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Eternel Fouroulou
Evocation. «Le fils du pauvre» dans «La misère en kabylie»
Publié dans El Watan le 02 - 02 - 2013

Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun (1913-1960) publié en 1950, est un classique de la littérature algérienne, l'un des plus beaux et des plus connus des romans ou récits qui ont émergé avec l'Ecole d'Alger, et qui a obtenu, à juste titre, le grand prix de la ville d'Alger l'année-même de sa publication. C'était bien la première fois que ce prix était attribué à un écrivain indigène.
C'est aussi l'un des premiers romans que la génération algérienne de l'indépendance, encore collégienne ou lycéenne, eut à étudier, en même temps que Nedjma (1956) de Kateb Yacine, La grande maison (1952) de Mohamed Dib et La colline oubliée (1952) de Mouloud Mammeri. Ce fut, bien sûr, pour cette génération, une découverte extraordinaire que cette littérature indigène, méconnue d'elle jusque-là. Ces romanciers qui surgirent subitement dans une culture prodiguée par l'école française, avec les philosophes des lumières, Diderot, Montesquieu, Voltaire et Rousseau, les poètes tels que Baudelaire, Verlaine et Rimbaud et les grands écrivains tels que Victor Hugo, Emile Zola et Stendhal. Si Le fils du pauvre nous interpelle aujourd'hui, plus qu'aucun autre roman de sa période, c'est parce qu'il est un témoignage «vivant» de ce que fut la misère en Kabylie durant la période coloniale, mais aussi parce que son auteur eut une fin de vie des plus tragiques, assassiné par l'OAS le 15 mars 1962, à Alger, à 4 jours du cessez-le-feu, avec cinq de ses confrères, alors qu'ils étaient en pleine séance de travail. Mouloud Feraoun étant, à l'époque, engagé dans les centres socio-éducatifs créés sous l'égide de Germaine Tillon, et dont il était inspecteur.
La fin tragique d'un auteur rend son œuvre encore plus attachante, comme l'est aujourd'hui celle du poète engagé Tahar Djaout, assassiné durant la triste période algérienne appelée «décennie noire». Il est clair qu'on ne peut dissocier une œuvre de la vie de son auteur. Car, que serait l'œuvre d'un Albert Camus par exemple si sa vie fut un fleuve tranquille ? Il est en effet impossible de comprendre La peste, si l'on ne sait pas «qu'arracher» un Algérois de sa ville, comme le fut Camus, c'est lui enlever le souffle nécessaire à sa vie. Et que serait l'œuvre d'un Stefan Zweig sans sa vie de «Juif errant» qui lui permit de donner à l'humanité de sublimissimes nouvelles, telles Vingt quatre heures de la vie d'une femme et Le joueur d'échecs et qui finit suicidé au Brésil ? Et que serait l'œuvre de Soljenitsyne s'il n'avait pas vécu le goulag ? Le vécu de l'écrivain est aussi important que l'œuvre elle-même. Mouloud Feraoun n'a été assassiné par l'OAS que parce qu'il était un symbole de la réussite indigène et qu'il avait dédié sa vie aux membres de sa communauté afin de les sortir de l'ignorance et par là même de la servitude.
Le fils du pauvre est, à n'en pas douter, le récit de l'enfance de Mouloud Feraoun. Et, en redécouvrant cette œuvre avec le recul des ans, on ne peut que mieux comprendre les propos de l'écrivain sur l'indépendance de l'Algérie, lui qui écrivait : «L'idée d'indépendance est devenue pour nous la seule raison de vivre. Nous avons peut-être eu tort de laisser s'incruster en nous cette idée folle, mais il n'est pas question de l'en arracher» (cité par Ferhat Abbas in L'indépendance confisquée, p. 32).
En relisant cet ouvrage, avec donc le recul des ans, assurément cette lecture ne peut être que sensible au poids des mots. Et il n'y a là aussi aucun doute que cette œuvre de Mouloud Feraoun qui témoigne d'un vécu vienne en complément des écrits politiques de ses compatriotes de la période, tel Le jeune Algérien de Ferhat Abbas, dénonçant l'injustice, puisque maints spécialistes de la littérature algérienne, attestent que Le fils du pauvre a été écrit au début des années trente. De ce fait, si dans le domaine littéraire qui est le sien cette œuvre est un témoignage édifiant de ce que fut la misère en Kabylie durant la période coloniale, elle est aussi un engagement politique.
L'enfant Fouroulou (l'auteur, bien sûr) grandit dans une famille nombreuse de six personnes : le père, la mère, les deux sœurs (Titi et Baya) et lui-même, où «le couscous noir» était le repas quotidien, la viande seulement les jours de fête. «La viande est une denrée rare dans nos foyers. Ou plutôt non ! le couscous est la seule nourriture des gens de chez nous», raconte Fouroulou.
Le dur labeur du fellah, en l'occurrence le père, qui trime pour assurer la subsistance de sa famille, sans jamais arriver à la nourrir à sa faim : «Mon père avait beaucoup de soucis pour faire vivre sa famille», écrit l'auteur, qui poursuit : «Mon père réussissait avec beaucoup de vigilance à assurer à sa maisonnée le maigre couscous quotidien. Lorsque les travaux des champs étaient momentanément arrêtés, durant la période qui s'écoule par exemple entre la fenaison et la moisson, ou bien entre la moisson et le battage, il se faisait manœuvre et aidait comme journalier deux maçons qui construisaient pour les riches». Fouroulou était habillé à longueur d'année d'une gandoura défraîchie : «Je me vois ainsi vêtu d'une vieille gandoura décolorée par les mauvais lavages, coiffé d'une chéchia aux bords frangés et crasseux, sans chaussures ni pantalon». Pour se nourrir, il profite de la présence sur un chantier de son père (devenu ouvrier lorsque le travail des champs est arrêté), pour partager sa gamelle, et qui garda longtemps dans la bouche le goût d'une simple soupe à la pomme de terre, comme d'autres garderaient le goût de la crème chantilly : «Devant de telles richesses, la joie prend le pas sur la honte du début. C'est la joie animale de nos estomacs vides».
Ce n'est qu'au sein de la «djemaâ», havre de paix, que les pauvres se sentaient exister comme êtres humains à part entière, Car ces pauvres gens «craignaient l'isolement comme la mort». «La djemaâ, écrit l'auteur, est un refuge sûr, toujours disponible et gratuit».
Avec l'arrivée de son petit frère, prénommé Dadar, sept personnes désormais à nourrir, et une seule qui travaille, le père qui «se démène comme un diable ne perd aucune journée, et ne permet à personne aucun luxe. Il tremble à l'approche des ''aïds'' qui engloutissent les sous. Il tremble à l'approche de l'hiver qui engloutit les provisions.» «Fouroulou, ses sœurs et son frère grandissent comme ils peuvent». Le père qui tombe malade et c'est la tragédie «avec la misère à ses trousses». «Il vendit tout ce qu'il possédait et hypothéqua son champ et sa maison. Plus aucune solution que l'immigration». Il quitte le village pour la France, laissant derrière lui femme et enfants éplorés.
La veille du départ, Fouroulou surprit son père, en pleine nuit, en train de prier Dieu et les saints, «demandant à la providence d'avoir pitié de lui, de venir à son aide, d'écarter les obstacles de sa route, de ne pas l'abandonner. Puis, dans un élan désespéré, il l'implorait de veiller sur ses enfants».
La douleur de son père serra la gorge de Fouroulou et des larmes se mirent à couler silencieusement sur ses joues.
Les pieds glacés de froid de sa tante maternelle (et préférée), Yamina, qu'il appelle «Nana», ne le laissent pas indifférent. Elle n'avait pas de quoi se chausser dans cet hiver givrant des montagnes de Kabylie. Qu'est-ce qu'une paire de souliers dans cette Algérie de l'entre-deux-guerres, où les Européens d'Algérie vivaient dans le chic, leurs maisons bien chauffées et leur table bien garnie, et lorsqu'à Paris c'était l'insouciance des années folles ? Nana qui enfanta d'un bébé mort-né mourut en couches, et c'est là assurément la plus belle partie du texte, où le petit Fouroulou perdant sa tante bien-aimée est confronté à la mort. «Je fus brutalement réveillé par les cris de ma mère et de mes sœurs : ma douce Nana venait d'expirer. Oh ! Je me rappellerai toujours ces cris et la suprême angoisse qui me fit sursauter, m'enleva de ma couchette et me fit hurler d'épouvante. Chaque fois que j'entends les lamentations de nos femmes sur les morts, je frissonne malgré moi car elles me rappellent toujours le déchirant réveil qui m'apprit la mort brutale de ma tante». Et il poursuit : «La mort a tout pris. Elle laisse un masque indifférent, imprévu qu'elle dresse comme une barrière implacable contre laquelle notre douleur vient buter misérablement, sans échos»...
«Pour tous les gens du village, ce qui nous arrivait là ne sortait pas de l'ordinaire. La mort fauche couramment des gens dans la fleur de l'âge. On pleure, on se lamente à s'enrouer la voix pour une semaine, puis on se hâte pour se dire que l'on reste après le disparu et que, malgré tout, le mal est sans remède, puisque rien n'influe sur l'inexorable horloge du destin... Ma mère a vu mourir un frère, des sœurs, sa mère, puis son père. Elle est familiarisée avec la douleur et le silence».
Combien de femmes mortes en couches en Kabylie durant la période coloniale, et combien de bébés mort-nés ? L'écrivain dit lui-même être le premier garçon né viable dans sa famille. Et nous ne pouvons pas ne pas rapporter quelques phrases d'un article publié dans Egalité, journal de Ferhat Abbas, et sur deux éditions, le n° 54 et le n° 55, et intitulé «Le dur destin de la femme kabyle» : «Cette mère admirable, d'un dévouement entier, capable de tous les sacrifices, la mère kabyle ne peut pas être une mère complète. L'ignorance, le manque d'hygiène, les dures conditions de vie, élèvent la mortalité infantile à un taux effrayant. Il n'est pas rare de rencontrer des femmes à qui il reste deux enfants, un, ou pas du tout, alors qu'elles en ont eu dix, douze. Il suffit de si peu de choses pour emporter le petit… Alors, se produit chez les mères qui ont perdu tant d'enfants une lente accoutumance, une adaptation à la douleur…Et dès que s'offre un moment de loisir, la pente naturelle de leur âme les entraîne aux larmes, comme le fleuve va à la mer…» (signé Juba III). Fouroulou sut saisir la chance que lui offrit l'école pour sortir de sa situation de miséreux. Il réussit le concours d'entrée à l'Ecole Normale et devint instituteur. Quelle revanche du destin pour le fils du pauvre !
A la lecture de ce beau récit qu'est Le fils du pauvre, l'on comprend d'autant mieux pourquoi Albert Camus, alors journaliste à Alger Républicain, préféra dénoncer la misère en Kabylie plutôt que celle qui se trouvait à côté de lui, à «Laâqiba», quartier arabe par excellence de Belcourt, mitoyen de sa maison. Car la misère où végétait la population indigène de Belcourt n'avait assurément rien à voir avec celle que décrit Mouloud Feraoun dans Le fils du pauvre. Et c'est parce qu'il avait dénoncé cette effroyable misère dans ses articles intitulés «La misère en Kabylie» qu'Albert Camus se retrouva interdit d'écriture et Alger Républicain suspendu. Albert Camus dit lui-même «qu'il avait été le seul journaliste français obligé de quitter l'Algérie pour avoir défendu les musulmans». Et comme le précise Roger Grenier dans son ouvrage Albert Camus, soleil et ombre : «On s'arrangea pour que Camus ne puisse plus trouver du travail en Algérie.»
Albert Camus et Mouloud Feraoun étaient d'ailleurs amis, ils tinrent une longue correspondance... Mais ils avaient des divergences au sujet de l'indépendance de l'Algérie. Ceci est une autre question qui mériterait à elle seule une longue réflexion, car elle attira au prix Nobel de littérature l'animosité aussi bien de ses frères de sang que de ses amis algériens, qu'il appelait pourtant «mes frères ». Albert Camus se dit victime de l'incompréhension. Pour en revenir à ce classique de la littérature algérienne qu'est Le fils du pauvre, nous pourrions dire que s'il est un témoignage «vivant» de la misère en Kabylie durant la période coloniale, il est aussi un hymne à l'effort et au travail, qui finissent par être récompensés. Malheureusement, l'assassinat de Mouloud Feraoun à la veille du cessez-le-feu l'a privé de vivre l'indépendance de son pays, «cette idée folle» devenue réalité.
Leïla Benammar Benmansour. Diplômée de l'Institut français de presse, Docteur en information et communication, essayiste et auteure notamment de «Ferhat Abbas, l'injustice», Ed. Alger-Livre, 2010.


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