La 19e édition de la grande manifestation culturelle Maghreb des livres s'est tenue le week-end dernier, 16 et 17 février, à l'Hôtel de Ville de Paris. De notre bureau de Paris Ce rendez-vous annuel, organisé depuis 1994 par l'association franco-maghrébine Coup de Soleil (lire encadré page suivante) a rendu hommage, dans sa version 2013, à la littérature algérienne. La communauté algérienne, fortement présente dans la région parisienne, l'entendait bien ainsi !Dès onze heures du matin, en ce samedi inhabituellement ensoleillé, une longue file d'attente s'est formée devant l'entrée de la belle bâtisse abritant la mairie de la capitale française. Les organisateurs s'activent pour les dernières retouches. Les badges, les salles et les stands sont fin prêts à recevoir le premier afflux de visiteurs. Précédé par quelques dizaines de visiteurs, Bertrand Delanoë, le maire de Paris, a voulu marquer sa présence en se rendant dans les différents stands. Devant la presse, il en a profité pour rendre hommage à la littérature algérienne et à la culture maghrébine en général. «Ce Maghreb des livres a vraiment changé beaucoup de choses dans la rencontre entre les peuples, les intellectuels et le public ainsi qu'avec les écrivains. Cette année, c'est l'Algérie qui est à l'honneur», a-t-il déclaré. L'ouverture officielle du Salon est imminente.Entre temps, la première conférence a déjà été entamée, animée par quatre jeunes auteurs d'un livre collectif, au titre long mais original : Nous, la cité… on est partis de rien et on en a fait un livre. C'est le récit émouvant du vrai combat humain de ces jeunes qui se définissent comme des «presque analphabètes» et relèvent le défi de relater eux-mêmes la vie, ou plutôt leur vie dans la banlieue, avec une maîtrise remarquable de la langue sous toutes ses formes : orthographe, structure et ponctuation. La couleur est bel et bien annoncée pour la suite de cet événement exceptionnel. Durant les deux journées, les rencontres littéraires, les conférences d'auteurs, les tables rondes, les séances de lecture et de dédicaces s'enchaînent, au grand bonheur de plusieurs centaines de visiteurs. Les Parisiens – notamment d'origine algérienne – ont profité de leur repos hebdomadaire pour découvrir et, dans certains cas, redécouvrir le Maghreb des livres.C'est le cas de Karim, chercheur dans le domaine du médicament, venu avec ses deux petites filles âgées d'à peine deux ans. «C'est une occasion pour moi de découvrir les nouveautés littéraires algériennes publiées en 2012. En plus, j'en profite pour initier mes filles à la lecture et à la culture algériennes et maghrébines. Que du bonheur !», dit-il avec un large sourire. Entre les différents stands bourrés de livres, de revues et de bandes dessinées, en langue française majoritairement, mais aussi en berbère et en arabe, on trouve les tables destinées aux dédicaces et d'autres, occupées par des invités particuliers. Parmi ces derniers, nous avons rencontré le dessinateur de presse et bédéiste Slim qui a regretté que ce genre d'événement ne soit «organisé qu'une seule fois par an». A quelques pas de lui, le chanteur Cheikh Sidi Bémol anime sa propre table de dédicaces. En plus de sa belle musique, le rockeur kabyle est surtout un auteur de poésies et un dessinateur talentueux. Il prend part à ce festival avec deux livrets. Le premier est un recueil de toutes les chansons de l'album Chants des marins kabyles, écrites en berbère, traduites en français et transcrites en partitions musicales. Le tout est illustré par des dessins à la Sidi Bémol. Le deuxième est justement un album de dessins qui relatent l'histoire du héros de l'une de ses chansons à succès, Taqsit Uberri (l'histoire du terrien). «Je pense qu'il y a un grand pont entre la musique et la littérature algériennes. On trouve plusieurs ouvrages qui recueillent les poèmes de nos grands artistes ou relatent leurs vies. J'espère qu'il y aura de plus en plus de gens qui publieront leurs chansons sous forme de livres», a indiqué l'auteur-interprète. Bien que l'espace de l'exposition soit très vaste, «il est difficile de se frayer un chemin parmi tout ce beaumonde», constate Jack Lang. L'ancien ministre français de la Culture durant la présidence Mitterrand, se dit «impressionné par l'enthousiasme des visiteurs, la diversité des ouvrages et leur qualité», tout en affirmant «bien connaître l'œuvre de Kateb Yacine et celle de Mouloud Feraoun». Dans ce sens, l'un des stands les plus prisés est celui de l'artiste-peintre Djilali Kadid, natif de Sidi Bel Abbès, qui a tout simplement participé au Maghreb des livres en exposant des portraits, minutieusement réalisés, des plus grands écrivains algériens. Une fois que le visiteur a fini de savourer ces chefs-d'œuvre, il peut marquer une pause au café littéraire et culinaire typiquement maghrébin. Goûter les bons gâteaux algérois suffit à se recharger en énergie pour assister à la succession incessante des débats et des conférences pendant ces deux jours de haute concentration culturelle. Parmi ces activités instructives, on peut citer par exemple la conférence donnée en hommage à Tahar Djaout, animée conjointement par son compagnon de route, le journaliste Abrous Outoudert et l'écrivain Louis Gardel qui fut, au Seuil, l'un des éditeurs du défunt journaliste-écrivain. Le même hommage a été rendu à Mouloud Feraoun (1913-1962) ainsi qu'au professeur Pierre Chaulet, décédé le 5 octobre 2012, par des écrivains ou personnalités qui les ont côtoyé ou connaissent leurs combats. Plusieurs tables rondes ont été organisées par des auteurs sur leurs thèmes de prédilection comme la thématique «50 ans après, où va l'Algérie ?», animée par Madjid Benchikh et Ahmed Dahmani. Des conférences-débats ont été tenues également autour d'œuvres de référence qui viennent de paraître, comme le remarquable ouvrage collectif Histoire de l'Algérie à la période coloniale (coédition La Découverte/Barzakh). Cette rencontre a été animée par Jean-Pierre Payroulou et Abderrahmane Bouchène, deux des quatre coordinateurs. Dimanche soir, à la fermeture du salon vers 20h, quand le dernier visiteur a franchi la porte de sortie, il a sûrement lancé un soupir d'impatience : «Vivement la 20e édition du Maghreb des Livres !» Baisser de rideau sur l'Hôtel de Ville de Paris, qui a résonné des voix de la littérature algérienne pendant quarante-huit heures.