèmes qui relèvent de la pratique, pour réagir et intervenir en professionnels sur le terrain. Cette approche, par les compétences, permettra de relancer les activités de recherche pédagogique et professionnelle : - Au plan de la recherche : tout d'abord, il s'agira d'identifier et de définir les compétences et les portefeuilles de compétences dans les divers domaines de formation et d'enseignement, et les mettre à la disposition des divers centres de formation (universités, instituts ...). Un tel chantier, sitôt ouvert, progressera prodigieusement et entraînera la remise en question des méthodes pédagogiques traditionnelles, dès que les premières expériences-pilotes seront couronnées de succès. - Au plan pédagogique : ensuite, on devra trouver pour chaque cursus le meilleur agencement des enseignements contribuant efficacement au transfert des compétences, «selon une approche systémique». De même, l'élaboration des divers ouvrages devrait s'inspirer de cette démarche pour informer le lecteur sur les compétences à transférer et de le faire bénéficier de toute l'expérience possible que permet l'état de l'art. - Au plan professionnel : enfin, la définition des postes et profils sera plus aisée, ce qui aura des retombées certaines sur l'emploi et la formation. En effet, si le problème de définition et d'identification des compétences sera progressivement réglé, l'adéquation emploi-formation sera aisément réalisée. Rappelons que pour la formation de mécaniciens, il existe depuis plus de quinze ans déjà une formation par valise pédagogique. Il est à espérer que nos pédagogues vont progressivement renoncer aux méthodes pédagogiques en cours et s'efforcer de rechercher, à l'avenir, la meilleure façon d'allier le traditionnel au moderne, comme seule option alternative. Rappelons que pour la formation de mécaniciens, il existe depuis plus de quinze ans déjà une formation par valise pédagogique. Il est à espérer que nos pédagogues vont progressivement renoncer aux méthodes pédagogiques en cours et s'efforcer de rechercher, à l'avenir, la meilleure façon d'allier le traditionnel au moderne, comme seule option alternative. Que cette idée porteuse vienne à germer dans la tête de beaucoup de pédagogues, alors on pourra assister, à la faveur des réformes à venir, à de grands changements, donnant lieu à une activité de plus en plus intense et peut-être, aussi, frénétique, à l'exemple d'une ville implantée, jadis, non loin d'une mine d'or, qui a permis son développement, et dont le gisement est arrivé à épuisement, provoquant son déclin, tous azimuts, alors qu'un nouveau filon vient d'être découvert, sur le même site, encore plus riche...