Dans son film-culte, Les feux de la rampe, Charlie Chaplin, vieillissant, faisait ses adieux au personnage de Charlot. Cette œuvre éblouissante et profonde illustrait, entre autres, la faculté d'un homme de resplendir à nouveau, même au couchant de sa vie. La photo de l'APS montrant le grand architecte, André Ravéreau, recevant des mains de la ministre de la culture la médaille du mérite national décernée par le président de la République, m'a fait penser à cette œuvre. Grande noblesse de l'homme, chevelure et barbe blanches, toutes hugoliennes, dans une attitude d'humilité qui cachait mal son émotion... Il se trouvait soudain projeté en pleine actualité, se disant sans doute que l'Algérie demeurait encore plus imprévisible qu'il ne pouvait le penser, le faisant passer, par la grâce d'une cérémonie, de l'obscurité de l'oubli aux feux de la rampe. L'analogie est d'autant plus forte que le film de Chaplin, sorti en 1952 à Londres, n'avait reçu sa consécration mondiale que vingt ans plus tard, sous la forme d'un Oscar attribué à sa musique, signée Chaplin aussi. Plus de temps encore a passé entre les contributions émérites de Ravéreau sur l'architecture et l'urbanisme du M'zab et de la Casbah d'Alger, publiées dans les années '80, et la mise en lumière de leur auteur, amplement méritée. Certains ont voulu y voir une petite élégance diplomatique à l'approche de la visite du Président français en Algérie. Il est vrai que le vieil architecte pourrait parfaitement symboliser une autre manière d'envisager les relations entre les deux pays, tournée, pour le coup vers une véritable «œuvre positive» entre deux «êtres» mutuellement consentants et capables d'avenir. Mais, au-delà de ces supputations, reste l'œuvre d'un homme de recherche, de pensée et de terrain qui a magistralement éclairé le patrimoine architectural algérien et révélé toute son ingéniosité et sa grandeur. Quand on lit Ravéreau, on se rend compte combien nous passons à côté de notre propre héritage. Il nous montre que l'architecture traditionnelle algérienne est infiniment plus moderne que nos pratiques actuelles de construction. Seul un mimétisme débile peut prétendre par exemple que la vogue actuelle des façades de verre – dans un pays de grand ensoleillement ! – est plus moderne que les architectures de terre de nos ancêtres, adaptées au climat, à l'environnement et même à notre esprit. L'Algérie, qui a longtemps attiré les grands architectes, depuis le Corbusier jusqu'à Niemeyer, éminentes figures du Mouvement moderne, signale, en honorant André Ravéreau, que, faute de ponctualité, elle n'est cependant pas ingrate. Mais, triste paradoxe, elle demeure ingrate envers elle-même, en se privant des enseignements précieux de tous ces grands noms et en tolérant que des horreurs innommables soient bâties sur son sol. Honorer un homme méritant est méritoire. Honorer ses idées est un mérite.