L'Algérie est confrontée à l'un des plus graves moments de la vie d'une nation : l'incertitude. Le règne, 14 ans durant, de Abdelaziz Bouteflika s'avère chaque jour très coûteux pour une Algérie qui aurait dû mieux négocier une sortie de crise dès la fin des années 1990, avec une transition calme et assurée vers une belle démocratie et une prospérité économique en passant par de véritables réformes exécutées dans la sérénité grâce aux soupapes sociales qu'auraient autorisé la rente pétrolière. «Mais c'était mieux quand c'était pire», aime à répéter un collègue journaliste lorsqu'on discute de la situation du pays. D'aucuns pensaient qu'une fois débarrassée du terrorisme ravageur, l'Algérie pourrait alors asseoir sa démocratie, se remettre de ses traumatismes et avancer. La désillusion n'a pas tardé à frapper à la porte. L'espoir a cédé sa place à la désespérance, le rêve au cauchemar, la régression s'est frayé petit à petit un chemin dans la vie algérienne. Politiquement, tous les acquis arrachés de haute lutte, dans le sang, ont disparu. Ce qu'on peut retenir du règne de Bouteflika est que table rase a été faite de toutes les libertés. Pis, tous les segments qui nécessitaient un traitement de choc comme préalable pour placer le pays sur les rails du développement ont été coincés dans une implacable léthargie. Quatorze ans après la réforme qu'elle devait subir, l'école algérienne est une catastrophe. La justice, l'Etat ? Pour la première, on préconisait l'indépendance ; pour le second, la décentralisation. Il n'y a eu ni l'un ni l'autre. On est allé vers le pire : une justice aux ordres, incapable de faire entendre sa voix au point que l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, et d'autres, impliqués dans les affaires de corruption qui touchent Sonatrach – pour ne citer que ce cas de figure, il y en a d'autres – ne répondent pas à sa convocation. L'Etat, quant à lui, a dangereusement glissé vers une vulgaire centralisation, voire un pouvoir personnel du président Abdelaziz Bouteflika. Résultat des courses : plus aucun contrepouvoir, une scène politique désertique, aucune visibilité ni à court ni à moyen terme. Le chef de l'Etat, qui a eu à réviser la Constitution en 2008 pour briguer un troisième mandat, a réussi à anesthésier le politique pour ne laisser place qu'à une cupide courtisanerie. M. Bouteflika a pu mettre en place une vraie machine de pouvoir qui a bien fonctionné, mais a plongé le pays dans une grave crise structurelle. Parallèlement à la déliquescente de la scène politique, l'économie n'en souffre pas moins d'une gestion, le moins que l'on puisse dire, hasardeuse. Si le chef de l'Etat partait aujourd'hui, il laisserait l'économie nationale au point où il l'avait trouvée en 1999, à son arrivée au palais d'El Mouradia. C'est-à-dire 98% des revenus assurés par les ressources provenant des hydrocarbures que son homme de main, Chakib Khelil, a pompé jusqu'à la moelle. Ce n'est pas un bilan, mais globalement, ce qu'on peut retenir de son règne se résume en quelques phrases à l'action grave : une révision constitutionnelle qui a mis fin au principe de l'alternance au pouvoir et plombé politiquement le pays ; au moins quatre gros scandales de corruption, à l'échelle massive ; une maladie qui a réduit la fonction présidentielle a minima d'activités protocolaires et la dernière, un «mini-AVC» dont il ne s'est, semble-t-il, toujours pas remis. Encore un souci pour un pays étrangement crispé, à la veille d'une échéance électorale, l'élection présidentielle de 2014, qui engage véritablement son avenir.