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le rêve tunisien entre Ghannouchi et Dream City
Quand les artistes se font «Artivistes»
Publié dans El Watan le 29 - 10 - 2012

Une femme attifée d'une robe blanche aux larges volants circulaires rappelant les derviches tourneurs se dresse au milieu de la grande place de Bab Bhar, aux abords de la vieille Médina de Tunis.
La robe se couvre de petits morceaux de tissus colorés sur lesquels le public est invité à écrire ses vœux. L'œuvre s'intitule à juste titre «l'arbre à souhaits», performance de l'artiste palestinienne Raeda Saadeh. Quelques ruelles plus loin, on peut croiser la danseuse Imen Smaoui exécutant des chorégraphies subtiles en parfaite interaction avec les passants, les commerçants et autres habitants de la vieille cité. Dans une autre venelle, vous pouvez tomber sur des corps figés, sculptures vivantes aux postures étranges, œuvre de l'artiste béninoise, Tobi Ayedadjou. Tobi change sans cesse de costumes. Parfois, elle a les bras entravés, elle simule une chute et n'a cure si, en choyant, elle bloque le passage. Elle affiche un visage faussement impassible, comme figé dans un masque.
Sur les murs, vous pouvez apercevoir des affiches mimant une campagne électorale. Une série de portraits sous les traits desquels on peut débusquer aisément une œillade malicieuse des artistes Mouna Jemal et Wadi Mhiri. Les portraits reproduisent tout le spectre de la société tunisienne, du barbu intransigeant au punk déjanté. Les partis en lice pour cette campagne décalée s'appellent «Facelook» et «Facelike». Sur la place de la Victoire, on est forcément interpellé par cette superbe œuvre visuelle signée Pixel 13, un bulbe géant sur lequel sont projetées des images kaléidoscopiques d'une Tunisie filmée sur le vif, dans ses moindres frémissements.
Le collectif Wanda propose quant à lui un parcours architectural de haut vol sur les toits de la Médina. Après les toits, les sous-sols. Vous vous apprêtez à garer votre voiture au parking de la Kasbah, sous l'imposant bâtiment municipal, et vous tombez nez à nez sur des photographies poignantes du monde carcéral. Et dans l'étage au dessous, vous êtes happé par une énorme cage, elle-même constituée de dizaines de cages d'oiseaux, créant un univers oppressant. L'œuvre est de Hela Ammar, sous le titre «Counfa» (déformation de convoi). Dans le dédale vertigineux de la Médina, au détour d'une impasse, dans les moindres interstices, on peut tomber ainsi sur une vidéo, une lecture, une installation photo, ou encore être chopé par une transe de Stambeli urbain, l'équivalent de notre musique gnawi, agrémentée d'un son jazz-rock, sous la baguette d'une bande de musiciens délurés qui mettront le feu aux poudres.
La république onirique de Dream City
Bref, une quarantaine d'œuvres au total, pour autant d'artistes, dont une dizaine d'artistes étrangers. Bienvenue à Dream City, littéralement la cité des rêves ou bien la ville rêveuse, une biennale pluridisciplinaire dédiée à l'art en espace public, et qui touche à tout : art contemporain, danse, musique, théâtre, cinéma, vidéo d'art, photographie, littérature, performances et autres arts de la rue. Un événement des plus denses, alliant culture et citoyenneté, qui fait fureur en Tunisie depuis quelques années. Cette troisième cuvée de Dream City a eu lieu du 26 au 30 septembre à Tunis et du 5 au 7 octobre à Sfax. C'est la première fois que la biennale s'exporte en dehors de la capitale. Créée en 2007 à l'initiative de deux danseurs, Selma et Sofiène Ouissi (qui sont par ailleurs frère et sœur), Dream City est aujourd'hui une institution, mais sans le côté guindé, politiquement correct, des festivals institutionnels.
De fait, la biennale, il faut le dire, a pris du galon au point de devenir en quelques années l'un des événements culturels les plus courus du Maghreb et du Monde arabe. La particularité de cette troisième édition est qu'elle intervient après la révolution du 14 janvier, les deux premières ayant eu lieu respectivement en 2007 et 2010. Le festival a pour théâtre la vieille Kasbah de Tunis «Comme à chaque édition, Dream City investira la Médina, cœur historique de la ville, pour semer dans les rues, les maisons, sur les places, sous les porches, des œuvres originales et inédites conçues et réalisées selon ce territoire et spécialement pour l'événement» soulignent Selma et Sofiène Ouissi dans le catalogue de la biennale.
Penser l'espace public comme un espace du possible, comme un lieu d'échange et de fête, un territoire utopique et néanmoins tangible, avec, à la clé, nombre d'œuvres créées in situ qui s'imbriquent en une improbable narration urbaine : telle est la recette de Dream City. «Depuis sa création, Dream City fait le pari de la proximité, du territoire, de l'Art pour tous, de la jonction magique entre les catégories sociales. Face à la multiplication des récits, due en partie au processus démocratique, nous devenons des sujets en crise. Nous balançons entre plusieurs récits qui au lieu de cohabiter entrent en conflit. Dream City, dans sa forme finale, juxtapose les créations en des configurations multiples et permet la cohabitation de plusieurs narrations. Nous pouvons être assujettis à plusieurs récits à la fois. N'est-ce pas notre héritage? » écrivent Selma et Sofiène Ouissi.
Un moment «manifestif»
Actualité oblige, la thématique générale de la biennale résonne avec la Tunisie postrévolutionnaire. Dream City 2012 interroge ainsi le destin collectif à travers celui de la communauté artistique sous le thème : «L'artiste face aux libertés». Si monter un événement d'une telle envergure avec très peu de moyens est une gageure en soi, le faire dans une conjoncture aussi difficile lui donne des accents épiques. Quelques éléments de contexte : en juin dernier, en plein Printemps des Arts, des œuvres jugées provocantes (voire «blasphématoires» au goût de certains) ont suscité des réactions très violentes de la part des «salafistes». C'est ce qui est désormais appelé «l'affaire El Abdellia» en référence au palais El Abdellia, à La Marsa, où a eu lieu l'expo. Une ambiance d'hystérie a gagné les milieux culturels. Des listes ont commencé à circuler sur Facebook, avec les noms, téléphones et adresses de nombreux artistes.
Certains recevaient des coups de fil anonymes avec menaces de mort. Après ces événements, d'aucuns se demandaient si cette édition de Dream City allait être maintenue. Deuxième acte : à quelques encablures du vernissage, il y a eu tour à tour l'affaire du film antimusulman qui s'est soldée par deux morts suite à des manifs devant l'ambassade américaine à Tunis, et juste après, l'affaire Charlie Hebdo. D'ailleurs, en se promenant à Tunis, on est frappé par les barbelés et la surveillance militaire accrue entourant l'ambassade de France et l'ambassade des Etats-Unis. Dream City vient ainsi mettre les pieds dans le plat en posant ses chapiteaux dans un espace public âprement disputé, tiraillé qu'il est entre modernistes, islamistes, chômeurs, vendeurs informels et autres blindés de l'armée.
A la clé, un beau moment «manifestif» pour rependre un néologisme cher à Selma et Sofiène. Bon gré, mal gré, les artistes deviennent des « artivistes» (mouvement américain né dans les années 1990 mêlant art et politique). «Quel paradoxe que de dire qu'il est aujourd'hui plus difficile qu'hier d'être artiste en Tunisie !» écrivent Selma et Sofiène Ouissi, avant d'ajouter : «A un moment où les artistes sont menacés jusque dans leur chair, peut-on encore rêver notre monde ? Plutôt que de se lamenter sur leur sort, les artistes de Dream City 2012 répondent à la question de «l'Artiste face aux libertés» par le récit et l'imaginaire. Leurs propositions participatives, contextualisées, sont comme une force de lutte et de réconciliation d'une société fracturée.
Les artistes ont fait le choix de partager leurs codes de création afin de donner tous les outils d'une lecture singulière à chacun et exclure toutes dérives du sens. Le public n'est pas dans «un horizon d'attente» (autour du beau, du geste…) mais participe au sens des propositions artistiques évitant en partie «une possible fracture esthétique» ou une instrumentalisation du geste artistique. Les artistes luttent contre toutes formes de réinterprétation et de ré-information, un des instruments privilégiés de l'ordre dominant».
Pas un sou du ministère de la Culture
La qualité de l'organisation se voit d'emblée. L'équipe de Dream City n'a rien laissé au hasard. Une centaine de jeunes bénévoles font office d'assistants techniques. Ils sont designers, comédiens, architectes, DJ, marketteurs, régisseurs de théâtre, musiciens, artistes-peintres, photographes. Une véritable dream team. La ville rêveuse se dévoile par une signalétique chatoyante et vive, au design soigné. Les œuvres sont organisées en parcours. Trois parcours sont ainsi proposés aux visiteurs, chacun avec une couleur différente : rouge, verte, jaune. Chaque parcours propose un certain nombre d'œuvres et de performances répandues d'un bout à l'autre de la Kasbah. Le visiteur est appelé à choisir un parcours ou plusieurs. Il sera équipé d'un bracelet correspondant au parcours choisi. Il faut cependant signaler que les parcours sont payants. Le tarif est de 7 DT par parcours (400 DA), un point qui a suscité un certain mécontentement.
L'argument des organisateurs est simple : «Nous ne percevons pas un centime du ministère de la Culture» disent-ils. Il faut aussi préciser que toutes les œuvres ne sont pas payantes et nombre de performances sont ouvertes au public. Les visiteurs ont droit à un plan extrêmement minutieux reproduisant la carte de la Médina, avec des points numérotés indiquant l'emplacement des œuvres. Cela donne souvent lieu à un véritable jeu de piste, une sorte de chasse au trésor où les «dreamcitistes», se mêlant aux chalands et autres touristes qui affluent massivement vers les vieux souks, vont à la recherche des niches où sont exposées les œuvres en se frayant parfois un chemin tortueux dans le grouillant labyrinthe.
Un pari intelligent dans la mesure où cela permet aux gens de découvrir la vieille ville qui devient pour le coup une œuvre en soi. C'est surtout le cas de la Médina de Sfax où Dream City a installé ses quartiers après Tunis. La vieille cité sfaxienne est moins cossue que son homologue tunisoise. Elle est entourée de magnifiques remparts. L'initiative a permis ainsi à cette Kasbah décatie de revivre et de connaître une animation inhabituelle, au bonheur des commerçants. La plupart des performances se terminent à 18h. Après, public et artistes se retrouvent pour le «dream-café» où les gens livrent leurs coups de cœur et leur appréciation sur les œuvres qu'ils ont vues, ce qui permet aux artistes d'avoir un feed-back à vif à propos de la perception et de la réception de leurs créations.
Des «rêveurutionnaires» patentés
Force est de constater qu'en dehors de l'espace onirique et ironique de «Dream City» et ses «rêveurutionnaires» enchantés, la résistance citoyenne s'exprime sous d'autres formes, autrement plus percutantes. Il faut dire que la société tunisienne dans son ensemble est une société fondamentalement ouverte, tolérante, joyeuse, «taâ jaw» et reste très jalouse de ses acquis. En flânant dans les rues de Tunis et même à Sfax qu'on nous disait conservatrice, on voit d'emblée l'écart avec nos mornes villes. Les bars sont pleins, les femmes sont coquettes, le Tunisien est à l'aise dans sa peau et dans sa langue, et même si la situation sociale, économique, est dure, même si un flou «pas du tout artistique» entoure l'avenir du pays à court terme, même si la dernière vidéo de Ghannouchi a de quoi nourrir des inquiétudes légitimes, on sent que nous avons affaire à une société qui bouge, une société vigilante. Le pays jouit d'une bonne infrastructure, les classes moyennes ne sont pas un slogan démagogique, et l'œuvre de Bourguiba dans ses aspects positifs continue à faire son effet dans la mémoire collective.
Le civisme est une valeur canonique qui se manifeste à travers une foultitude de petits détails qui ne trompent pas. Par exemple le cadre bâti. En parcourant la Tunisie, il est très rare de voir des bâtiments de 10 étages. Les plans d'urbanisme sont respectés. Impossible de voir des constructions inachevées qui enlaidissent le paysage. Les Tunisiens n'ont pas l'équivalent d'un Hamiz et tout ce chaos urbain qui caractérise nos bourgades. En faisant la route Tunis-Sfax (300 km), on est presque surpris de voir les automobilistes conduire paisiblement. Pas de violence routière. Les relais sont impeccables, les toilettes sont propres… Autant de petits gestes qui fabriquent une ville. Un vivre-ensemble. Question qui coule de source : à quand un Dream-City Alger ? Faut pas rêver diraient les plus pessimistes…


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