Elus, personnalités politiques, militants associatifs, ils étaient nombreux aux côtés de la famille (veuve, enfants, frères et sœurs) à dire adieu à Mouloud Aounit, décédé vendredi 10 août d'une tumeur au cerveau. L'ancien dirigeant du MRAP a été inhumé, jeudi après-midi, au cimetière d'Aubervilliers, ville où il a grandi et toujours vécu. Les consuls d'Algérie à Bobigny et à Nanterre étaient également présents. Paris. De notre correspondante Les hommages et témoignages, unanimes, ont salué un «homme de conviction», «de cœur», rappelant tous les combats qu'il a menés contre toutes les formes de racisme, pour l'égalité des droits, la citoyenneté et l'intégration, pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Plusieurs de ses compagnons de route, depuis la marche pour l'égalité de 1983, aux «sans-papiers» qu'il a soutenus et accompagnés dans leur démarche pour leur régularisation entouraient son cercueil. La Coordination nationale des sans-papiers lui dédie son rassemblement du 1er septembre. La commémoration du 17 Octobre 1961 se fera pour la première fois depuis plus de trois décennies sans sa présence physique. A ce propos, Cherif Oualid, consul d'Algérie de la Seine-Saint-Denis, a rappelé la dernière participation de Mouloud, malade, aux commémorations du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre pour l'indépendance de l'Algérie et des massacres du 17 Octobre 1961. Ardent défenseur du devoir de mémoire «Lui parti, son combat devra continuer», relèvent ses proches. «La dignité, une vertu cardinale qu'il revendiquait pour les autres, tous les autres, de tous les ‘‘sans'' : sans-papiers, sans toit, sans droits», a rappelé une militante du MRAP. «L'image qui s'impose à nous est celle d'un homme généreux, intransigeant sur les valeurs fondamentales», a-t-elle ajouté avant de préciser qu'«il a insufflé un souffle nouveau à l'antiracisme, donné une visibilité et une lisibilité au MRAP, a lutté contre toutes les formes de racisme. Il a donné au MRAP une identité conforme aux enjeux de notre temps.» Il avait aussi combattu l'islamophobie et les intégrismes. Mouloud Aounit a été un inlassable défenseur du devoir de mémoire pour la reconnaissance du crime d'Etat de ce 17 octobre 1961, tout en s'opposant à «toute concurrence des mémoires meurtries et auxquelles il avait porté une égale attention», a-t-il été rappelé. Pour Nacer Kettane, président de Beur FM et compagnon de la marche pour l'égalité de 1983, Mouloud est «une synthèse entre Frantz Fanon et Henri Curiel», et de considérer qu'«il a fait du 17 Octobre 1961 et de sa reconnaissance comme crime d'Etat la pierre angulaire de la réconciliation franco-algérienne». Jack Ralite, maire honoraire d'Aubervilliers, ancien ministre, a rappelé que la vie de Mouloud a été «celle d'un enfant d'une famille algérienne arrivée à Aubervilliers en 1957 dans un deux-pièces, 20, rue de la Commune de Paris – les locataires l'appelaient la Cour des miracles – le papa était menuisier, la maman, avec six garçons et deux filles, avait beaucoup à faire à la maison. La morale de la famille qu'exprimait le père était un profond respect pour les institutions françaises avec au cœur l'école». En 1976, Mouloud Aounit adhère au MRAP. En 1981, il entre au bureau national puis au secrétariat national en 1982 et en devint secrétaire général en 1989. Il fut membre du Conseil national pour l'intégration des populations immigrées en 1993 et membre du Comité consultatif de la Halde en 2005, renouvelé en 2008. Mouloud Aounit avait été élu au Conseil régional d'Ile-de-France de 2004 à 2010, à la tête de la liste présentée par le PCF en Seine-Saint-Denis. Il avait été distingué de l'Ordre national du mérite (en 2000), de chevalier de la Légion d'honneur (en 2003) et reçu le Prix des droits de l'homme (2012). «Le problème du racisme et de son éradication a été central dans sa vie où il rencontra deux accélérateurs de son engagement qui devint irréversible : d'abord la terrible, honteuse et oubliée soirée assassine d'Algériens par la police française du 17 octobre 1961, ensuite la marche des beurs et ses soixante mille participants de Marseille à Paris en 1983», a rappelé Jack Ralite avant de dire que «Mouloud a été et restera une des figures françaises parmi les plus entraînantes et exigeantes de l'antiracisme». Et de préciser que «Didier Daenincks alla jusqu'à créer un personnage du nom d'Aounit dans son admirable Meurtres pour mémoire». Et d'espérer «un geste symbolique» le 17 octobre prochain, que ferait le président de la République qui a salué la personnalité de Mouloud, en exprimant haut et clair la responsabilité de l'Etat français dans le massacre d'Algériens en octobre 1961. Une autre responsable du MRAP dira que Mouloud Aounit voulait que le MRAP soit «la voix des sans-voix», rappelant sa visite au militant anti-apartheid, Mumia Abu Jamal, dans le couloir de la mort, sa lettre aux Afghanes, «Les linceuls ne sont pas faits pour les vivants». C'était avant le 11 septembre 2001, déjà. «La voix des sans-voix » «La meilleure manière de rendre hommage à Mouloud est de continuer à se battre pour toutes les valeurs universelles et républicaines qu'il a défendues dans le respect des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, des droits du citoyen à toutes les libertés dans le respect de la laïcité républicaine sans stigmatisation d'origine culturelle ou religieuse, dans l'égalité de tous les citoyens et citoyennes de nos sociétés. Mon seul regret est qu'il n'aura pas vu la Palestine libre et indépendante ; mais le jour où elle le sera – et je n'en doute pas – on le devra à Mouloud Aounit et aux militants qui nous auront quittés», écrit Leila Shahid, ambassadrice de Palestine en Europe, dans un message lu par Jack Ralite. Jacques Salvator, maire d'Aubervilliers, a signalé son regret que Mouloud ne soit pas du voyage qu'une délégation d'Aubervilliers effectuera prochainement à Bouzeguène, pour un jumelage, puis dans son village natal, Timezrit. Le dernier mot est revenu à sa fille, Manon : «Tu nous laisses une vraie histoire de vie, tu disais : entre le possible et l'impossible il y a le travail.» Rappelons qu'un film qui raconte son parcours, Mouloud Aounit, une marche pour l'égalité, réalisé par Jean Michel Riera et Vincent Geisser, rencontre des difficultés de financement pour son montage.
