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Ce qu'il faut, c'est une rupture-élan
Lettre à Boualem Sansal
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2006

Votre livre est à lire, à relire, il faudrait même qu'il le soit en boucle. (1) Vous évoquez le temps des espérances, des promesses heureuses, des rêves. Ce temps est dur à dissoudre.
Car, c'est quoi le charme d'une génération ? N'est-ce pas son émotion quand sa jeunesse devient tâche floue bue par le buvard du temps ? Régis Debray ne dit pas autre chose depuis quelques années. Nous venions de nous rapproprier ce beau et grand pays qu'est l'Algérie et nous étions fiers car il avait été à l'origine d'un moment historique, celui de la décolonisation de l'Afrique. Nous nous sentions responsables. Nous rêvions car nous étions convaincus de notre capacité à projeter notre pays dans la modernité en dépassant nos propres individualités. C'était le temps où l'université s'ouvrait à l'universel, où les lycées enseignaient les fondements de la république et l'école l'apprentissage de la citoyenneté. Nous rêvions d'une société alphabétisée et cultivée, armée pour faire face aux défis du développement. Nous partions sur le même pied d'égalité que l'Espagne ou la Corée du Sud. Nous étions le seul pays du monde décolonisé à avoir récupéré l'ensemble de nos richesses. C'était une gageure pour l'époque. Nous défendions les causes des mouvements de libération : la symbiose a été obtenue lors de l'unique festival panafricain. Il se voulait culturel et il l'a été, mais nous en avions fait aussi le lieu d'épanouissement et de convergence des rapports politiques entre les peuples. L'Etat n'était pas concerné dans la réussite de ces folles journées. C'est la société civile, inorganisée, étroitement surveillée et non encore instrumentalisée qui a tenu le rôle essentiel. Nous en étions à tirer les enseignements et réfléchir â l'organisation d'un autre défi. Nous ignorions que le dernier spectacle venait de baisser le rideau. Car vint la trilogie révolutionnaire. L'agriculture qui devait donner de l'emploi et nourrir les habitants a été bureaucratisée et soumise aux monopoles. Au nom de l'égalité de tous, la haine s'est instillée car l'injustice s'est installée. L'Etat algérien venait de déposséder ses citoyens, seul exemple que l'on connaisse, hormis les pays communistes.
l'université fabrique d'aigreur et de ressentiment
La révolution industrielle a endetté les algériens, mais plus grave, a dévoilé des pratiques que nous ignorions, que nous méprisions, la concomitance de la corruption et du larbinisme. Les responsables des entreprises nationales ont changé de rôle. les entreprises d'etat devenaient leurs entreprises et les monopoles leur donnaient le pouvoir et l'enrichissement illicite. Les syndicalistes trop « bruyants » étaient intégrés dans des postes de responsabilité économique à la tête d'entreprises, ce qui a privé le secteur industriel d'une force d'opposition et de proposition utile au pays. La culture syndicale venait de se dévoyer. Les DG et PDG n'étaient soumis à aucune obligation de résultat ; ils étaient l'etat dans toute sa symbolique de puissance. L'échec ne les a donc plongés dans aucun état d'âme, ce qui accrédite la thèse de leur manque de conviction technique et politique. ll se qualifient eux-mêmes de « technocrates », c'est-à-dire de gens rationnels et compétents. Ils s'inscrivent aujourd'hui, avec la « mondialisation » et le « marché » dans le champ des « affaires » et du « privé », prolongeant leurs accords de la période des monopoles. Ce sont les nouveaux entrepreneurs, nouvelles élites qui prétendent vouloir créer la richesse du pays comme ils nous l'ont promis au moment de l'« industrialisation ». faut-il encore les croire alors que leur richesse est « respectabilisée » ? C'est avec la « révolution culturelle » que la trahison a été la plus prégnante. Les étudiants rebelles mais talentueux, les universitaires critiques, le premier noyau de chercheurs devaient se soumettre à un ordre n'autorisant aucune discipline ni velléité de comprendre l'évolution de la société, le fonctionnement de l'Etat, ni surtout le sens à donner à un système politique fermé sur lui-même, soupçonneux, voyant partout des mains invisibles et des complots. Le travail critique fut alors empêché ou devint dangereux. Tout cela au nom d'une pseudo « démocratisation » de l'université. Le résultat a été un massacre organisé, engageant le pays dans la voie descendante. Seule l'Algérie pouvait être capable d'un tel génie pervers, et finalement destructeur de l'idée même d'enseignement public. L'université, ce lieu où souffle l'esprit devient la fabrique du ressentiment, de l'aigreur et l'antichambre du chômage. Je parle de perversion car les organisateurs du massacre savaient qu'ils avaient mis en place un système démoniaque, irréfragable : il s'agissait d'une révolution. Les complices intérieurs d'un tel désastre furent récompensés. On les envoya dans des organisations internationales et c'est ainsi que nous eûmes, nous aussi, nos « cosmopolites », tel que l'analysait Jdanov, l'idéologue de Staline. Il y a quelques textes que nous devons lire ou relire car même entachés d'une connotation passéiste et démodée, ils demeurent d'une grande intelligence pour le présent. Comme tout système verrouillé, non accessible aux autres, les tensions à l'intérieur s'expriment en s'exacerbant, jusqu'à la rupture. L'été 1974 a été de ces moments, de ce moment. Les porteurs d'idées du système, les contributeurs de la légitimité, indociles car engagés par un contrat non respecté, se sont évertués à rappeler l'engagement de lutter contre le pouvoir personnel. Ils seront dramatiquement éliminés. Ils les ont tués, soit en leur ôtant leurs vies, soit en en faisant des morts vivants politiques. La mascarade de 1976 n'a été qu'une institutionnalisation du pouvoir personnel, saluée comme une grande avancée démocratique par des universitaires instrumentalisés, ou de service. Mais ce pouvoir personnel se mordait la queue. Bien qu'institutionnalisé il était fragile, au sens politique s'entend. La société faisait l'objet d'un maillage strict, la police politique veillait sur le système. Le président Boumediène n'a pas compris, aspiré par sa mégalomanie du pouvoir, que la dynamique de l'histoire le portait, l'histoire d'un collectif, d'une génération, celle qui avait fini la guerre. En se séparant de son « noyau dur » il s'est découvert. Il fit appel à de nouvelles élites politiques, puisées dans les cercles périphériques, sans compétences mais dociles car avec elles il inaugura la politique des faibles, la corruption. Il les encouragea à puiser dans les contrats. Ils ne pouvaient pas craindre les services de sécurité puisque les éventuelles preuves servaient à obtenir leur docilité politique et leur servitude. La mort de l'initiateur de ce système l'a sauvée du mythe car il était arrivé à sa limite d'incompétence. Le nouveau président, choisi par l'année sur de faux critères, allait aider au délitement. Nous avons alors rompu définitivement avec l'universel pour nous ghettoïser dans la différence. Deux décisions d'une extrême importance ont été prises dans le secret du cabinet : l'arrêt de la coopération dans l'industrie et l'enfermement sur une seule langue dans l'enseignement supérieur. Imposées comme décisions politiques, elles étaient sans appel car non négociables. Ils ont créé artificiellement la guerre des mémoires, la crise de l'éducation, et la panne de l'intégration républicaine. On peut polémiquer avec Boumediène comme l'ont fait beaucoup d'analystes car on peut s'interroger sur le bien et le mal, sur les raisons de telle ou telle décision. Chadli, par contre, s'est engagé dans une grande rupture, celle de confier la politique algérienne à d'autres dont l'unique ambition était de régler des comptes avec l'Algérie. Nous avons perdu notre âme à ce moment-là et c'est la raison pour laquelle on ne peut polémiquer avec Chadli, il faut condamner. Etait-il besoin de poser la question de savoir comment concilier le respect des identités particulières avec le maintien d'une visée universelle ? Fallait-il vraiment choisir entre les deux ? Le propre de l'homme ne réside-il pas dans l'autonomie, dans sa faculté de juger et d'agir par lui-même, donc aussi par sa capacité à se soustraire aux préjugés de sa culture d'origine ? Et pourtant, c'est cette capacité de l'homme qui fonde l'idéal des droits de l'homme. Nous sommes aujourd'hui en 2006, à rabâcher comme une antienne celle dialectique mortifère. Ne serait-il pas préférable de tenter de se frayer une voie hors de dilemme du mondial et du local, du marché et du ghetto ? Nos dirigeants peinent à savoir que le paradis de l'universel ne s'oppose pas nécessairement à l'enfer de la différence. Auraient-ils la capacité de le comprendre ? Il y a par contre un point, monsieur Sansal, sur lequel je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, c'est celui de la supposée omnipotence et omniscience du FLN. J'en conviens avec vous, il a de tout temps agité le slogan des « constantes nationales », socle de son fonds de commerce. Dans la mythologie du FLN, l'unité est le mot référence, depuis le 1er novembre 1954. Qui peut mieux assurer cette unité, si ce ne sont « les constantes nationales » ? Il était, il est toujours composé de hurleurs conventionnés, notamment depuis qu'il fait partie de l'« Alliance ». Mais comme nous sommes dans un régime politique où chacun veut hurler plus fort que l'autre pour être mieux entendu, et mieux récompensé, nous aboutissons à des dépassements, des aberrations, à un culte qui dépasse la moubaâya qui, elle, a un sens politique. Mais elle est réservée aux rois ! La société civile, incarnée dans le syndicat officiel, en est arrivée à innover dans les concepts. Un homme, le président, devient l'un des référants de notre identité nationale, au même titre que la langue, la religion ou l'histoire de l'Algérie. Cette affirmation n'a fait sursauter personne. Vous voyez bien que cela va au-delà des « constantes nationales ». Le FLN est en retard de ce point de vue. Je reste convaincu qu'il n'a jamais été véritablement au pouvoir et n'a jamais été le pouvoir. Il a toujours été érigé en machine électorale. Il était censé orienter, diriger et nommer. Il a adopté la posture de la redondance : il reproduit à l'identique la pensée unique d'un chef selon l'humeur de ce chef. Souvenons-nous de ce conseiller à la présidence. Devenu ministre des Habous et du Culte, il a changé l'intitulé de son ministère en y ajoutant : « et de l'enseignement originel ». Ce changement d'intitulé l'autorisa à créer les instituts islamiques. Il venait de violer un principe fondamental, l'unicité de l'enseignement. Le système inique des équivalences propulsa dans l'université les étudiants « islamiques » conduisant à la dichotomie entre « arabisants » et « francisants ». Deux paradigmes s'opposaient deux visions de la société diamétralement opposées. La haine s'installa. L'un des fondements de l'Islam politique tient en partie dans cette approche. Le président, dont la politique tenait à diviser pour éventuellement pouvoir arbitrer ou laisser pourrir une situation qu'il avait lui-même créée, laissa faire son ministre.
Fièvre démocratique
Vous voyez bien que le FLN n'était pas du tout concerné par les décisions politiques. Il n'y a qu'à regarder les résultats des élections du 15 avril 2004 ! Son chef a été balayé. Même la manipulation des urnes lui échappe. Elle lui a d'ailleurs toujours échappé. D'autres détenaient le véritable pouvoir de décision. Le FLN n'a été qu'un leurre. Le véritable pouvoir était et est ailleurs, il est concentré entre les mains de l'armée, même si elle prétend aujourd'hui ne plus faire de politique. Elle a toujours fait de la politique, et il n'y a pas une élection présidentielle, législative, communale, qu'elle n'ait contrôlée et où elle n'ait fait élire les candidats de son choix. Elle est d'ailleurs tellement attachée à ses ouailles - elle n'aime pas le renouvellement des hommes de peur qui lui échappent - qu'elle a convaincu le président Boudiaf de l'inexistence de 60 personnes compétentes en Algérie. On comprend pourquoi on retrouve toujours les mêmes dans les cercles du pouvoir, quel que soit le pouvoir. Il est vrai que depuis avril 2004, les généraux de l'état-major ont décidé de ne plus faire de politique. On devine pourquoi. Ils n'ont pas su résister à l'envoyé d'un sous-secrétaire d'etat américain alors qu'ils se disaient les « dignes descendants de l'ALN ». Celle-ci a résisté à l'armée d'occupation, à l'administration lorsque le pouvoir politique français eut l'intention de la partition du pays, l'utile à cause du pétrole et le Nord susceptible d'être indépendant. Pas eux, par défaut. ceux qui attendaient d'eux une espérance ont été condamnés à baisser les yeux. Ils en ont gardé une grande amertume. A l'effacement de l'état-major s'est substituée une structure qui en faisait partie et qui concentre entre les mains les véritables pouvoirs. Lahouari Addi résume ainsi ce glissement. « ... l'état-major a perdu de son poids politique en faveur de ce qui n'est officiellement qu'un de ses services, le DRS (...) se dessine une évolution qui voit l'état-major se dépolitiser au profit du DRS, lequel apparaît comme la véritable direction politique de l'armée et du pays. » (Le Monde diplomatique avril 2006, pp 6 et 7). Le FLN n'a pas eu ces pouvoirs. Nous avons pensé que la fièvre démocratique qui s'est emparée du pays avec le multipartisme allait nous permettre d'exercer nos véritables pouvoirs de citoyens. Nous avons constaté à nos dépens qu'il est facile de proclamer la démocratie et de l'inscrire dans des documents constitutionnels. Cela n'élimine guère l'héritage des régimes totalitaires avec leurs formes de pression, de contrainte, de dépassements et d'humiliations. C'est ainsi que s'est créé un hybride, tenant à la fois de la dictature et de la démocratie. C'est ce que l'écrivain croate Pedrag Malvejevitch nomme la « démocrature ». Nous sommes au point de convergence où une démocratie naissante, encore titubante, livre bataille à une « démocratie » bête, coriace et arrogante. Nous ne devons pas oublier que l'on a tout fait pour ressembler à ces régimes des pays arabes qui conquirent le pouvoir par la force, les armes ou la triche et qui inondent l'opinion publique de slogans, d'impératifs et de diktats. Nous vivons dans « la dictature de l'existant », c'est-à-dire que le passé n'explique rien et que l'avenir est une projection de la propagande d'aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle l'Algérie n'existe qu'au jour le jour suivant le rythme ondulatoire des détenteurs du pouvoir. Ce pays s'interroge, sans en comprendre la cause, sur les raisons de son délitement. Mais il ne cherche pas vraiment les raisons politiques. Les dirigeants de ce pays sont obsédés par sa richesse, les citoyens sont obsédés par la richesse. C'est le seul thème commun au pouvoir et à une nouvelle classe où le cercle vicieux politique-affaires est devenu un cercle vertueux. Cette obsession de la richesse a entraîné un changement anthropologique et politique colossal, car le riche qui était vu avec méfiance comme quelqu'un qui ne pouvait qu'avoir volé est devenu aujourd'hui digne de vénération. La richesse a été respectabilisée et humanisée. A l'opposé, le pauvre n'est plus contre le système. Il s'arrange pour s'enrichir et rêve de s'approcher du paradis des possédants, quitte à jouer les parvenus ou de se réfugier dans l'illégalité parce qu'il y est encouragé. Les rues et les trottoirs des centres-villes du pays sont squattés par le commerce informel et les ports par de conteneurs de la nuit. Le pays est plein de ces gens qui ont respectabilité une richesse acquise du temps des monopoles et qu'ils étalent aujourd'hui comme étant le fruit de leur travail. Richesse et prédation se sont trouvés légitimes et magnifiés. La criminalité, au sens des actes de transgression sanctionnés par une loi pénale, n'est pas le fait exclusif des classes populaires toujours soupçonnées d'être dangereuses. Les classes dirigeantes supposées respectueuses de l'ordre qui leur profite violent les règles communes. Il n'y a qu'à ce reporter au nombre des « affaires » dévoilées par les médias. Cependant, pas de mœurs tribales sans pensée primaire. Chaque affaire se résume aux pratiques transgressives d'un seul homme, « politicien véreux », « chef d'entreprise cynique », « fonctionnaire vénal » cherchant la satisfaction de ses intérêts. Cette individualisation des affaires dispense de raisonnements plus larges. Cela a eu un effet d'ordre moral. La politique a été réduite à l'entreprise et l'activité publique réduite à un spectacle. Bien évidemment, la société ne peut rester figée selon le schéma décrit. Elle évolue et elle évoluera nécessairement car les contradictions sont en train d'apparaître et nul ne ne sait quand les effets se feront sentir. L'etat est aujourd'hui incapable d'assurer un minimum de justice sociale et atténuer les souffrances des plus démunis. Il n'existe plus de classes tampons assurant le relais avec le pouvoir. Jusqu'à présent, celui-ci s'entête à assurer l'ordre par la répression et la présence de la police comme dans les dictatures non affirmées. La police s'interpose et forme une digue contre les manifestations de toutes sortes. Mais comme toute digue, si résistante soit-elle, elle peut céder sous la pression. On a vu ailleurs qu'il est difficile alors d'y faire face, d'autant qu'aujourd'hui l'encadrement de la société est réel, et il ne faut pas le nier car le diagnostic est partagé. Nous vivons dans une République compassionnelle en voie d'infantilisation. On ne fait même pas semblant comme dans d'autres pays où, pour être en règle avec les populations, les gouvernants vont témoigner leur solidarité, devant les caméras, dès qu'elles sont dans la peine. On nous a laissé mariner dans un bouillon d'illusion et le pouvoir, sous nos yeux, patauge. Nous sommes dans la logique de « l'accommodement », c'est-à-dire face à une classe politique dominée par des professionnels dans les jeux de pouvoir dont la seule ambition est de durer. Ils nous ont fait croire à une rupture mais c'était une rupture-trahison qui consistait à prendre le pouvoir et le conserver. Il ne pouvait pas en être autrement car le système politique et le régime politique sont en continuation. Les détenus du pouvoir donnent l'illusion par des artifices, d'une rupture parce que les lobbies et le premier cercle changent, alors qu'ils se reconduisent et se reproduisent. C'est la raison principale de l'immobilisme et de la crise. Ce qu'il faudrait, c'est une rupture-élan, une rupture-affirmations qui devrait s'enclencher avant l'accommodement-agonie qui laissera le pays exsangue. Cette rupture ne peut se réaliser que par la naissance d'une transition-engagement. Le terme de transition peut être perçu négativement parce que nous avons connu déjà une transition, mais celle-ci s'est faite dans l'urgence, donc sans préparation, et surtout sans objectif politique puisqu'elle était imposée par les événements. Il n'est pas permis, sauf à être complice, d'accepter un système permettant à certains de s'offrir un haut niveau de vie grâce à la prédation et le délit d'initiés et de condamner les autres au strict minimum.
Note de renvoi
1) Poste restante : Alger lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes, Gallimard. mars 2006.


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